Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermd
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Aan Kaya Batutaant.Amsterdam, Dimanche 20 septembre 1896.Ga naar eindnoot1 Kaya aimée, Merci, chérie, de toutes tes bonnes lettres. Celle surtout où le langage natal ‘du Maugréou del causo’ m'a plu beaucoup. Comme ce patois est doux! Mais il ne faut plus m'en envoyer ici, car ils ne peuvent pas les lire. Peu s'en est fallu déjà que je n'eusse pas eu celle de mardi dernier. Finalement on me l'a tout de même donnée. J'ai aussi eu ta lettre de vendredi (regue hier), mais on ne m'a pas donné encore la lettre d'Olive a cause de l'écriture qu'ils disent ne pas pouvoir déchiffrer. Cependant, j'espère qu'on me la donnera encore aujourd'hui ou demain. - Voilà justement qu'on me l'apporte et je viens de la lire. Je trouve très belle l'histoire des deux généraux. C'est très ‘russe’ et un peu dans le genre de Ivan the fool de Tolstoï.Ga naar eindnoot2 Comme moralité, du moins. Dis à Olive que je la remercie bien de sa lettre et de la patience qu'elle met a me raconter de petites histoires pour me faire passer le temps. - Cette semaine, chérie, tu m'as presque ruiné. Pécuniairement! Une de tes lettres était insuffisamment affranchie et ils ont payé ici 50 centimes. Réglementairement ils auraient pu refuser la lettre, et généralement ils le font. J'ai donc eu de la chance. Mais songe un peu quel trou cela à fait dans mon trésor. J'ai déjà gagné un franc ici et la moitié de cette somme a disparu dans cette catastrophe. Mais comme Olive me dit dans sa lettre qu'elle m'enverra de l'argent, le malheur sera vite réparé. - Jeudi j'ai eu la visite de eet honnête Piet. Mon frère n'est pas venu et il n'a pas non plus répondu à la lettre que je lui avais écrite il y a une quinzaine. Tant pis. Piet m'a dit que sa femme va bien maintenant. Je pense d'ailleurs que les enfants t'ont écrit. Piet m'a demandé quand tu comptais revenir en Hollande et si alors tu t'installerais de nouveau chez eux. C'était son désir et celui de sa femme. Il voudrait que tu annonces ton retour q.q. jours d'avance. Voici maintenant, a ce propos, ce que je soumets a ton appréciation: Le prochain jour de visite est le jeudi 1 octobre. Ce jour-la, encore, Piet viendra me voir, je pense. Mais la fois après, c.-à-d. le 15 octobre, je serais très heureux de te voir. Je te propose donc de rester à Londres jusqu'au 12. Tu partirais le soir - s'il fait beau - ce jour-la, et s'il n'y a pas trop de vent - tu arriverais le treize au matin à Amsterdam - avec ton billet de retour tu descends du bateau au Hook | |
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of Holland où tu prends le train pour Amsterdam et pas celui pour Rotterdam - tu resterais chez Domela jusqu'a jeudi, tu viendrais me voir et le jour même ou le lendemain tu retournerais a Westzaan. Cela te va-t-il? - Dis-moi cela dans ta prochaine lettre. - Non, je n'ai pas reçu le télégramme dont tu me parles, mais j'ai su par Piet qu'il y avait eu un meeting. Tu as bien fait d'écrire ces détails à Félix. Cela peut être utile, quoique a présent mon espoir ne soit plus grand. Cependant, chi lo sa? Dis-moi aussi si le Chronicle a pris ce que vous avez écrit avec Helen. Si oui, il faudrait envoyer la coupure a D[omela] - Enfin je vais avoir un autre travail: des traductions. Du moins, j'ai l'autorisation. Pourvu maintenant que ceux qui s'en occupent dehors se dépêchent un peu! J'aurai probablement ou Nietzsche: Also sprach Zarathustra,Ga naar eindnoot3 ou bien du Multatuli. Trouver un éditeur a Paris eût été chose facile, mais cela offre une difficulté a cause du payement. Celui qui me charge d'un travail de ce genre, devra payer une certaine somme dont la moitié pour moi et la moitié pour l'Etat. Avec l'étranger cela