Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Dimanche 24.1.97 (167ième jour)
Kayouchka chérie,
Oui, c'est vrai, nous nous sommes dit peu de chose vendredi dernier, mais c'était assez bon tout de même, n'est-ce pas? Et notre quart d'heure n'a pas été trop rigoureusement mesuré cette fois. - Voilà donc enfin, aujourd'hui même, l'avant-dernière semaine de ma captivité entamée, et aujourd'hui en quinze nous serons de nouveau ensemble. - Pauvre Kaya chérie, comme tu as dû te faire mal en tombant, puisque vendredi passé, quinze jours après, ton oeil en était encore tout tuméfié. Si j'avais été libre, et un semblable accident te serait arrivé - chose assez improbable puisque c'est toujours moi qui écope! - deux jours après on n'en aurait plus vu la tracé. J'aurais bisé ton oeil jusqu'a ce que guérison s'ensuivît ce qui n'eût pas été long. - J'ai eu les vers de William Blake | |
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vendredi presqu'aussitôt après ton départ et ta chère lettre hier, samedi, vers trois heures. Je trouve trés, très belle ta description du paysage: ‘tout est tout blanc... et on ne voit que des moulins un peu espaces dans cette plaine déserte... seulement les croix des moulins: cela fait l'effet d'un ancien cimetière de géants.’ C'est très beau et d'une grande force évocatrice. - Amusante, ta petite histoire de la jeune fille qui t'a esquissée. Nous nous arrangerons un jour de façon a faire le voyage avec elle. Et je lui demanderai de nous montrer cette esquisse. Dame, c'est bien le moindre. J'ai beaucoup aimé eet ‘Everlasting Gospel’ de W.B.Ga naar eindnoot1 La conception du Christ est magnifique, grandiose. Me plait particulièrement le passage concernant Marie Madeleine: ‘The morning blushed fiery red / Mary was found in adulterous bed / Earth groaned and heaven above / Trembled at discovery of love / ...Mozes commands she be stoned flapidée) to death / What was the sound of Jesus breath? / ...Still the breath divine does move / And the breath divine is love / ... Mary, fear not... / Who shall accuse thee? Come ye forth / Fallen friends of heavenly birth / That have forgot your ancient love / And driven away my trembling dove / You shall bow bef ore her feet / You shall lick the dustfor meat (nourriture) /And though you cannot love but hate /Shall be beggars at love's gate!’ - N'est-ce pas que c'est beau? - Quel plaisir tu m'as fait en copiant cela... cela, et tant d'autres choses belles. - Ah, Kaya chérie, je voudrais te dire tant et tant de choses dont mon coeur déborde, mais je ne puis pas. Impossible de confier la moindre pensee intime a ces lettres, lues et manipulées par d'autres que toi et moi. - Quatorze jours encore et plus que douze quand tu auras cell-ci. - Tu me reproches, et je l'avoue, avec q.q. apparences de raison, d'être trop ordonné. Mais ne dois-je pas l'être pour nous deux? Si je ne t'énumérais pas q.q. fois les objets dont j'aurai besoin pour sortir, tu en omettrais certainement q.q. uns. Ainsi, tu t'imaginerais peut-être que j'aie ici une limace. Eh bien, je n'en ai pas du tout. Le jour de mon départ involontaire je n'en avais pas sur moi, toutes étant en lessive. - Comme tu penses, je n'ai pas encore de réponse définitive au sujet de l'heure de ma mise en liberté. J'en ai parlé et je crois que cela pourra s'arranger comme je t'ai dit vendredi. Je le saurai sans doute avant ma prochaine lettre et te le dirai. - C'est donc entendu, et tu passes les dernières deux journées chez D.[omela]. Je te conseillerais d'y aller déjà le jeudi. Tu y coucherais et le lendemain, vendredi, jour de visite, tu aurais tout le temps pour venir ici et, au besoin, prendre en route des choses que tu me dois apporter. Ne crois-tu pas toi-même que cela vaudra mieux que de ne | |
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partir de Westzaan que le vendredi matin? - Tu me dis dans ta lettre d'hier que c'est l'anniversaire de Ma ‘dimanche prochain’. Est-ce aujourd'hui, dimanche 24 janvier, ou bien dimanche en huit? As-tu pensé à un petit cadeau pour elle? Je lui en ferai un aussi quand je serai libre, ainsi qu'à Maarten. - 6 heures soir. Je reprends ma lettre interrompue par le ‘diner’ et la promenade. Il fait trés, très froid, mais néanmoins cette demi-heure (une pauvre petite ½ heure par jour!) de respiration en plein air me fait du bien. - Je viens de recevoir à l'instant ta lettre de samedi. Tu te plains d'insomnie. Et moi donc. Pas une nuit je ne m'endors avant 1 heure, 1 heure et demie, pour me réveiller vers 6 heures du matin. Aussi bien je suis très fatigué. Lundi passé j'ai eu un peu de fièvre et je me suis mis au lit. Le lendemain cependant j'allais mieux déjà. - Je viens de terminer la lecture d'un roman de Tourguéniev: ‘Pères et Fils’. Je voudrais que tu puisses le lire aussi: des caractères si bien dessinés! - Non, je ne suis plus passible de ‘treize’ et de ‘vingt-huit’ jours. Mais bien de cette grotesque garde nationale. C'est a dire si nous habitons dans une ville où il y en a. Mais je serai de toute façon réformé pour mes yeux. 11 ne me manquerait plus que cela, vraiment! - Qu'est-ce que tu dis de ma barbe? Comme elle pousse, n'est-ce pas? Elle est un peu inculte, mais je ne veux plus qu'on y touche ici. - Est-ce que tu lis maintenant régulièrement les journaux français et notamment le P.