Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.Vendredi 28 août 1896.
Kaya aimée,
Encore une fois j'ai obtenu de M. le DirecteurGa naar eindnoot1 de t'écrire avant dimanche et je veux commencer ma lettre par quelques petites bonnes nouvel- | |
[pagina 123]
| |
les: 1o. Je peux porter mes flanelles (je te prie de m'en envoyer tout de suite deux, par colis postal, Piet sait comment se font ces expéditions. J'espère, chérie, que tu les aies prises avec toi, comme je te l'avais demandé. J'ai tout le temps très froid et mes flanelles me font grand défaut) 2o. J'aurais désormais du pain blanc au lieu de eet horrible et indigeste pain noir et, en outre, un litre de lait par jour. Enfin, je pourrai manger q.q. chose, car jusqu'ici j'étais réduit à la seule pitance de midi qui n'est pas toujours fameuse. - Comme j'ai souffert dimanche et lundi! Pas de lettre de toi. Et je me forgeais les idées les plus sinistres. Je te croyais morte ou mourante et moi j'étais ici sans pouvoir seulement te voir. Il faut savoir, aimée, que je reçois tes lettres avec un jour au moins de retard. Ainsi ta lettre qui arrivé ici dans la soirée, je ne l'ai que le lendemain vers midi. - Voilà justement que l'on me remet ta lettre datée du 26 (mercredi) amidi, le 28 (vendredi). Quand donc mets-tu tes lettres à la poste, chérie? - Et cette lettre de toi m'explique tout: le lait, le pain et les flanelles. Il faut savoir que depuis une semaine on vient régulièrement deux fois par jour pour relever ma température. Avant-hier encore j'avais demandé au docteur de me prescrire du moins un peu d'huile de foie de morue liquide difficile a ranger parmi les gourmandises. Mais cela est très bon pour les organes respiratoires et puis les corps gras développent de la chaleur dont j'ai rudement besoin, car je gèle ici. Mais cette huile aussi il me l'a refusée. Il n'en voyait pas la nécessité, disait-il. A présent, cependant, tout est bien et il ne faut plus en parler! J'aurai mes flanelles et en même temps quelque chose que je pourrai manger. Tu as donc joliment bien fait d'écrire au N.v.d.D.Ga naar eindnoot2 et je trouve fort bien de la part de la rédactionGa naar eindnoot3 d'avoir mis eet ‘homme de science’ au pied du mur.Ga naar eindnoot4 En effect, c'est oui ou non. Avez-vous, oui ou non, dit telle chose, proféré telle menace? - Lundi a été pour moi un jour affreux. D'abord pas de lettre de toi et puis, pour augmenter encore mon angoisse, ce temps sombre bien fait pour me rendre fou. Pense un peu quel jour et quel nuit j'ai passés. Enfin, le lendemain, j'avais demandé à voir M. le Directeur pour demander l'autorisation de t'écrire, ou bien d'écrire chez Molenaar. Et alors j'appris que, depuis la veille au soir, il y avait une lettre de toi pour moi. Si seulement on me l'avait dit! La réaction, après de si intenses angoisses, a été violente, mais bienfaisante aussi. J'ai beaucoup pleuré, et cela m'a soulagé le coeur. Mais je m'étais cru bien prés de la démence. - A présent je vais mieux. Hier, il y a eu du soleil, un beau soleil glorieux et j'ai pu m'y chauffer, m'en emboire pendant la promenade, c.-à-d. la mise à l'air dans une cage. Aujourd'hui aussi, le | |
[pagina 124]
| |
temps n'est pas trop brumeux. Puis maintenant, grêce à l'instituteur de la prison, je puis lire autant que je veux. C'est a dire dans mes heures de loisir, qui ne sont pas très nombreuses. Quatre fois par jour une demiheure, et puis, le soir de 8½, h. à 9½, h. Mais le dimanche toute la journée. Cela, comme bien tu penses, m'est un grand soulagement. Je colle des sacs de six heures du matin à 8½, h. du soir, avec, comme je viens de le dirè, quatre interruptions par jour. Ce travail, les sacs, n'est pas dur, évidemment, mais il n'absorbe pas l'esprit. Comme j'aimerais faire des traductions et, de préférence, des difficiles! - Ne crains-tu pas, chérie, de m'avoir donné de trop positives espérances? Tu es si affirmative. Naturellement, j'aimerais croire aussi ce que tu me dis, mais à vrai dire, j'ai peur d'espérer. - As-tu vu, toi-même, des personnes que je t'avais indiquées? Réponds-moi la-dessus. Et puis dis-moi (autant que cela peut se dire sans préjudice) ce qui se fait et ce qui te fait espérer un bon résultat. Mais dis-le seulement si tu le crois à propos. - Voilà la pature qui arrivé. De l'orge. Mais pas très bon. Ni beurre, ni sucre, ni lait. Cuite à l'eau. Enfin, que veux-tu, c'est chaud et ga bourre. Demain j'aurai du pain que je pourrai manger. Ce pain noir me brûlait l'estomac et me donnait des crampes, impossible de le digérer. - Garde-moi, Kaya