Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Amsterdam, 4 octobre 1896. Kaya aimée, Comment te remercier de ta persévérance et de ton courage! Comme c'est gentil a toi de tous les jours m'écrire. Mais aussi, j'en ai besoin. Cela me donne du courage aussi et de la patience. Tes chères lettres jettent quotidiennement un bienfaisant rayon de soleil a travers les nuages de ma tristesse, assombrie encore par le temps pluvieux et lugubre. - Lorsque tu auras cette lettre, mardi, il y aura au juste huit semaines que nous sommes séparés. Huit longues semaines! Mercredi prochain, le 7, il y aura deux mois de finis sur 6. C'est un tiers déja. Je dois sortir le 7 février qui est un dimanche. Je parle de cela, comme si c'était dimanche prochain. Hélas, il me faut encore passer ici 17 dimanches après celui-ci. Je suis pourtant beaucoup moins affligé que les premiers temps, grâce | |
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surtout a tes lettres. Comme je t'aimerai pour ta persévérance et ta patience. - J'ai, depuis deux jours, du travail de traduction. J'ai déjà traduit deux ou trois petites choses qui me paraissent tout à fait bien pour être publiées en France. J'ai ce volume de Domela, tu sais, une anthologie des oeuvres de Multatuli.Ga naar eindnoot1 Il y a là-dedans beaucoup dont je ne puis rien faire, car cela ne plairait pas en France, mais je traduirai ce qu'il y a de bon. Après, je voudrais traduire du Tolstoï en Hollandais ou du Nietzsche. De Tolstoï je voudrais traduire d'abord Ivan the Fooi, et puis encore deux ou trois petits contes qui sont dans tes petits volumes. Si tu les as emportés à Londres, ne les y oublie donc pas. En ce qui concerne ton retour, voici ce que j'ai pensé: Si tu ne retournes qu'aux premiers jours de Novembre - et tu ne peux pas rester à Londres au-dela a cause de ton billet de retour - tu ne pourras me rendre visite que le 12 de ce même mois de novembre. Cela me paraît bien long encore? Si par contre tu partais de Londres quelques jours plus tôt, le 26 ou le 27 octobre par exemple/fhpourrais me rendre visite le 29 octobre, qui est un jour de visite. Que penses-tu de cela Pense que maintenant il n'y a plus personne qui vienne me voir. Jeudi dernier ma cousine Johanna était venue, mais elle avait eu le numéro 34 ou 35 et elle ne pouvait pas attendre, disait-elle. De sorte que je ne l'ai pas vue. Il paraît qu'elle s'est payé une bicyclette depuis. J'ai trouvé gentil de sa part qu'elle était venue, mais comme je ne l'ai pas vue, cela ne m'a pas causé une bien vive satisfaction. Le mardi avant j'ai vu pendant 3 minutes tout au plus mon frère, qui était venu pour me demander a signer un papier ayant rapport à la liquidation des affaires de mon père. - Mon père me devait de l'argent et en signant ce papier je me suis désisté de ma créance. De ma part ce n'était pas la une bien grande générosité. Signé ou pas, c'était kif-kif bourriquet. Hier, pour la première fois depuis deux mois, Jai pu mettre un peu de beurre sur mon pain. Oh, ce délice. Songe un peu! Moi qui déteste le pain et qui ai dû en manger du sec, pendant deux mois. Comme c'était bon aussi avec du beurre. - Depuis jeudi dernier, 1 octobre, on se leve à 7 heures du matin au lieu d'a 6 heures. Je n'en suis pas fâché, et je resterais volontiers couché jusqu'a huit heures. - J'ai eu une grande lettre de la femme de Piet. Brave femme. Une lettre quasi-maternelle. Et puis, elle aussi, elle m'envoie des vers, chaque fois qu'elle m'écrit. Des vers pour me donner du courage et de la patience. Les enfants aussi m'ont écrit la semaine dernière. Ils sont rentrès à l'école et ils ont beaucoup de travail. Piet m'écrit qu'ils ont reçu une lettre de la ‘petti Kaya’ et qu'ils atten- | |
