Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.[Amsterdam,] Dimanche 13 septembre 1896.
Kaya aimée,
Encore une semaine de finie et voici une nouvelle lettre hebdomadaire. Oui, c'est peu, une lettre par semaine seulement, mais tu vois, pour la première fois de ma vie je fais de l'usure. Avec le papier! J'écris la-dessus autant qu'il m'est possible de donner dans quatre pages. Cette fois-ci encore j'ai obtenu deux feuilles, mais provisoirement je ne pourrai pas revenir à la charge. Une de ces deux feuilles sera destinée à Olive... mais tuliras aussicette lettre, de sorte que...Ga naar eindnoot1 Lasemainedernièredéja j'aieu l'autorisation d'écrire a mon frère, a qui j'avais a dire plusieurs choses, surtout à l'intention de mon père. Puis, lorsque la semaine passée tu me demandas de t'écrire le samedi au lieu du dimanche, je n'ai même pas eu besoin de le demander. On est venu spontanément m'apporter le papier et l'enveloppe et ainsi j'ai pu t'écrire immédiatement. - J'ai eu, deux jours après ton départ, une bonne lettre de Piet et une de sa femme. Quelles braves, braves gens! Elle était anxieuse de savoir si tu étais bien arrivée et me demandait si je ne pouvais pas le lui faire savoir. Depuis, j'ai eu une lettre de toi où tu m'annongais que tu leur avais écrit. Je suis vraiment heureux de te savoir au milieu de tes amies. Je n'ose pas ajouter: et des miennes, puisque seules Olive et Mary me sont amies. J'ai bien remarqué, lors de mon dernier séjour à Londres, quand par hasard je rencontrai Helen, que ma vue lui était pénible et j'ai profondément regretté, après de lui avoir causé ce déplaisir. Néanmoins, et tu sais combien je suis vrai, je n'ai gardé aucun souvenir d'amertume de cette rencontre. Si amertume il y a, c'est évidemment a elle d'en ressentir a mon égard. Mais je voudrais qu'elle me pardonnat. Non en paroles, mais de coeur. Tu sais combien de faire de la peine, même involontairement, a autrui, me navre. Et moi je sais, comme toi-même, combien | |
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Helen est bonne et supérieure. Aussi bien, toi et elle, êtes-vous faites pour vous comprendre mieux que jamais deux femmes se sont comprises. Fais-lui mes amitiés. - Parlons maintenant un peu de ta lettre de lundi dernier (7 septembre). Comme bien tu penses - et comme d'ailleurs tu me l'as dit dans ta lettre du lendemain - les nouvelles que contenait la première m'ont irrité au plus haut degré. Ai-je besoin de te dire que ce que les journaux cités par toi ont publié est mensonges d'un bout à l'autre et inventé uniquement ‘pour les besoins de la cause’.Ga naar eindnoot2 Et quelle cause! Non, je n'ai pas fait l'éloge du docteur. Non, je n'ai pas dit que j'avais maintenant tout ce qu'il me fallait. Non, je n'ai pas dit que je me portais très bien! Non, je ne suis pas admirablement bien. Mensonges tout cela. Je te raconterai par écrit cette fois-ci ce qui s'est passé: Et pour commencer je dois te dire que tu m'as mal compris, ce premier jeudi où je te vis dans la cage. Ou, plus exactement, tu as mal compris un seul mot. Tu as compris coups où moi je disait douches! Mais cela ne change rien, absolument rien, à la chose. Puis la consonance de ces deux mots: coups et douches est amplement suffisante pour établir ta bonne foi. La distance qui nous séparait et les interruptions répétées du petit citoyen maussade qui était dans l'autre cage, expliquent et au-delà ton erreur. Voici ce que je t'avais dit en traduisant en français les paroles du docteur: Je te ferai, nom de Dieu, foutre des douches, jusqu'a ce que tu attrapes un coup d'apoplexie! Et comme tu t'es plongée depuis quelque temps dans les études philologiques, je veux t'en donner, pour ton édification, le texte hollandais: Ik zal je godverdomme stortbaden laten geven tot je een beroerte krygt. - Cette menace n'est pas moins ignoble que s'il eût été question de coups. D'abord, tu me connais suffisamment pour comprendre que si le bonhomme m'avait menacé de coups, je ne l'eusse pas laissé terminer sa phrase. Je n'ai pas besoin de te dire ce qui serait arrivé! Puis, il ne pouvait pas faire exécuter cette menace. Tandis que de me faire flanquer des douches: jusqu'a ce qu'apoplexie, c'est a dire mort, s'ensuive, était parfaitement dans son pouvoir. Sous prétexte de me guérir il pouvait parfaitement exécuter sa menace. Maintenant ils se cramponnent avec toute l'énergie du désespoir a ton erreur. Mais je le répète, cela n'y fait rien! -Ga naar eindnoot3 Quelques jours après j'eus la visite d'un monsieur tout de noir vêtu qui se disait ‘membre du collége des régents’ de la prison!Ga naar eindnoot4 C'était la première visite de ce genre. Lorsqu'il me fit la question si j'avais a me plaindre de quelqu'un, je lui répondis affirmativement et lui racontai l'affaire du Docteur. Voici, textuellement et rigoureusement, ce qu'il me | |
