Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Samedi (soir) 19.12.96 131iéme jour
Kaya chérie,
Combien amusante ta lettre d'aujourd'hui (Ecrite hier, vendredi!). Non, nous ne sommes, ni l'une ni l'autre, des ‘utilitaires’. Je dis hélas, car c'est tant pis. Pour nous-mêmes. Mais je ne veux pas commencer ma lettre par des considérations peu agréables et ennuyeuses. - N'est-ce pas que notre entrevue d'hier était de beaucoup la moins pénible de toutes, eues jusqu'ici. Il est assez difficile, étant donné les conditions dans lesquelles nous nous voyons, de parler d'entrevues ‘agréables’. Mais hier c'était gai, plutôt. Mais comme les quarts d'heure se passent vite! - On ne m'a pas encore donné la R.B. Je ne saurai que mardi au plus tot si je l'aurai du tout. On doit d'abord demander cela au président. Du moins, en as-tu une autre? J'avais demandé à F.F. de t'en envoyer deux. Hier et aujourd'hui j'ai assez bien travaillé. C'est que j'etais moins morose que les jours precédénts - grâce à ta visite. - Non, ce ne sont pas des bas. Rien que des chaussettes. Heureusement, elles sont chaudes. Hier après-midi j'ai eu The Prince's ProgressGa naar eindnoot1 que j'ai lu avec beaucoup de plaisir. Comme c'est suave, n'est-ce pas? J'en avais lu des fragments déjà, à Londres. Comment te dire rna gratitude pour toute la peine que tu te donnes pour moi. Car c'est un grand marceau, The P.P. Je me | |
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rappelle très bien le dessin de D. Gabriel, du lit de la princesse morte. N'est-ce pas?Ga naar eindnoot2 J'ai été un petit moment fâché ou, plutôt, vexé. Dans tes lettres tu m'avais à plusieurs reprises demandé mon opinion sur ton anglais. Tu m'encourages même - ce qui n'était pas nécessaire - de te dire mon opinion sans ambages. ‘I am strong enough to support criticism.’ Et lorsque hier, très conformément à la vérité, je t'ai dit que tu faisais d'énormes progrès mais que, au lieu de I mean, il fallait dire I think, tu m'as traité de ‘professeur’. S'il y à un titre qui me déplaît, c'est celui-la. J'ai toujours eu la haine du pion. Tu sais qu'à Londres, lorsque je parlais anglais, je demandais toujours à Olive et à Helen de me corriger si je faisais des fautes. - Je veux croire et, au fond, je crois, que tu as dit cela pour me taquiner. Est-ce vrai? As-tu lu les Multatuli? Comment les trouves-tu? Très drôle, n'est-ce pas, la petite histoire d'Abraham et d'Ezéchiel qui se traitaient réciproquement de ‘cochon’ et de ‘chien’.Ga naar eindnoot3 Et cette autre: Panification et Immortalité.Ga naar eindnoot4 Cela m'a fait penser a Grave. Je serai curieux de savoir comment, du temps où il était ‘gniaf’, il ressemelait les ripatons qu'on lui confiait. Ses ‘conférences’ imprimées sont bougrement lourdes. Et Hamon! Voilà un bonhomme fait pour être bibliothécaire. Ranger, classer, étiqueter, voilà son hobby.Ga naar eindnoot5 Comme gardien dans un musée comme celui de Kensington, ou le Natural History M. il serait précieux aussi. Pourquoi, nom de Dieu, écrit-il, eet animal? Il a bon coeur, je crois, et il n'est pas tout à fait dépourvu d'esprit. Je l'ai rencontré à Londres, au congrès. D'abord il faisait semblant de ne pas me voir, même lorsqu'il était à 12 centimètres de moi. Moi, je lui aurais bien dit bonjour, si je n'avais pas craint qu'il eût considéré cela comme une espece ‘d' amende honorable’ pour l'article ou je l'avais ridiculise. Finalement il se précipita dans ma direction et me tendit la main avec un: Bonjour, Cohen, comment