offre q.q. difficulté, de sorte qu'il m'a fallu trouver un intermédiaire ici. Domela est allé voir M. le Directeur avant-hier, mais moi je ne l'ai pas vu. J'espère maintenant qu'il mettra quelque empressement a procurer ce travail. J'avais cru pouvoir lui écrire aujourd'hui a ce sujet pour le pousser un peu et lui donner q.q. indications par rapport aux livres, recueils et dictionnaires dont j'aurai besoin. Mais comme vendredi il est venu lui-même, je n'ai pas pu obtenir aujourd'hui une deuxième ‘lettre’. - La semaine dernière D. m'a écrit. Il me demande de tes nouvelles que, naturellement, je ne puis pas lui donner. Il faut lui écrire de temps a autre, tu sais! C'est par toi que ceux qui s'intéressent à moi doivent avoir de mes nouvelles. En ne pas le faisant, tu me causes de la peine dont vraiment je n'ai pas besoin ici. - Pardonne-moi, chérie, ce petit mot méchant, qui est le premier, n'est-ce pas, que j'aie fait entendre a ton égard. Et qui sera le dernier! Mais tu peux bien, chérie, chaque semaine après réception de ma lettre, mettre un petit mot à la poste à l'adresse de Domela, pour lui dire comment je vais. Ses lettres sont toujours cordiales et, comme tu vois, il ne m'oublie pas. Donc il faut lui écrire de temps a autre. - Ma lettre de la semaine dernière n'a pas eu tant de retard que tu crois. Tu l'as reçue mercredi au lieu de mardi: cela fait un jour, mais je comprends ton anxiété, aimée, d'autant mieux que moi-même je suis hors de moi si un ou deux jours se passent sans que j'aie des nouvelles de toi. Celle-ci, j'ose l'espérer, sera entre tes mains mardi. Tu dis qu'il y a eu des passages de supprimés dans ma dernière lettre. Moi-même j'ai | |
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biffé dix à douze lignes en bas de là 21ème page je crois. J'aurais dû le dire. Mais s'il y a eu d'autres ‘biffages’ ils proviennent de mains étrangères. Dis-moi cela dans ta prochaine lettre. - N'achète pas de grammaire anglo-russe, maintenant que l'autre a disparu. J'aurai bientôt - je l'espère du moins - un travail intellectuel a faire, qui me fera passer le temps plus vite et plus agréablement que la confection de sacs-à-thé. - Alors, mes petites ‘pensees’ t'ont fait plaisir? Tu ne t'attendais pas a cela, n'est-ce pas, de recevoir des fleurs de moi. Si tu en as, tu peux certainement en mettre dans tes lettres à moi. On me les donnera, j'en suis persuadé. - Je t'en envoie encore aujourd'hui, mais je crains bien que la semaine prochaine il n'y en ait plus. La saison est passée. Je t'envoie en même temps tous les souhaits de mon coeur à l'occasion de ton anniversaire: lundi prochain. Je le fais maintenant parce que tu n'aurais pas ma prochaine lettre avant mardi en huit. Te rappelles-tu l'année dernière? Tu étais revenue de Paris le 27 septembre, mon anniversaire, et Helen et moi nous sommes venus te chercher a Victoria. Nous n'étions pas gais! Et cette année-ci encore nous passerons ces deux jours loins l'un de l'autre. - Bien, chérie, si tu aimes mieux ne pas aller chez H.W., ne le fais pas. Cela n'a pas grande importance d'ailleurs. - Comme tes petits dessins, qui ornent les deux ‘ballades’, sont jolis! Et les ‘ballades’ aussi m'ont beaucoup amuse, surtout celle du bishop. J'ai failli avoir une aventure peu plaisante ici, jeudi dernier. Imagine-toi que ce jour-la c'était le ‘grand pardon’ des juifs. Ce jour les ‘fidèles’ le célèbrent par un jeune des plus rigoureux qui commence la veille vers 6 heures du soir et ne prend fin qu'a sept heures le lendemain. Soit 25 heures sans boire ni manger et agrémentées en outre par d'incessantes prières. Je n'ai jamais été ‘pieux’ et dès l'age le plus tendre j'ai toujours laissé jeûnes, prières et autres mortifications pour ceux a qui cela plaisait. A la maison déjà (quand vint