[ère] P.[einard]? Il me semble que cela doit te distraire un peu. Puis, il faut maintenant ne plus trop te faire du mauvais sang. Pense, douze jours encore, quand tu auras ma lettre. Et pour aussi monotone, que soit ta vie, elle l'est moins encore que la mienne. Si je devais faire trois autres mois encore, je serais fou ou mort. Enfin, dans quinze jours tout cela sera passé. Tu sais ce que j'ai l'intention de faire? Je crois qu'il est impossible avec la qualité de bois que j'ai en a Watergraafsmeer de fabriquer des meubles solides. Les vis et les clous n'y tiennent pas, a prouve les tabourets. A Westzaan le bois est bon marché, je crois. J'achèterai, par l'intermédiaire de Piet, quelque autre bois et je referai tout. Et je te ferai tout ce que tu voudras! Tu sais, en cette espèce de bois dont Piet à fait une planche a repasser pour sa femme. C'est un peu plus cher que le bois blanc, mais c'est bien plus durable et solide. Puis nous ferons des médaillons en platre. Je dis ‘nous ferons’ et c'est peut-être un peu risqué. Peut-être que tu ne voudras pas davantage m'aider a ce ‘métier’. C'est pour te taquiner, car je sais que [tu] voudrais bien le faire, pas? J'aurais envie de faire faire un moule en caoutchouc mou, si seulement je savais où m'adresser. Avec un moule semblable on pourrait en faire une grande quantité en peu de | |
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jours, et d'une pureté parfaite. J'en placerai facilement deux cents. Mais d'abord... quelques semaines de repos, de repos absolu. J'en ai besoin, je t'assure, et toi aussi. Pendant ce temps je ne veux ni lire, ni écrire, ni penser a rien qu'au repos et au bonheur d'être avec toi. La lutte pour la vie viendra assez tôt. Après cela j'irai voir q.q. personnes en différents endroits pour le canton. Et si tu le veux, nous irons prendre le café dans ce petit endroit que tu sais. Ce délicieux café, à la crème frappé... et un petit verre de chartreuse. Et les moelleux fauteuils et les tapis persans. Mais, c'est vrai, j'allais oublier que tu ne veux pas aller avec moi et que je dois y aller tout seul. Pardon, chérie, et mettons que je n'aie rien dit. J'irai prendre le café tout seul. - Ne te casse pas la tête pour les cigarettes a apporter aujourd'hui (dimanche) en quinze, à la sortie. Je ne sais pas moi-même le nom du tabac qu'il me faudrait. Pour cela je dois aller aux bureaux de tabac moi-même et demander à voir plusieurs qualités. - J'attends tous les jours une lettre de mon frère. Il faut qu'il m'envoie un peu d'argent ici. Si à la fin de cette semaine je n'ai pas de tes nouvelles, je veux lui écrire. De toute façon arrange-toi pour conserver deux ou trois florins pour le jour de ma sortie. C est a dire si tu peux le faire. Car moi j'aurai a peu pres 4 florins a toucher ici de mon travail. Mais ce n'est pas beaucoup et la-dessus il faudra payer la voiture, si toutefois je sors de bonne heure le matin. Et je n'aimerais pas arriver à Westzaan sans un sou dans ma poche. - Je me propose, si tu n'y vois pas d'obstacle (et si Piet ne vient pas à Amsterdam auquel cas il faudra s'en aller à Westzaan de très bonne heure) de diner au restaurant. J'ai une furieuse envie de beefsteak et chez Domela on est végétarien comme tu sais. Ne parle pas de cela, ni chez Piet, ni chez D. Mais si tu savais cette rage que j'ai de dévorer de la viande. C'est presqu'une obsession! Nous prendrions alors le train vers 2 ou 3 heures, c.-à-d. s'il y en à un a ces heures. - C'est étrange: tantót ce jour de ma libération me semble tout proche, tantót cela m'a l'air d'être encore bien loin. Mais finalement, il faut bien que cela finisse, pas? - Dis-moi dans ta réponse ce que tu penses de mon idée, que tu partes le jeudi pour Amsterdam au lieu de vendredi. Mais ce sera comme tu voudras. - Aujourd'hui, dimanche, la journée m'a paru bien longue, mais je n'ai pas été trop triste. Encore un dimanche a passer ici! Surtout ces derniers jours, ne flanche pas et écris-moi, comme par le passé, tous les jours. Comme j'ai dit: une carte postale, à la rigueur, mais écris tous les jours. Je suis si nerveux a présent que quelques heures de retard seulement me plongent déjà dans le désespoir et l'angoisse. A propos: pourquoi donc n'écris-tu pas dans la journeé et ne mets-tu ta | |