allez-vous, très sonore. Et moi de répondre à la poignée de main et au salut par un non moins vigoureux: Très bien, Hamon, et vous? - Et cela m'a fait plaisir, car si j'ai tout contre les produits scientifico-littéraires de eet homme, je n'ai rien absolument, contre lui-même. - Lorsque H. fit sa première apparition au congrès, en culotte et en cape de bicycliste, ce pauvre Nettlau, inondé de sueur, vint auprès de moi. ‘Je vous en supplie, Cohen, lorsque vous verrez H. me causer, ne me regardez pas, car j'éclaterais de rire.’ Je te jure que ce brave N. faisait pitié a voir. Il est timide comme une jeune fille... de roman (dans la vie réelle les jeunes filles ne sont pas timides du tout, beaucoup | |
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moins en tout cas que les jeunes ‘hommes’) et l'idée de s'esclaffer au nez et à la barbe du sociologue professionnel le terrorisait littéralement. Enfin tout s'est bien passé, et Hamon et moi nous avons bu plus d'un bock ensemble. C'est le Père P. qui le remorquait, mais H. était convaincu que c'était lui, et personne autre qui menait tout le congrès. C'était vraiment très amusant. ‘Glorious’ comme dirait Rake. Oh, ce congrès. Je m'y suis disputé avec les grands Lamas du socialisme allemand, Liebknecht et Singer. Eux avaient commencé, au sujet de l'article du Figaro (qu'en trois ans ils n'avaient pas trouvé moyen de digérer) et celui du R.v.A. Moi, je leur ai demandé des nouvelles de l' ‘ami’ Lindemann.Ga naar eindnoot6 Bref, échange d'aménités. Maintenant tu te mets a ‘chiner’ mes tabourets? Tu me payeras tout cela! - Tu dois avoir mal lu la note au sujet de Mossieu le citoyen Fournière. Tu dis qu'il fera une conférence sur: ‘l'idéalisme dans la sociologie’. N'est-ce pas plutot de ‘l'idiotie dans la socialisme’ qu'il parlera? Je suppose qu'à la fin de la conférence Fanny dansera la Carmagnole en costume primitif. ‘L'âge et l'idealisme sociologique bravent l'honnêteté.’ Et puis: on peut bien voir ce qui est beau, n'est-ce pas, Ugène? Brunetière n'a qu'à bien se tenir. Une attaque combinée, de Fournière et de Fanny, brrr! Oui, tu seras mon artiste capillaire. Je me livre, entièrement. Très concise ta biographie de Theuriet:Ga naar eindnoot7 il est maire, il a écrit une trentaine de bouquins et il est laid. E basta! Et Zola? A-t-il été candidat? Et dis-moi, en remplacement de qui Theuriet a-t-il été élu. Quel académicien est donc mort depuis que je suis ‘dedans’. - Sept semaines encore, chérie, à partir d'aujourd'hui. Tu auras encore 6 lettres après celle-ci. - As-tu dit à Domela qu'il m'écrive? As-tu flétri comme il fallait l'indolence des gouailleurs? - Ce doit être une trotte de la prison au Haarlemmerdyk! Mais je crois que l'on passé - ou peut passer, du moins - par un beau pare, le Vondelpark? Moi, je ne connais pas du tout ces parages, et j'ai fait le voyage dans l'omnibus gouvernemental, autrement dit ‘panier a salade’ (à Paris) et Black-Maria (à Londres). Cette pauvre Jo tousse donc? Rien d'inquiétant, j'espère Pourvu que F.F. ne borne pas a ces quatre pages ce qu'il publie dans la R.B. - Voici ce que je voudrais que tu dises à Domela. Demande-lui d'écrire, un de ces jours (le plus vite vaudra le mieux) à H.W. à Londres, pour demander si celui-ci est disposé a publier, dans son journal, des fragments intéressants de Multatuli, et dans quelles conditions. Il faudrait qu'il paye un bon prix la page. Ces pages étant très grandes, il | |
