Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Dimanche 6.12.96 (118ième jour)
Kaya adorée,
Rouboïrounetta del miou cuoronnet què t'aïme què t'aïme! Je veux commencer ma lettre de cette semaine par des excuses: mea culpa, culpa culpa, mea maxima culpa.Ga naar eindnoot1 J'ai dû être un peu maboul vendredi dernier lorsque je t'ai fait des reproches au sujet de tes lettres. Imagine-toi, chérie, que tes toutes premières lettres après ton retour de Londres me passaient par là tête: des lettres où tu te plains de l'ennui mortel de Westzaan, et de ta tristesse. Tu as même dû remarquer quand je te disais cela que je n'étais pas comme d'habitude. Tu n'as pas idee de l'influence abrutissante qu'exerce la prison sur un système nerveux comme le mien. Depuis une quinzaine, au contraire, tes lettres m'ont presque chaque jour fait rire aux éclats; je les ai lues et relues toujours avec le même plaisir. Et tes jolis dessins! Ton petit portrait (que j'embrasse tous les matins et soirs) et ce magnifique papillon de rêve, et toutes ces mignonnes reproductions de Verlaine! Donc, ne pense plus aux stupidités que je t'ai dites vendredi, sans savoir moi-même ce que je disais. A peine étais-tu partie et moi rentré dans ma celluie que je me rendis compte de ma folie. Mais ici, Kaya adorée, on perd toute notion du temps. Les événements d'hier vous apparaissent comme vieux de quinze jours et inversement. - Pourquoi je n'ai pas mieux profité de ma lettre de mardi soir? Mais, parce que je ne le pouvais pas. Si je t'avais écrit une lettre plus détaillée, on ne l'aurait pas expédiée. Cela a déjà [été] une fois le sort | |
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d'une épître destinée à Domela. Ne crois-tu pas que je t'écrirais tous les jours, si je pouvais le faire? En effet, ‘mirobolante’ ton ode a ‘l'Espèce de Prisonnier’. - Ah, voilà: ce mot screver qui tant t'intriguait dans le passage biffé de ma lettre de dimanche dernier était: révéler. Je te dirai après ce que c'était. - Autre preuve de mon abrutissement: c'est seulement quand tu étais partie, vendredi, que j'ai vu le magnifique réticule (ou sac) que tu avais à la main et où tu abritais le Père Peinard. Tous mes compliments, et pour le sac, et pour ta jolie robe. - Mais comment pouvais-tu sortir avec un vilain et froid temps pareil, sans manteau et sans gants. Tes chères petites menottes étaient rouges de froid. Puis, tu as dû recevoir de la pluie en rentrant. Est-ce qu'une saison maintenant pour sortir sans manteau et sans pépin Cela a dû t'ennuyer de ne pouvoir pas faire de petits paquets pour les enfants! As-tu dit à Corn. qu'il rembourse les 15 cent du paquet? Si tu ne l'as pas fait, fais-le encore dans un petit mot. Tu es méchante dans ta lettre de vendredi: tu me reproches de t'appeler: ‘petite pêcheuse de compliments’ et ‘petite fripouille’. Mais ce sont des mots de caresse, tu sais bien. Puis, tu as l'air de me reprocher que je te parle du froid, du beurre etc. Mais tu oublies donc que tu m'as demandé des nouvelles a ce sujet? Tu m'avais demandé si j'avais obtenu de quoi mieux me couvrir à la promenade, et si je pouvais acheter du beurre maintenant. Et a cela j'ai répondu. Corn. n'avait donc pas encore mon travail, vendredi? Peut-être n'avait-il pas encore envoyé la galette. Je suis content que tu aies rencontré Maarten à la gare. De cette façon tu n'as pas eu a faire tout ce chemin seul. Vendredi soir j'ai eu ton cher et doux petit mot qui accompagnait les vers de Ch.R. Oui, tu as raison. Ces poésies sont d'une merveilleuse pureté. Et quelle belle dévotion! Tu peux dire ou écrire a Corn. qu'en effet ‘Les Spécialités’ se trouve parmi les livres envoyés; mais le volume 4 des Idées n'y est pas. J'espère que les gouailleurs tiendront leur promesse. Voilà tantót quatre semaines qu'ils ne sont pas venus. Encore 9 semaines, moins un jour aujourd'hui, chérie, et 60 jours encore lorsque tu auras cette lettre. Des mois bien tristes, il est vrai, mais aussi plus que deux! - N'est-ce pas que c'est bien imaginé: Tu viendrais me voir le vendredi et tu resterais à Amsterdam, de façon a venir toute | |
