Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 191]
| |
Aan Kaya Batutaant.Dimanche, 27.12.96 (139ième jour)
Kaya adorée,
Tout à l'heure - dimanche matin 10½ heures - on me remet ta délicieuse lettre de vendredi dernier. Hier, samedi, je n'ai pas eu de lettre et cela m'a fait passer un jour et une nuit bien tristes et pleins d'angoisses.Ga naar eindnoot1 Enfin, ce qui est souffert est souffert, mais j'ai passé une horrible journée hier. - Et maintenant trêve de choses tristes. Hier, samedi, les mois sont devenus semaines et lorsque, chère aimée, tu recevras celle-ci, il n'y aura plus que quarante jours. C'est long encore, évidemment, pour deux coeurs impatients et endoloris, mais tout de même! - Aujourd'hui le soleil est brillant et jette un bel éclat de gaieté dans ma celluie et dans mon ame. - Je veux a présent passer en revue tes lettre de cette semaine: O, dear, dear, how awfully sad your letters of sunday and monday past! For love's saké don't write me any such letters more. They drive me mad. Your are not so horribly nervous as I am - and be glad you are not! - and so you can not possibly imagine what I suffer by the lecture of such letters. Don't speak to me of despair, to me plunged in a state of perpetual sadness and sorrow. I not only understand, but I feel how unhappy you sometimes must be when you can not be alone with your melancholy. I feel how miserable you must be when people speak to you in your sadness. And, it is precisely because I feel it that I suffer doubly. I have to bear my own misfortune and yours. Your monday-letter - that I received tuesday - was written in a sad tune too, but it was not at all painful to me. It was so soft a complaint, and so overflowing from tenderness that it made my heart weak, and I feit so to say your dear, beloved, blessed little head against my ‘waist-coat’ where you tell me that you should wish to let it rest. - No, I have no ‘star’ on my hand, at least not at the place you indicate. Are you happy now? - Baste, j'en ai assez d'anglais pour aujourd'hui. Il y a comme cela des jours où j'aime mieux écrire en anglais et d'autres où je préfère le français. Je pense toujours en français et s'il m'arrive q.q. fois de parler a haute voix, seul, c'est toujours en français. Jamais en hollandais. - Merci, des belles pages - belles dans le triple sens de grandes, joliment copiées et magnifiquement écrites - de Salammbô.Ga naar eindnoot2 Ma foi, si ce livre ne | |
[pagina 192]
| |
te plaît pas, tu es difficile. Je trouve cela d'une richesse de langage extraordinaire. Et quelle verve évocatrice! En lisant ces pages, c'était comme si j'assistais aux scènes décrites. C'est un véritable enchantement. Tu me feras grand plaisir si tu continues a me donner des passages de ce livre. Mais que ce ne soit pas au détriment de tes lettres, lecture préferée a celle de tous les livres écrits et à écrire (y compris ceux de Lucette: 5 volumes de 375 pages chaque). Tu me dis: ‘I dreamt that you kissed me.’ How many times you dreamt that dream? If you were to dream it every time I do it, you would dream night and day. Non, chérie, la communication de ton plan de vendre ‘le plat d'or mat’ ne m'a pas peiné du tout. Pas le moins du monde. Et je suis entièrement converti à la bicyclette. Cette conversion m'a d'autant moins coûté que, toujours, ce n'était que pour te taquiner que j'en parlais avec dédain. N'as-tu jamais aperçu cela? Mais c'eût peu poétique et un peu grotesque si je t'avais offert ‘mon coeur et mon âme sur une bicyclette’. N'est-ce pas? Si ton