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dit: ‘Mais, Cohen, est-ce bien vrai tout cela? Sont-ce bien la les expressions du docteur?’ Et, sur ma réplique très affirmative, et comme il vit que j'étais q.q. peu blessé de voir mes paroles mises en doute: ‘Notez, que je n'ai aucune raison pour douter de vos paroles. D'ailleurs, les affaires du Docteur ne nous regardentpas! Le Docteur est un homme de science - deskundige, en hollandais - et nous ne pouvons pas nous meier de ses affaires.’ Réponse stupéfiante, n'est-cepas?-Depuis j'ai eu deux autres visites de ‘régents’ qui ni l'un ni l'autre ont soufflé mot du docteur. Bien plus: lorsqu'ils m'adressaient la question traditionnelle(?) si j'avais a me plaindre du traitement, ils ajoutaient toujours: ‘Les gardiens sont-ils convenables?’ A quoi tout naturellement, et conformément à la vérité, je répondis que je n'avais pas a me plaindre d'eux et qu'ils étaient très convenables. Jamais, entends-tu, jamais (avant hier, samedi) ces messieurs n'ont mentionné, en ma présence, le docteur. Ils ont évité d'en parler! Par conséquent, et bien naturellement, n'est-ce pas, depuis la réponse que j'eus du premier de ces ‘régents’, je ne leur ai pas reparlé de cette affaire. Puis, est-il admissible que, six mois durant, j'eusse répété, a chaque visite de ces gens, l'histoire du docteur? - Hier, j'ai eu une autre visite, la quatrième, d'un régent. Mais c'était encore un autre. Je lui ai raconté ce que je pensais de ce qu'on - qui est ce on? - avait mis dans les journaux, et que c'étaient des mensonges. Il m'a dit que pour eux l'affaire était finie et que je pouvais t'écrire que, en ce qui concerne le docteur, ils (les régents) avaient donné suite à l'affaire et que moi j'avais obtenu toute la satisfaction possible! - Pour le moment tu peux laisser cette affaire tranquille. Mais conserve précieusement cette lettre, qui, j'ose l'espérer, te parviendra. Garde-la soigneusement, car elle contient le récit rigoureusement exact de cette affaire. - Quant a mon état de santé, voici: mentalement, je vais mieux. Je suis bien moins abattu et triste que les premiers temps, grace surtout, chérie, a tes lettres si gentilles et aimantes, et aux beaux vers que tu m'envoies. (J'ai trouvé particulièrement beau: ‘O mon Dieu vous m'avez blessé d'amour’Ga naar eindnoot5 que pour m'amuser j'ai traduit en Hollandais. Très bien, je crois. Puis: O triste triste était mon ame,Ga naar eindnoot6 Il pleut sur la ville.Ga naar eindnoot7 Chanson d'automne.Ga naar eindnoot8 Très beaux aussi ‘Rigpah’Ga naar eindnoot9 de Tennyson et ‘Break break heart’.Ga naar eindnoot10 Comme ces filles sont gentilles de se donner toute cette peine pour moi!) - Oui, naturellement, tu pourras m'envoyer des petits dessins dans tes lettres. Si cela pouvait être quelque chose de colorié, cela me ferait très grand plaisir. Maintenant continuons au sujet de ma santé. Physiquement je me sens faible. Ma température n'est pas celle d'un homme bien | |
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portant. Loin de la. Elle est très basse. Ces derniers temps elle variait entre 36o, 36o2', 36o3' et 36o5'. Une seule fois elle a atteint 36o9' qui est bien et deux ou trois fois 36o6' et 36o7'. La température indique donc de l'anémie, de la faiblesse. Avec cela j'ai de nouveau des étouffements, surtout le soir, et je reste quelquefois pendant des heures avant de pouvoir m'endormir, tant je suis oppressé. J'aurais besoin d'une nourriture saine et fortifiante, comme je m'en procure quand je suis dehors. Souvent aussi j'ai violemment mal dans le dos et suis obligé de me coucher par terre, ce qui est un peu