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seule me prendre à la prison le dimanche suivant, c.-à-d. Ie surlendemain. Mais nous avons encore le temps de parler de cela. Voici ma pancarte de cette semaine: ‘De la profondeur de ma misère je vous ai appelé, Monsieur, Monsieur! (suivant d'autres il faut traduire: Seigneur, Seigneur!) écoutez ma voix.’Ga naar eindnoot2 Demain lundi, cette intelligente prescription sera enlevée et remplacée par une autre, non moins profonde. Ces objets sont numérotés et ils ont donc un côté utile (C'est bien la moindre des choses). La première que j'eus ici portait le numéro 92 et maintenant (c.-à-d. demain) je suis déjà à 76. Lorsqu'on m'apportera le 68, la dernière semaine de ma captivité sera arrivée. J'ai été prendre un bain aujourd'hui. Cela m'a fait du bien. Malheureusement on n'en donne qu'un tous les deux mois, ce qui n'est pas beaucoup. - Et que'est-ce que tu as a dire de ma barbe? Est-ce vrai que tu étais contente des doublés grillages qui m'ont empêché de t'embrasser, vendredi? Tu t'imagines donc que ma barbe restera courte et piquante comme maintenant? Tu verras avec quelle belle fourrure je sortirai d'ici. Comme cette familie ‘Piet’ est gentille, n'est-ce pas? - Non, le vieux Saint Nicolas n'est pas venu me voir et je n'ai rien eu.Ga naar eindnoot3 Est-ce que Domela est déjà de retour? Corn. m'a écrit qu'il devait rentrer a A. ces jours-ci. - As-tu eu la Revue Blanche maintenant et des nouvelles de F.F.? Tu n'as rien vu dans le Père Pein. au sujet de la ‘Clameur’ qui devait paraître, en Septembre ou Octobre, Le quotidien?Ga naar eindnoot4 Tu as donc encore passé quelque temps au musée.Ga naar eindnoot5 Comme la lumière y est bien distribuée, n'est-ce pas? Quand je serai libre, nous y irons souvent tous deux, c.-à-d. si tu veux de moi. Voilà qu'une blague avec ce bon Bernard me revient dans le coco. J'avais à Pantin un aminche qui était... pipelet. Mais un chouette pipelet qui prenait dans sa turne une trifouillée de déchards sous condition qu'ils n'abouleraient jamais un radis au probloque. Sa gonzesse (du pipelet) était très mariolle aussi et plus d'une fois elle avait lavé les esgourdes au vautour d'une façon suiffarde. A la fin cette vâche de probloque en avait plein le dos et il foutit ses huit jours au pipelet. Celui-ci devait décaniller au prochain terme. J'ai oublié de te dire qu'il était gniaf. Etant déchard il se mit à la déniche d'un autre cordon. Et en même temps il tendit un piège à son probloque. Il était sur que celui-ci aboulerait de très mauvais renseignos sur le compte de son ancien pipelet! S'il pouvait en avoir la preuve, ce serait une affaire de domma- | |
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ges et intéréts à porter devant les enjuponnés a faux poids. Et un beau matin je me rendis, accompagné de Bernard chez le probloque. Bernard avait mis des frusques d'un noir intense, gibus noir (emprunté à Félix) et des gants idem. Puis une petite cravate blanche. Il était grand proprio autrichien, à Pantin pour quelques jours seulement et venu exprès pour y dénicher un pipelet à la hauteur. Le gniaf lui avait offert ses services et il venait pour en savoir plus long sur son compte. Il lui fallait un pipelet énergique, dur aux locatos etc. etc. Et nous voilà en route. Malheureusement le probloque n'était pas à la turne, et nous n'y trouvâmes que sa ménagère. On nous fit entrer et assis sur le sofa j'accouchai de ma petite histoire. J'étais le traducteur pour BernardGa naar eindnoot6 qui ne jaspinait, disaisje, que le bulgare. Et voilà la commère à nous débagouliner des bourdes sur Faminche. Oui, il était un bon zigue, mais pas énergique du tout. Les