pauvre cher petit coeur est froid, comme tu dis, patiente et console-toi. Je viendrai bientôt le réchauffer contre le mien, qui, souvent aussi, a bien froid - seul. Mais lorsque de nouveau nous serons ensemble ce froid disparaîtra comme la neige au soleil. Non, les pierrots ne viennent presque plus. C'est d'autant plus étonnant que la neige leur coupe leurs vivres ordinaires. Mais aux quelquesuns que j'aperçois, je remarque que ce tapis blanc les effarouche. Avant la neige ils s'approchaient à moins d'un mètre de moi, et maintenant ils restent a distance. Et au moindre mouvement que je fais, ils s'envolent. Mais a présent que la neige a disparu, ils reviendront sans doute à l'ancienne familiarité. Non, je ne tiens pas aux ballades du livre du Crocodile. Elles sont trop tristes. Mais je ne connais pas du tout ton rêve de la coquille de noix et de la Cour du Dragon. Si ce n'est pas triste raconte-le-moi. Mais surtout ne m'envoye plus de choses tristes. Je ne les puis plus supporter. - J'ai enfin eu mes trad, de Muit.Ga naar eindnoot3 Pas toute la Revue, mais ces pages détachées. Lorsque je vis que cela n'avangait guère, j'ai demandé a avoir ces pages seulement, et on me les a données sans plus de difficulté. Le portrait de M. est assez ressemblant, mais il y a quelques petits défauts. Mais ce n'est pas non plus facile de faire un ‘bois’ d'après la reproduction du portrait de M. dans le ‘Mercure’.Ga naar eindnoot4 J'ai appris par une lettre que le Handelsblad, dans sa correspondance parisienne, publiait une note louangeuse au sujet de ces traductions.Ga naar eindnoot5 Le ‘moindre grain de mil’, dans | |
[pagina 193]
| |
la forme de mon élargissement à la fin d'août, eût mieux [fait] mon affaire. Tu t'es donc battue à boules de neige, avec Piet? Les fragments de Salammbô se suivaient très exactement et la dernière phrase du premier morceau était bien celle que tu citais dans ta lettre de jeudi. Il est maintenant 4 h. du soir. Je n'ai pas encore ta lettre de samedi. Je pense que peut-être, à cause de Noël, il n'y ait pas eu de levée hier soir tard. Il est possible que je la regoive ce soir encore, vers 8 heures, ou, si non, ce sera pour demain. J'ai obtenu de pouvoir écrire une lettre à Domela. Je ne la lui enverrai que mercredi prochain, de façon a ce qu'il la reçoive jeudi, jour de sa fête. Je lui dirai en même temps ce que je désire qu'il écrive à H.[unter] W.[atts]. De la sorte tu n'auras pas besoin d'aller à A.[msterdam] pour cette affaire. Cela te fait plaisir, pas, petite flémarde? - Et mes traductions? Tu ne les as donc pas lues encore? Avant de les avoir, tu t'impatientais. Et a présent tu ne les lis pas. Si d'ici au 8 janvier (date de ta prochaine et très impatiemment attendue visite!) Félix n'a pas donné signe de vie encore, tu lui expédieras et les traductions que tu as a présent et celles que probablement on te remettra ce jour-la. Il y aura bien, dans le tas, encore quelques petits fragments qu'il pourra publier.Ga naar eindnoot6 Et je voudrais qu'il me renvoyat le reste pour les tout premiers jours de février au plus tard. Enfin, je te parlerai de cela encore. - Mais lis maintenant les fragments que tu as en mains et dis-moi ce qui t'aura plu là-dedans. Hier soir j'ai eu une lettre dont la lecture m'a fait plaisir, quoique la réception m'en avait causé un assez vif dépit. Lorsqu'on venait me l'apporter, vers huit heures, je pensais d'abord que c'était la tienne. Personnellement je ne connais pas le monsieur qui m'écrit et jamais nous ne nous sommes rencontrés. La signature