le jour redoute du ‘grand pardon’) on avait si peu confiance en ma piété, qu'on enfermait sous clé toutes choses comestibles qui auraient pu me tenter. Mais ils oubliaient généralement la cave où je m'empressai de disparaître pour y passer cette horrible journée parmi des bouteilles de vin, des bocaux de conserves, des carottes crues etc. Comme nourriture cela laissait a désirer, mais c'était toujours mieux que rien. Ma familie était enchantée autant qu'étonnée de ne pas me voir ni m'entendre de la journée et s'imaginait que j'étais quelque part, prosterné dans un coin et gémissant sous le poids de mes péchés dont, ces jours-la, Dieu demande compte à tout fils d'Israël. - Voici maintenant ma ‘presqu'aventure’. Lorsque j'arrivai dans eet établissement, on me demanda, parmi beaucoup d'autres choses importantes, quelle était ma religion. Je répondis que je n'en professais aucune. On me fit alors remarquer que les prisonniers munis d'une religion quelconque recevaient régulièrement la visite d'un ministre | |
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leur confession, tandis que ceux qui étaient dépourvus de toute espèce de croyance ne recevaient pas ce genre de visites. Et comme, somme toute, j'aimais mieux avoir de temps en temps une visite - fût-elle siasme, Eh bien, alors, inscrivez a mon compte une religion quelconque! Pour moi, ga m'était égal, laquelle. C'est ainsi qu'on m'attribua la religion de mes pères dont moi-même je ne m'étais jamais servi. Le [monsieur]Ga naar eindnoot4 qui vient me voir de temps a autre est un très brave homme et qui, sur ma demande, ne me parle jamais de religion. Il m'a, le premier jour, gracieusement offert des livres de prière que j'ai déclinés avec civilité. Néanmoins il vient me voir ce qui plaide pour la largesse de son esprit. - Donc jeudi dernier, en compagnie de quelques autres arrière-petits-fils de feu le citoyen Jacob, on voulait me faire passer la journée sans boulottage. Mais je me suis empressé d'expliquer mes sentiments vive satisfaction. - Comme j'ai ri de l'histoire que tu m'as racontée legon de ‘shorthand’ de Helen: le pays du condensed milk and hotel waiters! Et les prunes que vous avez mangées! Tes lettres si gaies me font grand bien. Aussi, ne cesse pas de m'en écrire. Aujourd'hui, dimanche, je n'en ai pas reçu. Mais sans doute j'en aurai une demain que tu as écrite samedi. - J'ai lu cette semaine q.q. volumes très spirituels d'un auteur allemand. Ce sont pour la plupart de petites histoires délicieusement simples et douces. Il raconte entre autres choses ses années d'école. C'était au bon vieux temps, vers 1825. Et cela se passé dans le Mecklenbourg, petite principauté allemande d'alors, disparue maintenant, c.-à-d. avalée par l'ogre prussien. Le maïtre d'école dernande a David, fils de Moïse: ‘David, si je viens dans la boutique de ton père pour y acheter une et trois quarts d'aune de drap pour une culotte au prix de un et trois quarts de Thalers l'aune, combien aurai-je a payer?’ David se gratte la tête pendant q.q. secondes. Puis: ‘Mossieu, vous n'aurez pas assez avec une et trois quarts d'aunes; vous êtes trop grand et il vous faut deux aunes. Ensuite, un mossieu comme vous ne peut pas prendre du drap à 1 3/4 Thaler l'aune. Ce n'est pas assez bon; il faut payer 2 Thalers l'aune. Vous aurez donc à payer 4 Thalers exactement!’ Pas mal, n'est-ce pas, pour tourner une difficulté? - 2e. Pendant | |