locatos ne casquaient pas et décanillent presque tous à la cloche de bois. Puis, elle croyait qu'il était entaché de marmitisme. Il lisait le P.P. et autres canetons casseroleux. Je disais que c'était fort mal et Bernard opinait dans ce sens en bulgare. Puis, voyant le trac de la donzelle de tout ce qui frisait de prés ou de loin les marmites, je lui annongai une grande entreprise avec a peu prés quatre-vingt mille kilos de marchandise à la clé. Pantin ouvrirait la danse et puis Asnières (C'est la que le probloque perchait l'été). Bernard se tordait et de temps en temps seulement il disait: Oui, naturellement, en français. Il se tordait littéralement, car il ne pouvait pas s'esclaffer. Après une jaspinade d'a peu prés une demi-plombe, nous partîmes et Bernard, dès qu'il était dehors, fut pris d'un éclat de rire en contradiction absolue avec son habillement solennel. Tout le monde le reluquait en pensant qu'il était saoul. J'en ris encore. Ensuite nous sommes allés raconter au père Simon, le pipelet gniaf, le résultat de nos démarches. Il en était bien content. - Autre blague. C'était dans la turne de Bernard qui habitait alors rue de Dunkerque. C'était après la glorieuse campagne de Dahomey. On ne parlait que de BéhanzinGa naar eindnoot7 et de Dodds, le brav' général.Ga naar eindnoot8 Nous étions chez Bernard, Félix, Hélène et moi a prendre le thé et a rigoler. Tout a coup j'eus la riche idée de jouer au conquérant. Je dis un mot à Bernard et j'allai avec lui derrière le paravent. La, B. se déshabillait tout à fait, je le passai au cirage - pas tout uni, mais tigré - et pour tout vêtement je lui mis autour des reins une large embrasse-rideau, et sur la tête le chapeau haut de forme de Félix. Sur le nez un lorgnon. Ensuite j'abandonnai un moment Bernard pour transformer Félix et Hélène en Mossieu et madame Carnot. Moi, je pris le rôle du brav' général Dodds avec le poker | |
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en guise de ‘sabre vainqueur’. Puis j'introduisis Bernard. Bernard se prosternait profondément aux pieds du couple présidentiel et ensuite exécuta quelques danses dahoméennes sur la table. Nous étions tous malades de rire. Finalement, Félix et Hélène tenant Bernard entre eux deux se mirent au balcon et moi je commengai a crier dans la rue: Vive le général Dodds, Vive Carnot, Vive Béhanzin en montrant le balcon. Dans quelques minutes il y eut la au moins 500 personnes a regarder et a se montrer le trio au balcon. Félix saluait gravement et Bernard dansait. Ala fin la police arrivait, mais le trio etait déjà rentre et moi aussi. Mais le lendemain la patronne de l'hôtel donna congé à Bernard, qui n'en était pas à son premier coup. C'est a dire que nous autres nous venions toujours faire du bruit chez lui jusqu'a des heures fort avancées de la nuit. Monna vidait généralement tous les broes et seaux d'eau par terre et Bernard riait tellement qu'il ne put pas le ramasser. - Il n'y a que Paris pour s'amuser, n'est-ce pas? Vois-tu le coup de Béhanzin à Londres? Pas très bien! Ni à Westzaan non plus. - Quelquefois Souple comme un chat était de la partie. Il devait nous chanter: ‘Il était un bergère et tin tin tin, sonnons le tocsin’ etc. Ou bien on lui faisait lire a haute voix quelque article très épicé du P.P. Une fois nous l'avons fait monter sur les épaules de Bernard pour arracher une affiche de Saxoléine,Ga naar eindnoot9 mais il avait le trac de tomber. Et il n'a pas fait qu'arracher des affiches, une nuit, en décembre 1892, avec un froid terrible, il nous a aidé a en coller dans la rue des Abbesses et a Montmartre. F.F. faisait le guet, Totor aussi, Souple comme un chat portait le pot a coller et moi je collais les flanches aux murs. - C'était avant ton temps, tout ga, chérie. Mais toi et moi nous nous sommes bien amusés aussi, n'est-ce pas, à Paris. Tu te rappelles les belles promenades sur la butte autour du