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dent avec impatience ton retour parmi eux. - Ah, vraiment, tu voudrais apprendre a patiner? Tiens, tiens. Et qu'est-ce que je ferai pendant ce temps-la, moi? Tu te rappelles: et la panthère qu'est-ce qu'elle fait? - J'ai encore trouvé cinq petites pensées, les archi-dernières. Il n'y a plus l'ombre d'une maintenant. Et elles ne sont pas aussi belles que les premières. Mais comme ‘la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a’ et le prisonnier pas davantage, je te les envoie ci-joint à l'intention de Helen. Si elle les aime, ce sera tant mieux. J'ai trouvé très joli le petit dessin que tu m'as envoyé: toi, penchée sur la machine. C'est très bien fait et assez vigoureux. Les mimosas aussi me plaisent beaucoup, ainsi que ton petit serpent a tête humaine. Ou bien est-ce un homme a corps de serpent? Comme couleur, si sombre, sur fond noir, c'est très bien. - Ce n'est pas bien de Helen qu'elle ne veuille pas te donner ce qu'elle à fait de toi. Mais quoiqu'il en soit, il faut apporter cela avec toi en Hollande; pour que, du moins, je le voie. C'est bien le moindre, puisque je suis cause de tout. Car si je n'étais pas allé en prison, tu ne serais pas allée à Londres. Partant, pas de Kaya en sarong et en perles égyptiennes dessinée par Helen. C'est l'évidence même, n'est-ce pas? - Non, je n'ai pas reçu de lettre de Paul,Ga naar eindnoot2 pas plus que d'Agresti.Ga naar eindnoot3 Ont-ils écrit, ou en ont-ils seulement manifesté l'intention? Moi, je n'ai rien reçu. Mais j'ai eu une lettre de ‘Tinus’, frère de ‘Tine’ et fils de ‘Tinette’ qui, parmi autres choses, m'annonce son engagement avec Anna, tu sais, la jolie petite bonne de Domela. Elle a de la chance, cette Anna, ma foi! Devenir d'un seul coup épouse de Tinus, belle-soeur de Tine et bru de Tinette! En ce qui me concerne, je leur donne ma bénédiction. Et toi? - Je n'ai pas conscience, chérie, de n'avoir pas répondu à un ‘tas de choses’ dont tu dis m'avoir parlé dans tes lettres. Faut-il répondre: a tes communications concernant vos danses nocturnes et folies dans la cuisine, au cours desquelles vous exécutez des sarabandes guerrières, en brandissant des rouleaux a paté et des casseroles en cuivre; a tes récits de prunes expropriées, de poudre de riz appliquée, etc. etc.? Je lis tout cela et j'en ris, heureux de te savoir gaie et enfantine. La part - est-ce la part du lion? - que Helen prend a ces bruyantes distractions me fait comprendre que son état de santé est plutôt satisfaisant ce dont je suis fort heureux. - Dans ta lettre de jeudi dernier tu me dis: ‘Te rappelles-tu William Blake? Je t'envoie le phantome d'une puce, copié par Helen.’ - Qu'est-ce que cela? Je n'ai rien reçu qui ressemblat a une puce, pas plus qu'a un phantome. Dans une autre de tes lettres tu dis aussi que Helen a des trucs dróles a me raconter. | |
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Quand s'y déciderat-elle? J'attends toujours sa première lettre. Et Olive, quand m'écrira-t-elle de nouveau? Fais mes amitiés a Agresti et a Razzia,Ga naar eindnoot4 ‘l'homme supérieur’ comme tu l'appelles. - Ce que je pense de ses capacites en matière de ‘reprises’? Ma foi, c'est vite dit. S'il sait le faire, tant mieux pour lui et, en ce cas, pourquoi ne le ferait-il pas? Je ne veux pas prendre, sur cette lettre hebdomadaire, la place que nécessiterait une dissertation plus ou moins savante, sur ce sujet. Nous reprendrons cela après, veux-tu? - Si j'étais toi, et pour ne pas trop m'ennuyer à Westzaan, je m'y appliquerais sérieusement à l'étude de l'anglais. Demande à Helen ou à Olive de leur emprunter les livres de grammaire dans lesquels tu étudies maintenant, et emporte-les à Westzaan. Cela te fera passer le temps et, en même temps, te sera utile. - N'oublie pas de me dire dans ta réponse d cette lettre quand tu comptes retourner en Hollande et quel jour je te verrai. Si tu te décides a revenir pour le 29 octobre, tu feras bien de partir de Londres le 27 au plus tard. Tu aurais ainsi un jour de repos que tu pourrais passer chez Domela et le 29, le jeudi, tu viendrais ici. - Si tu peux, apporte de Londres q.q. bagatelle pour Ma et Maarten. Et pour moi aussi tu peux apporter q.q. chose. Une boîte de plumes. Waverley-pens. Coùt six pence. Je n'ai pas encore répondu a mon père, car je n'ai pas encore eu l'occasion. - Moi aussi, j'aime beaucoup Byron. L'Américaine