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faudrait au moins qu'il payat 2× autant que la R.B. Domela doit lui tenir la dragee haute et lui dire que j'ai, pour ces traductions, nombre de débouchés. Il peut lui parler de la R.B., de la Soc. Nouvelle etc. Si H.W. accepte, tu écriras a F.E pour lui redemander les morceaux qu'il ne publie pas. Mais que F.F. les parcoure d'abord consciencieusement et, au besoin, fasse les corrections nécessaires, qui, j'en suis sur, ne seront guère nombreuses. Avant d'expédier alors quoi que ce soit à H.W., tu me diras sa réponse sans me parler de menouille. Tu me diras simplement si ses conditions te paraissent, ou non, acceptables. Ensuite, tu me donneras la nomenclature des morceaux renvoyés par F.F. et moi je te dirai lesquels il faudra envoyer à Londres. - Maintenant, écoute bien ceci: fais, pour une fois, exactement, et rapidement, ce que je te dis plus haut. Le mieux serait que tu allasses un jour à Amsterdam avec Piet, mais informe-toi d'abord si D. sera chez lui ce jour-la. Tu lui diras ce que je voudrais qu'il fît, ou mieux encore, pour te faciliter la besogne, tu lui liras le passage de ma présente lettre le concernant. - Ceci est très pressé et de la plus haute importance. N'oublie pas que nous n'aurons pas le sou lorsque je sortirai et que je ne veux rester que très peu de jours à W. chez Piet.Ga naar eindnoot8 Si donc avant ou pour ma libération nous pourrions avoir quelque galette, j'en serais on ne peut plus heureux. H.W., il l'a dit à D., tient beaucoup a ma collaboration. Il a lu quelques fragments de Muit, qu'à l'époque je publiai au Mercure et il en est tout enthousiasmé. C'est donc assez probable qu'il voudra lui-même en publier. Et nous serons, provisoirement, hors d'embarras. - Maintenant ne sois pas indolente, ne pense pas que ce n'est pas pressé, et fais ce que je te prie de faire. Et aussi vite que possible. | |
Dimanche, 20.12.96. Quatre heures soir.Lumière, et continuation de ma lettre. Toute la journée il à fait tellement sombre qu'il m'a été impossible de lire ou d'écrire. Tu penses comme j'ai dû m'amuser. Et dire que cette semaine il y aura 3 soirs semblables et consécutifs. (Pourvu qu'il fasse un peu plus clair qu'aujourd'hui!) Vendredi et samedi prochains, c'est Noël et le lendemain de Noël c'est encore dimanche. Comme ce sera embêtant! J'y pense: surtout dans tes lettres de jeudi, vendredi et samedi prochains n'écris que du français. Pas d'anglais du tout, même pas des choses copiées. Les jours de fête et dimanche la personne qui lit ordinairement mes lettres n'y est pas et alors c'est un autre qui seulement lit le français mais pas de l'anglais. Si | |
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donc tu écris en français, j'aurai tes lettres tout de même. Sans quoi je serais trois jours sans. Ce serait terrible! Donc, ne l'oublie pas, n'est-ce pas Oui, cette pièce de JarryGa naar eindnoot9 doit être bien, si toute la presse crie haro dessus. Et comme c'est drôle: en lisant que quelqu'un avait crié dans la salie ‘vous ne comprendriez pas davantage Shakespeare!’, je pensais tout de suite, mais tout de suite que c'était Félix avant même d'avoir vu que tu faisais la même remarque. Ce doit donc être lui en effet. C'est comme si je l'avais entendu de mes propres mains. N'est-ce pas, donne le petit mot à Jansje seule. Dans sa dernière lettre elle m'avait dit q.q. chose au sujet de Piet, de son travail dur, de sa fatigue, qu'il continue tout de même sa propagande etc. Et elle me demande mon avis, mais me prie de n'en rien dire à Piet. Je ne lui dis