que je regardai d'abord - car la lettre était très longue - me rappela un compagnon d'infortune aus Indes, à l'époque de ma détention militaire, du boulet etc. Mais nous étions peu intimes: moi j'étais toujours puni, lui jamais. Même, pour ne pas être ‘mal noté’ chez les crapuleux galennards, nos chefs, il évitait mon contact. (Il n'était pas le seul. Il n'y avait que les chics types, indisciplinés et rebelles qui me hantaient.) Mais pour en revenir à la lettre. Eh bien, elle n'était pas de mon ex-codétenu, mais de son frère qui habite un tout petit endroit, un village de pêcheurs aux bords de la mer du Nord.Ga naar eindnoot7 Une lettre très gentille où il est question du frère - décrit comme aussi imbécile après qu'avant: il est revenu des Indes depuis quelques années - et finissant par... danse, saute, trémousse-toi, crie de | |
[pagina 194]
| |
joie! Non, je ne te le dirai pas tout de suite! Je veux aussi un peu te taquiner, comme tu me taquinais avec le récit de tes boules de neige et tes ‘rages’ lorsque tu fumais des cigarettes à Londres avec Helen (Helen est sans doute partie, jeudi dernier, n'est-ce pas? As-tu encore eu de ses nouvelles?). Oui, c'est d'un tout petit endroit au bord de la mer du Nord (pas la mère Fournière!) que m'est venue cette lettre. Il n'y à la que des pêcheurs, et puis il y à la des dunes, et puis... puis rien que la mer sans fin. Est-ce que tu aimerais aller là-bas, passer deux ou trois semaines avec moi, quand je serai libre? Il fera encore bien froid a cette époque et la mer sera bien furieuse. Mais je sais que cela me fera grand bien. Eh bien, l'auteur de la lettre me demande, nous demande, au nom de sa femme aussi, de venir passer quelques jours chez eux. Mais il suppose que le mauvais temps nous effrayera et que nous aimerons mieux y aller l'été. En toute autre circonstance j'aimerais en effet mieux l'été, ou du moins, un mois plus doux que février. Mais pour ma sortie de prison, je ne désire rien de plus ardemment que d'aller respirer, en n'importe quelle saison, l'air de la mer. J'écrirai donc a ce monsieur, dès que je serai libre, que je préfère profiter de son aimable offre tout de suite que plus tard. Qu'en dis-tu? Nous irons nous promener sur la plage, et nous escaladerons les dunes pour ensuite nous laisser rouler de haut en bas, nous fumerons des cigarettes et nous nous embrasserons et pendant quelques jours du moins nous oublierons toutes les imbécillités et les tristesses de ce monde. Nous ne verrons que le ciel et la mer, peu ou prou de maisons, pas de cheminées d'usine, pas de fumée sale, et nous tacherons le plus possible de vivre en sauvages. Qu'en penses-tu, ma petite sauvage? Tu y laisseras flotter tes cheveux, tu t'habilleras comme tu voudras, nous courrons, nous sauterons, point à la dynamite! et nous verrons et nous entendrons respirer la mer qui nous racontera ses peines et ses fureurs. Tu sais que je comprends le langage des oiseaux, n'est-ce pas? Combien de fois t'ai-je raconté ce que se disaient nos jolis petits de Willesden Green! - La-bas nous entendrons les mouettes avec leur cri plaintif et pergant. Je nous vois déjà en pensée roder au bord de la mer. - Ne parle provisoirement de cette affaire a personne. Cela ferait de la peine à Piet et Jansje de penser qu'à ma sortie d'ici je voudrais aller à la mer plutôt qu'à eet ennuyeux Westzaan. Aussi ne pourrons-nous pas y aller tout de suite. Il faudra bien rester q.q. jours à W. - Piet a donc été au congrès!Ga naar eindnoot8 Je n'aime pas du tout ce genre d'excercice, mais pour cette fois j'aurais aimé être à sa place, sans pour cela lui souhaiter d'occuper la mienne. Non a cause des agréments qu'offre un congrès, | |