Sacré-Coeur, a deux heures la nuit. Comme Paris était beau a cette heure, n'est-ce pas? Et puis les petits soupers (arrosés de bocks à 20 c.) rue d'Ursel. Et Ivan, qui trouvait la bière si humide! Et avons-nous ri, une nuit que nous avons couché rue Hippolyte-More (aux Vaches)Ga naar eindnoot10 parce que Hedwig avait peur de rester seule. Tu te rappelles aussi le portrait d'Hedwig fait par Ivan? Et celui de Victor? - Et notre dernier voyage à Paris?Ga naar eindnoot11 L'arrivée. Chez F.F., moi sur le palier pour ne pas faire peur à sa mère. Halte chez un bistrot place Clichy pour écrire une carte postale et boire un verre de grenadine. Fiacre. Visite nocturne chez Emile. Lui joue enflée. Grand émoi et idem effroi. Enfin un logement. Lendemain: promenades sans fin. Gauche pas en ville. Omnibus Jardin des Plantes - Batignolles. Moi m'asseois café Bd Haussmann, toi R.B. Tout deux R.B. Arrivée de | |
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Pouget. Départ R.B., omnibus Clichy - Odéon. Toi visite Huot. Rachilde.Ga naar eindnoot12 Rien - Trac. Diner. Promenade rue Montmartre. Moi rue de Cléry. Toi Petite République.Ga naar eindnoot13 Le ‘secret professionnel’ invoqué. T. le Sauveur. Vive la joie! Omnibus Madeleine - Bastille - Ternes. Café. Arrivée de T. et B. Enfin nous pouvons dormir. Appréciation virulente de ‘Fanny’, quelque peu en contradiction avec le goût d'Aimée. Trois journées délicieuses. Les beaux chats. Julie. Belle et mystérieuse maison. Visite de F.F. le dimanche. Le lundi: la rousse a tes trousses. Mardi. Visite de Sandro au procureur général de la république, qui ‘n'est pas la’. Pas moyen de se faire coffrer. Enfin! Conciergerie. Visites de Kaya. Les ‘coupures’ roublardement passées. Que de mémoires, que de mémoires! Quelle lettre décousue, n'est-ce pas? J'espère que tu l'auras un peu plus tôt que celle de la semaine passée. Je n'ai pas eu de lettre de toi aujourd'hui, dimanche. Je l'aurai demain matin sans doute. Elle doit déjà être la, je pense. Ouf 17 semaines de fait es sur 26. Donne-moi encore du Christina Rossetti, veux-tu? Et puis ton rêve, s'il n'est pas trop triste. Tu sais, chérie, combien de lettres j'ai eues de toi maintenant? Divine un peu. Cent trois! C'est bien, ga, ma petite Suzon. Je n'ai pas eu d'autres nouvelle de mon père, ni de mon frère. Et de Londres pas davantage. Olive oublie sa promesse de souvent écrire. Mes amitiés à tout le monde chez Piet. Et n'oublie pas de faire mes amitiés a grand-mère. En tête je dirai quelques mots de remerciements a Maarten pour les vers qu'il m'a copiés. Ces vers sont très beaux. Ils sont traduits de l'anglais. Titre: The song of the shirt. Auteur: Hood.Ga naar eindnoot14 Et la panthère, qu'est-ce qu'elle fait pendant ce temps? Y a-t-il q.q. chose de nouveau dans les journaux français? Est-ce que le czar va bien? Et Félix Faure?Ga naar eindnoot15 Six heures du soir! Encore une bien ennuyeuse journée de passée. Heureusement que je puis t'écrire le dimanche et causer avec toi.
De toto mi cuore
ton Sandro.
Comme les petits dessins du P.P. m'ont amusé! Les marchands d'injustice sont très beaux. Quelles trognes!
Beste Piet en familie, Nog 9 weken! Zeventien zitten er al op. Wat ben jelui lief geweest voor | |
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Kaya met Sint Nicolaas. Ik bedank Maarten wel zeer voor zyn briefje en het mooie gedicht dat hy voor my heeft overgeschreven. Zeg hem dat ik hem als ik er uit kom, by my op school zal nemen en dat hy dadelyk in de eerste haasje-over klas komt te ziten. Groeten ook aan Ma en grootmoeder. Ik heb ook een aardige brief gehad van Arie. Groet en dank hem s.v.p. voor my. En wat heeft Ma Kaya netjes uitgeteekend! Niet waar, Ma? Thuis zyn die schoolmeesters altyd zoo aardig, maar als je by ze in de klas zit, dan is het heel wat anders! Groet aan allen van uw vriend
A.C. |
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