pas grand'chose mais je lui en causerai après, quand je serai libre. Tous ensemble nous en parlerons. Je le colle expressément dans ta lettre, pour que tu ne sois pas tentée, dans un premier mouvement, de donner le petit mot à Piet. Et cela causerait peut-être des ennuis à J. Tiens, moi aussi, j'ai pour toi quelques jolis vers (de Dryden)Ga naar eindnoot10 que j'ai trouvés dans un livre. Voici: ‘Is not Love love without a Priest and Altars The Temples are inanimate, and know not What vows (voeux) are made in them; the Priest stands ready For his hire (salaire) and cares not what hearts he couples. Love alone is marriage...’ C'est très bien, n'est-ce pas? Et pour un Anglais doublement! Ce mois de décembre est pour moi plein de souvenirs. Et plus spécialement le Christmas. Le 25 décembre 1886 - il y aura donc 10 ans vendredi prochain - je sortis de la prison militaire à Semarang, après 2 ½ ans de détention, agrémentée de cachots, de fers et de boulets de 40 livres aupied. En 1887 j'étais à la Haye. En 1888 à Paris. 1889 Paris. 1890 Nice. 1891 Paris. 1892 Paris. Le 25 décembre 1893 je m'embarquai, exilé du sol de France, pour la perfide Albion, où j'arrivai le lendemain, bank-holiday. Pluie, brume, brouillard. Effrayant! Eté trouver Bernard à Percy Street et après promenade avec lui et Adèle. Vu danser les petites filles sur la musique d'un orgue dans Charlotte Street, de la fenêtre de l'hôtel de Percy Street. Trois jours après, mon coeur, tu arrivais. Te rappelles-tu mon engueulade avec ce puant mouchard à Victoria? 1894 - Christmas à Neasden. L.S.B., d'Axa,Ga naar eindnoot11 Herrigan,Ga naar eindnoot12 Lawrence, Alice.Ga naar eindnoot13 1895 Christmas à Primrose Hill. Agréable. Doux. Cosy. Conversation | |
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plaisante. Delightful smoking. Départ et rentrée simultanés. Un an déjà! Et ici, le temps passé si lentement, si lentement. Enfin, encore sept semaines... moins un jour! Le 31 décembre c'est l'anniversaire de Domela. Le Saint-Sylvestre, c'est facile à retenir. Aussi bien, depuis 1887, je n'ai jamais manqué de lui souhaiter sa fête. J'aimerais le faire aussi cette année. Il aura 50 ans. Comme vendredi tu t'es plainte d'une lettre peu serrée de dimanche dernier, je ne veux pas prendre sur celle-ci de la place pour écrire à Piet. Mais dimanche prochain il faudra bien que tu lui sacrifies une ½, page. Fais-leur mes amitiés, à Piet, les enfants, grand-mère etc. Dis que j'ai appris avec plaisir que Maarten apprend si bien le français. Dans le courant de la semaine je trouverai bien l'occasion de demander si ta prochaine visite aura lieu le ier vendredi du mois prochain, ou bien, le vendredi après le icr jeudi. Pour janvier cela fait une semaine de différence. J'espère que, cette fois-ci, je n'aie pas laissé trop de blancs. Pourvu que je n'aie pas ennuyée avec mes histoires de congrès. Mais que veuxtu, qu'un pauvre reclus raconte de neuf A genoux je t'offre mon âme et mon coeur sur un plateau d'or mat.
Ton Sandro qui t'idolâtre.
Attention! Ci-joint unpetit mot que tu remettras à Jansje.Ga naar eindnoot14 Pas à Piet.15 C'est une réponse à quelque chose qu'elle m'a demandé et elle ne veut pas le sav oir pour Piet. Tâche d'enlever ce petit mot sans le déchirer. Je ne reçois pas de lettres, mais ça m'est si égal. Puisque j'ai les tiennes! Tous les jours! Je crois que pour Watts, qui est un businessman dix ‘bobs’ ne seraient que justice, la page. N'est-ce pas? |
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