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le catéchisme: Pourquoi le: ‘Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien’ se trouve-t-il juste au milieu du ‘Notre Père’. Le fils du boulanger: ‘Parce que c'est le principal!’ - Et pourquoi, mes enfants, demandons-nous le pain quotidien?’ Le petit Hannes: ‘Parce que si nous le demandions tous les deux jours ou une fois par semaine, il deviendrait trop sec!’ - A propos d'anecdotes, as-tu déjà raconté à Olive et Helen l'histoire de Piet, époux de Betje, lorsqu'il est allé à l'opéra pour la première fois de sa vie, et en dépit de ses sentiments religieux parce qu'il avait deux billets à l'oeil qu'on ne pouvait pourtant pas laisser se perdre’. Tu sais bien, au sujet du ballet! ‘Horrius petit c....., qu'est-ce que tu fais la?’ Et Dieu qui l'aurait pris par l'oreille. C'est trop beau pour ne pas le leur raconter. - De mon père je n'ai toujours rien appris. Mais j'ai eu une fort gentille lettre de M. Meyer. Il était l'autre fois venu de Rotterdam expressément pour me voir et sans succès! Oui, Louise m'a écrit une petite lettre de Lausanne sur papier illustré. Une vue de Chillon très jolie. La lettre est d'une cordialité naïve. Elle me tutoie et m'appelle ‘pauvre Sandre’. J'ai été très sensible a son attention. Si tu écris a son père, remercie-la pour moi et dis-lui que sa lettre m'a fait grand plaisir. Mais ne répète pas ce que je te dis de sa naïveté. Elle croirait que je me moque d'elle, et la pensee m'en est bien loin. - Ma santé est toujours la même, mais mentalement je suis plutôt bien. La respiration est toujours difficile et quelquefois douloureuse, surtout vers le soir. - Oui, chère aimée, j'ai compris chaque mot de ta belle et douce lettre en patois. Comme c'était joli! - Jolis aussi les vers de E.A.P. Surtout Annabel Lee.Ga naar eindnoot5 Merci, à Olive et Mary aussi pour leur amabilité. - Oui, copie-moi des passages de Byron et de Shelley, du Don JuanGa naar eindnoot6 etc. J'aimerais bien avoir aussi le White Ship de Dante Gabriel.Ga naar eindnoot7 C'est assez long, mais c'est pour un ‘pauv' prisonnier’. - Le temps est abominable ici, depuis q.q. jours. La pluie tombe, tombe, tombe. Et le vent hurle. Et l'orage rugit. Et tout est triste. - Déja six semaines, mardi prochain! Pas encore le quart de six mois. - Cette fois-ci, du moins, tu ne me gronderas pas d'avoir gaché du papier. - Fais mes sincères amitiés à Olive, Helen et Mary et mes compliments a leur père. As-tu vu Louise? Toujours pas de lettre de ce brave Bernard. Sais-tu où il est? Moi pas. Si Bernard savait où je suis, il m'écrirait sans aucun doute. Il voulait aller de Londres à Paris, de la à Bruxelles pour ensuite rentrer chez lui. Mais depuis son départ de L. je n'ai rien appris de lui. As-tu vu Rosalinde et son crocodile Et q.u'apprends-tu de France? Est-ce toujours Méline qui règne ou | |
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a-t-il déjà fait la culbute ministérielle.Ga naar eindnoot8 Tu sais si les radicaux revenaient ... Mon espoir n'est pas très vivace, mais je ne puis pourtant pas me faire à l'idée d'être pour toujours banni de eet adorable Paris. A dimanche prochain, chérie. Fervent baiser de ton Sandro qui t'adore.
Tu me diras un peu dans ta prochaine lettre comment tu trouves les miennes. Tu ne m'en dis jamais un mot, à moins que ce soit pour me gronder. Et pourtant tu dois bien penser que je fais des efforts pour écrire d'une façon tant soit peu gaie. Certes, il y a des moments où je suis moins triste. Mais maintenant, ce temps! Ga naar eindnoot9 Biffé par bibi!
Pour ne pas trop m'empater je fais de la gymnastique, c.-à-d. des mouvements de bras, de jambes et des genoux. De temps a autre j'entreprends des courses folies... tout en restant sur place. Je fais tous les mouvements d'une course impétueuse... dans une celluie de sept pas de long. Mais cela me fait du bien.
Dèsormais pèse tes lettres avant de les expédier. Ces ‘stamped envelopes’ sont si épaisses.
Pourvu maintenant que ces travaux de traduction viennent vite. Tu peux t'imaginer comme je les attends avec impatience. |
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