[pagina 195]
| |
mais simplement pour ne pas être ici. - De Domela je n'ai pas eu de lettre depuis le 6 octobre, plus de 2½, mois. Aussi bien, après lui avoir souhaité sa fête, je le gronderai d'importance. - Maintenant, coeur de mon ame, ne sois plus triste et ne désespère plus. Pense donc: 40 jours encore sur 180! Ecris-moi de belles lettres gaies, ou, du moins, pas tristes. - Je te fais des compliments pour ton écriture. Magnifique, vraiment. La mienne devient plus horrible tous les jours. - Chérie, il faut que je te chipe quelques lignes en faveur de la familie del Moulinare. Je les réduis au strict nécessaire. ‘Il faut, il faut, du coeur, de l'énergie - ie - e.’ Cent millions de baisers sur tes yeux et ta bouchette,
de ton Sandro
Beste Piet, Jansje en verdere familie. - De maanden zyn tot weken geworden, en als gy dezen ontvangt, blyven er nog 40 dagen van de 180 over. Toch zie ik nog tegen die 40 op, maar die laatste dagen zyn zeker altyd moeilyk. Ik bedank Maarten wèl voor zyn lief versje. Wanneer schryf jy weer eens, Piet? En hoe staat het met den molen? Is de wind goed? En de machine waar je van sprak, staat die er al? Kaya heeft my verteld dat zy met je gevochten heeft met sneeuwballen en dat zy de volle laag kreeg. - Dezen keer duurt het lang tusschen Kaya's bezoeken: 3 weken namelyk, van 18 december tot 8 januari. Maar dan ben ik weer een heel eind verder heen. Nu, de groeten aan grootmoeder, de kinderen en anderen van uw vriend.
A. Cohen.
De kinders zeker vacantie
Ma barbe pousse avec une rapidité foudroyante. Et mes cheveux aussi. - Comme tu m'as peu répondu à ma lettre de dimanche dernier. - Et moi qui réponds si correctement aux tiennes. Ça n'est pas honnête non plus, tu sais!
7 heures soir: pas de lettre encore de toi, chérie, et il n'y en aura plus ce soir. N'en as-tu pas écrit samedi, ou bien ne l'as-tu mise à la poste que le lendemain (dimanche)? Je me coucherai assez tristement. Pourvu que j'en ai une demain, au moins. J'espère que tu auras celle-ci lundi soir, à 7 heures. Je ferai le possible pour cela. | |
[pagina 196]
| |
N'est-ce pas que tu me diras ce que tu penses de ce séjour au bord de la mer, que nous pourrons faire? Car, si, par hasard tu n'en avais pas envie je déclinerai l'offre. Fais mes amitiés à tout le monde. P., J., les enfants et notamment a grand-mère. Quant à l'homme stupide et parfumé et à son épouse sourde, tu les salueras si tu veux.
Ton Sandro.
Ces trois jours de fête dont la perspective m'horripilait se sont mieux passés que je l'avais cru. J'ai traduit un peu - quelques passages assez difficiles! - et j'ai lu. Hier j'étais horriblement triste, parce que pas de lettre de toi. Aujourd'hui cela va mieux. Une belle douce lettre de toi, et du soleil. Comme ta lettre m'a fait plaisir! Je suis si heureux de savoir quelle délicieuse journée paisible tu as passée vendredi.
Dans la lettre que j'eus hier soir, on me dit que cette jeune fille que nous avons une fois vue chez Domela a été condamnée à huit mois. Pauvre enfant! Elle s'est pourvue en appel, mais pour ce que cela donnera!
Si tu vois q.q.ch. de nouveau dans les canards, qui pourrait m'intéresser, dis-le-moi. - Est-ce que le petit tanneur va toujours bien? Et Méline aussi?
J'ai moi-même biffé les six lignes au commencement de ma lettre. Encore cinq lettres que tu auras de moi d'ici après la présente! Ça se tire! Ça se tire! Ça se tire! Ça se tire! |
|