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lettre à la poste vers quatre, cinq heures, pendant qu'il fait clair encore, au lieu de faire cela le soir? Est-ce que les routes sont très glissantes en ce moment-ci? - Comme tu as été bonne et courageuse de m'écrire encore le soir même où tu es tombée! Et comme je t'aime pour cela. Ah, que de choses que j'aurai a te dire, Kaya aimée. (Ça fait deux fois, n'est-ce pas?) Pendant q.q. semaines au moins nous serons bien, bien à nous deux oubliant le plus possible le monde et ses ennuis et ses tristesses. J'ai des plans pour l'avenir... Oh, assez vagues encore. Par exemple (mais ceci n'est pas vague du tout) que je veux tous les jours me lever de bonne heure et travailler, travailler beaucoup! Tu sais combien je suis malheureux lorsque je ne fais rien. Le travail est le seul remède pour tous les maux. Tous mes maux du moins! - Voilà déjà un mois que Helen est partie. Elle sera arrivée dans une huitaine, dix jours tout au plus. A-t-elle l'intention de revenir en Europe au mois de juin de cette année? Elle devrait bien nous apporter un laughing jackass. Cela m'amuserait beaucoup. Est-ce que celui d'Olive vit encore? Quant à Olive elle n'a pas trop tenu parole. Elle n'a pas une seule fois écrit depuis ton retour de Londres. Tu comprends, si je désire recevoir des lettres c'est plutôt comme passe-temps. Les seules lettres qui m'intéressent (et que j'aime) sont les tiennes. Que serais-je devenu si tu n'avais pas si courageusement écrit tous les jours. Je crois que depuis longtemps je serais fou! Très sérieusement! - Tu sais quel genre d'occupation quelquefois me semble enviable? A gentleman's secretary. Oui, cela me plairait beaucoup. Un véritable gentlemanpar exemple. Comme M. Rossetti! N'est-ce pas que cela doit être agréable d'être le secrétaire d'un homme semblable, de travailler avec lui a des livres intéressants, de faire des recherches au British Museum dans de vieux bouquins etc. Cela me plairait. Ou d'accompagner (avec toi naturellement) un gentleman a humeur vagabonde en des voyages a travers le monde. Ce serait vraiment pour nous deux le rêve réalisé. - Je te prends q.q. lignes pour les Piet! C'est bien, pas? Et puis le reste de ma lettre est si serré! - Courage, chérie, quelques jours encore! Tous les baisers de mon âme pour toi, Kayouchka, et un million a part sur ton oeil poché.
Ton Sandro qui t'a-do-re!
Waarde Piet, Jansje en familie. - Nog twaalf dagen als gy dezen brief ontvangt. Maar die laatste tyd duurt vreeselyk lang. Gy hebt gelyk, ook | |
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ik ben niets gesteld op die herrie en sprak er al over. Best mogelyk (maar ik weet het nog niet zeker) dat ik er 's morgens heel vroeg uitkom. Kaya zou my dan met rytuig komen halen kunnen. Maar des Zaterdagavonds dat gaat niet, heeft men my gezegd. - Dus nog één zondag hier door te brengen. - Nieuws is hier natuurlyk niets, dat begrypt gy wel. En by u ook niet veel, niet waar? Nu, hartelyke groeten aan u allen, grootmoeder, enz. En tot ziens, spoedig nu.
Uw vriend Alexander
(Groeten aan Ma en Maarten)
Dès que je serai libre, j'écrirai a Barmaand et aussi aux Bastiéx. Je veux le plus possible hater la publication d'un volume de Multatuli. Quant à l'éditeur, rien ne sera plus facile que d'en trouver un. - Comme j'écris mal aujourd'hui, pas
L'autre fois, dans une lettre, tu m'as demandé si nous allions voir Betje et son bonhomme. Bien sur. D'autarit plus que nous devrons un jour aller la, à la maison communale, pour y demander ton billet de déménagement. Je suis curieux de voir la tête du... Tu sais qui je veux dire.
Tu veux une bicyclette, pas? Bien, écoute: tu veux une bicyclette, tu n'en auras pas, ma chère, tu rirais de ma binette. T'auras pas de bicyclette! C'est pas mal, hein? Pauvre chérie, je voudrais pouvoir t'en offrir une!
Oui, fais ton possible pour avoir fini ta robe avant que nous partions de Westzaan, mieux encore avant ma libération. Pour n'avoir rien a faire quand nous serons ensemble, pas? Tu seras paresseuse a ton tour. Tu l'auras bien mérité, je crois. Et puisque pour toi c'est le suprême bonheur. Et pourquoi pas!
Sans doute tu auras celle-ci lundi soir. - Ma lettre n'est pas trop gaie, mais pas trop triste non plus, n'est-ce pas? A bientôt, ton Sandro.
Fais mes amitiés à grand-mère et aux mioches. - Et à l'homme aux proverbes!!! |
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