qui a écrit des choses si bêtes sur son compteGa naar eindnoot5 est Mrs. Harriet Beecher Stowe, l'auteur de Uncle Toms Cabin, livre très anglo-saxon et très puritain qui cependant a eu une énorme retentation et qui a contribué beaucoup à la libération des esclaves en Amérique. The last ConfessionGa naar eindnoot6 est très beau. Oui, je comprends très bien, chérie, que tu n'aies pas tous les jours du loisir pour me copier des choses. Fais ça seulement de temps à temps. Si tu prenais des enveloppes moins épaisses que celles que tu emploies généralement, tu pourrais me mettre beaucoup plus de choses dedans; des dessins plus grands p.e. Tu ne peux pas t'imaginer combien cette branche de mimosas m'a fait plaisir, a cause des couleurs. Je n'ai pour regarder que des murs de briques jaunes, un plafond idem et un parquet bitumé. Puis une porte bardée de fer et une fenêtre de dix carreaux en verre dépoli. Cela n'a rien qui réjouisse ou repose l'oeil. Surtout pour moi qui ai tant besoin de tons et de couleurs.... Une interruption. Je dois aller prendre un bain. Je ne demande pas mieux, d'ailleurs, et, au lieu de une fois tous les deux mois, je voudrais bien en prendre un toutes les semaines. Puis, après le bain, qui m'a un peu ragaillardi, j'ai attendu jusqu'a ce qu'on allumat le gaz, car il faisait si sombre. A la lumière je suis de meilleure | |
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humeur, plus ‘cosy’ comme disent les Anglais. Jusqu'ici ma lettre n'a pas été bien gaie, n'est-ce pas? Il va sans dire que toi, étant dehors, tu me racontes plus de choses, et d'une nature plus amusante que moi je ne saurais le faire. C'est ici d'un monotone! - Pour me distraire je passé en revue les temps et les événements - grands et petits - passés. Ainsi, cette semaine j'ai songé a notre première rencontre, dans l'établissement Constant Martin.Ga naar eindnoot7 Ce soir ou j'etais si ... dois-je dire ‘bete’ et ou je lisais tout le temps mon journal. Puis, notre première promenade ensemble. C'était délicieux, n'est-ce pas? La rue Montmartre, la place des Victoires, la rue des Augustins, l'avenue de l'Opéra, et les grands boulevards. Tu vois, je me rappelle bien exactement l'itinéraire. Je t'ai acheté des fleurs, des roses, et ensuite nous nous sommes assis à la terrasse chez Zimmer,Ga naar eindnoot8 boire un bock. Te souviens-tu du vieux mossieu qui est venu, et que j'ai engueulé. Et la gifle du faubourg Montmartre, et la visite chez la mère Franck, et puis toute la bande au poste. Et notre chasse aux drapeaux avec Victor et F.F. Et les déjeuners du dimanche matin, rue Lepic, avec Ivan, et Félix et Emile. Et cette nuit que nous avons attendu dans la rue, jusqu'a deux heures passées, pour ce roussin! Et nos promenades nocturnes sur la butte, autour du Sacré Coeur. Ah, le beau temps. - Ensuite, notre arrestation et la promenade en voiture au boulevard du palais. Le poste des municipaux. Chacun de nous se chauffe a son tour. Et ce brave homme de sergent qui nous a laissés nous embrasser avant que nous fussions séparés. Et puis toi en route pour la maison et la perquisition. Et moi au dépôt. Et je te vois si bien, a notre première entrevue dans le bureau à la préfecture, et ces quatre mouchards, a droite, a gauche, devant et derrière. Ton petit bonnet d'astrakan et ton manteau a carreaux. Oui, je vois tout cela. Et puis la seconde fois, le jour même de mon départ pour le Hâvre, lorsque ces canailles n'avaient même pas voulu nous rassurer tous deux. Et mon message a Bernard! C'était roublard, hein? Tu n'avais pas du tout l'air étonné lorsque je te passai le petit poulet. On aurait juré que tu n'avais de ta vie fait autre chose. Et ce bon Bernard qui file le soir même. Ton arrivée à Londres. Bernard et moi à la gare. Tu avais ta blouse blanche - souvenir patriotique! - a velours brun. Et ce petit crapaud de mouchard français, ou alsacien, qui voulait à toute force nous servir de guide. Je l'ai servi, et chaud. Quelle page mouvementée, quoique triste, de notre vie. Tu entrais de plein pied dans les aventures. Après, nos ballades a travers Londres. Percy Street, et Thorpedale Road, et Adpar Street - quelle horreur! - avec les 93 enfants dans la maison. Pateau! première joie! | |