frais, le parquet étant en briques bitumées. Ce matin même je me suis fait porter malade et à l'instant le docteur sort d'ici. Je lui ai dit que je ne suis pas bien et me sens faible, et je lui ai demandé une nourriture plus fortifiante que l'ordinaire de la prison qu'il m'est impossible de digérer. Tous ces haricots, et ces pois et cette orge me brûlent affreusement l'estomac et le plus souvent je n'en mange pas le tiers. Il m'a dit que dans la ‘société’, c'est-a-dire dehors, je suis probablement malade aussi!! Possible, mais alors je me soigne et je mange ce qui m'est nécessaire et indispensable. Il a dit que la seule chose qu'il pourrait me donner serait une demie livre de viande par jour... mais qu'il ne la donnera pas. Admirable, n'est-ce pas? - Mais il m'a prescrit des pillules! Pour remplacer la viande, sans doute! De sorte que je vis maintenant sur un litre de lait par jour et du pain de froment, tandis qu'il me faudrait des choses autrement fortifiantes! Je dois ajouter que, depuis les mensonges racontés par les journaux - et qui tendent a établir que je suis admirablement bien - on ne vient plus relever ma température. Tu tireras toi-même la conclusion de cette bizarre coïncidence. - Je colle toujours des sacs pour l'épicier américain.Ga naar eindnoot11 Et puis je lis beaucoup. Du français, de l'anglais, de l'allemand, du hollandais. De temps à temps j'ai des illustrations. Sous ce rapport je suis vraiment ‘admirablement bien’ et je dois te redire, comme je te l'ai dit dans la cage déja, et comme, le cas échéant, je le redirai dehors, que pour tout le reste - excepté l'homme de science (sic) je suis traité avec égards. Je ne t'écris pas cela parce qu'on lit mes lettres, mais quoiqu'on les lise. J'ai toujours dit et écrit ce qui était vrai, pour le bien comme pour le mal et je continuerai. - Ci-joint, aimée, quelques petites fleurs, des pensées, que j'ai cueillies pour toi en passant ma main a travers les grilles du promenoir! Des fleurs dans une prison! Oui, la nature est moins cruelle que les hommes et elle se moque de murs, de grilles et de verroux. - Je n'ai pas eu de lettres d'Emile, ni de Félix, de Domela non plus. Mais de Victor j'en ai eu une - je te l'ai dit - et il croit que je peux lui répondre. Il me | |
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donne son adresse: à partir du 15 septembre de nouveau 17 Hégésippe Moreau. Il faut absolument lui écrire, chérie, pour le remercier de sa lettre, pour moi, et lui dire que je ne peux pas répondre. Néanmoins il doit continuer a m'écrire. - Voilà qu'on vient de nouveau pour relever ma température. Mais maintenant on prend des précautions pour que je ne la voie pas moi-même. Je finis celle-ci, en te renvoyant à la lettre pour Olive que je te prie de lui remettre. Mes amitiés à tout le monde. Ton retour (Piet m'a écrit que tu as pris un retour) est valable pour deux mois. Ne le perds pas et ne reste pas si longtemps. Le matin je me réveille et le soir je m'endors avec ton image bénie devant les yeux. Je t'adore, pas paree que je suis prisonnier.
La lettre d'Olive que tu m'as envoyée la semaine dernière était si gentille! Elle me demande si elle peut m'envoyer des livres, des journaux ou de l'argent. Je ne peux pas avoir de journaux, mais je lui dirai qu'un prêt de deux livres me sera très agréable. Je veux dire des livres sterling.
Hier, samedi, je n'ai pas eu de lettre de toi, chérie. Mais à l'instant on vient me dire qu'il y en a une. Je l'aurai demain, et je suis déjà heureux de le savoir.
Achète-toi un chapeau à Londres, chérie. Tu n'as pas de chapeau d'hiver et à Londres tout est si bon marché.
Pauvre Gori! Je suis heureux d'apprendre que ce n'est pas si dangereux. - Et le certificat de Snake?
Les amis n'ont pas l'air de beaucoup se remuer. Le font-ils? Je ne crois pas. Ne peux-tu pas un peu les stimuler? - Déja cinq semaines, mardi, c'est long.
Ecris-moi toujours des lettres gaies, copie-moi de beaux vers et croismoi toujours ton amant Sandro.
(Oui, envoie la grammaire anglo-russe.)
Comment trouves-tu mes petites fleurs?Ga naar eindnoot12
Tu n'auras celle-ci que mardi, au plus tôt. Un baiser du fond de mon coeur sur tes yeux. S.Ga naar eindnoot13 |
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