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Quel brave garçonGa naar eindnoot9. J'entends encores ses: hardi, les gars. - Ce premier dimanche chez Kropotkine avec Bernard, où nous avons fait la connaissance d'Olive et Helen. Jour mémorable... Caserio. Et le lendemain, à la bonne nouvelle, notre galop effréné le long d'Edgware Road, Maiden Vale, St. Johns Wood, Regent's Park et Bernard. ‘C. il est crevé, je m'en fous!’ - Thorngate Road. La petite femme, le gendre et la belle-mère. Miaulements nocturnes. C'était rigolo, et le lendemain la bonne femme racontait a Ted: ‘Oh, Ted, dear, this night there were two big cats in the place. A black one and a grey one. And they have made such a noise! They have frightened me to death’ - Oh la belle blague. - La visite de C.C. autrement dit: le reverend Isaac. - La catastrophe: Le combat. Trois blessés. Le saut par là fenêtre. Le pistolet. Le flic. Le médecin. Le carreau cassé. Déménagement silencieux. N'est-ce pas que c'était un beau déménagement. - L.S.B., Mrs. Gibbs.Ga naar eindnoot10 - Osborne road. Robert l'Epicier. A little bit of an artist. Charing Cross. Your sergeant (bis). There is not a lady in the landrAm I not a faithful wife and a good mother? So you are! - Départ à la cloche. Razzia, la providence des déménageurs à la cloche! Alton. Acton. Voyage en France (délicieux?). Conciergerie. Quai. Cour d'assises. Acquittement. Ré-expulsion. Tristesse. Primrose-Hill.Ga naar eindnoot11 Soho! (Malédiction). Combat du crocodile avec le scoussorian. Primrose Hill. Finsbury Park. Alton. Grafton street. Vegetarian Restaurant. Départ de Londres. - Que d'événements dans deux ans. - Et toujours tu as été brave et endurante. Comme je t'aime. - Que donnera l'avenir? Je voudrais aller aux Indes ou au Japon. Demande à Olive qu'elle regarde régulièrement l' ‘Athenaeum’Ga naar eindnoot12 que M. RossettiGa naar eindnoot13 regoit. Il y a souvent des offres d'emploi là-dedans pour des pays transocéaniques. Reviens vite, chérie, que je te voie. Arrange-toi de façon a être ici pour le 29 octobre. Cependant, si cela est impossible a cause de ton travail, je me résignerai a attendre. Mais de toute fagon, n'oublie pas que ton billet n'est valable que jusqu'au 4 novembre. Continue a m'écrire des lettres enjouées et pousse Olive et Helen a aussi m'écrire. Envoie-moi encore des dessins. Helen voudra peut-être bien faire q.q. petites choses pour moi. Des fleurs encore, si elle veut, q.q. chose en couleur. Et puis, si elle fait $a, ne découpe pas le dessin comme celui des mimosas. Plie-le, et prends une enveloppe moins épaisse. As-tu vu cette brave Louise avant son départ pour l'Amérique? Quelle dróle d'idée, en effet. N'oublie pas de m'apporter ces ‘Waverley-pens’ que je t'ai demandées. Elles sont si agréables pour écrire. - Que fait Snake? How dare | |
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you, you b. fool? Can't you understand a joke, my dear sir? Damn your joke, you rascal. Pourquoi Snake ne m'écrit-il jamais? Il a ‘plenty time’, cependant. Dis-le-lui. Kaya, chérie, âme de mon âme, j'espère ne pas t'avoir trop ennuyée par l'énumération de nos péripéties. Je dois puiser dans le passé pour t'écrire des choses intéressantes. Ici rien ne se passe. Et comme je n'ai pas la ressource des ‘tirades’ ni celle des ‘immortels principes’, il ne me reste que des réminiscences. - Je t'adore. Aime
ton Sandro
Dis-moi exactement quand tu comptes revenir. Je voudrais le savoir naturellement, et il faut aussi que Piet en soit avisé. Il désire cela. Mes amitiés à Olive, Helen, Mary, Mr. Rossetti et Charlotte.
Ma santé a été assez bonne cette semaine, mais je ressens des douleurs rhumatismales dans les bras et les pieds. Surtout le bras droit. Pourvu que je n'attrape pas de nouveau un lumbago. Puisque tu n'es pas là pour me frictionner et me servir de secrétaire illustrateur. |
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