aimée, ce numéro du N.v.d.D. avec ta lettre, ainsi que celui qui contient le plaidoyer de l'inculpé. Tu penses, si j'en suis curieux. Et puis tous les journaux qui pourront m'intéresser et sur les-quels tu pourras mettre les mains. Ainsi tu viendras me voir ici jeudi. A moins que!... Mais je n'ose pas espérer cela. Y as-tu pensé, a indiquer la date du 31 août comme fort propice?Ga naar eindnoot5 - Donc chérie, si tu viens jeudi prochain, sois à temps, c'est a dire avant 9½, h. Le mieux serait de partir de Westzaan le mercredi soir, tu pourras sans doute coucher chez Jo pour être à temps le lendemain. - Je ne reçois pas beaucoup de lettres. J'en ai cependant eu une qui m'a fait grand plaisir. Elle était d'un gargon que j'ai connu dans le temps à la Haye (il y a plus de neuf ans de cela) et qui était typographe à l'imprimerie où je fonctionnais comme correcteur.Ga naar eindnoot6 Il était le seul que j'aimais bien et sa lettre m'a fait grand plaisir. Puis j'ai eu deux lettres bêtes de gens qui avaient l'air de me féliciter paree que j'étais en prison, et qui exprimaient l'espoir, non, la certitude, que, aussitôt libre, je me ruerais, tête en avant, dans la propagande! Cependant, depuis tantót trois ans, ils ont eu le temps de s'apercevoir que je m'en fous, de la propagande et que je ris de tout.Ga naar eindnoot7 Enfin, leur intention était bonne. Ils | |
[pagina 125]
| |
voulaient m'écrire pour me faire passer le temps. - Oui, tous les soirs je pense a toi avec intensité. Vers les dix heures. La lumière est alors éteinte. Je te vois fort bien dans ta couchette en bois, pres de la fenêtre. Puis, je t'embrasse et je te cause. Je ne sais pas, naturellement, si tu t'en apergois. Puis, graduellement, la vision disparait et je m'endors. Mais pas toujours, car cette nuit encore je n'ai pas dormi presque. Ces derniers jours mon oppression était un peu partie, mais depuis hier cela recommence. Moins, cependant, que les premiers dix ou douze jours. Je suis heureux, très heureux de te savoir chez ces braves gens. Comme les enfants doivent t'amuser et te distraire. - Oui, d'avance je te nomme capitaine de notre barque. Lorsque je sortirai, nous irons habiter dans un vieux bateau, à moins que ce soit dans une voiture comme les forains, tu sais. Cela me plairait assez, tu sais. Une vie au grand air, au soleil, au bord des rivières et de la mer et le plus loin possible des hommes et du monde ‘civilisé’. Quel rêve! - As-tu déjà communiqué ma présente adresse aux gens qui cela peut intéresser? - Si tu vas à Londres - c'est bien loin, cependant! - je te conseillerais de prendre le train à Amsterdam, directement. C'est le soir. Cela est un peu plus cher que si tu allais d'abord a Rotterdam, mais c'est bien plus commode et moins fatigant. Surtout, munis-toi de ton grand manteau, que tu as encore le temps de retaper. Il fait très froid sur le bateau en la présente saison. A propos, as-tu encore eu la visite de Mary et d'Arthur?Ga naar eindnoot8 - Oui, chérie, j'ai trouvé ton anglais pas trop mal. Du moins il y [a] des passages assez bien. Mais tu fais beaucoup de fautes par inattention plus que par manque de savoir. Mais continue, chérie, a t'exercer, et tu sauras très vite. Je te l'affirme. - Tu sais donc lire le hollandais, petite cachottière, que tu déchiffres si bien ce qu'il y a dans les journaux. Comment as-tu su ce que contenait la lettre du docteur et ce que la rédaction y a ajouté - Voilà, aimée d'or, que je reçois ta deuxième lettre, écrite hier soir. Tu sais, les deux bouts de papier. Comme je t'aime pour ta vaillance et la gaieté de tes lettres. Alors MaartenGa naar eindnoot9 t'a battue en combat singulier? Dis-lui que je vengerai cette défaite infligée a ma femme. - Alors aujourd'hui - vendredi - tu es allée en ville et tu auras vu Domela? Il m'a écrit une fois mais comme je ne puis écrire qu'une lettre par semaine laquelle lettre, bien entendu, t'est destinée, il m'est impossible de lui répondre, pas plus d'ailleurs qu'a mes autres correspondants. Maintenant que je suis un peu mieux traité, il faut laisser tranquille le Sarrasin de l'endroit. Si tu reçois le certificat de RakeGa naar eindnoot10 et des autres médecins, tu les garderas provisoirement et soigneusement. - Oui, Piet est un hom- | |
[pagina 126]
| |
me peu commun. Je crois aussi qu'il est un des seuls qui me comprenne. C'est bien ça: ni s. ni a. mais unhomme libre... quoique emprisonné pour l'instant. - Oui, mon aimée, j'ai obtenu de M. Ie Directeur une table plus haute, sur deux escabeaux, ce qui me permet de travailler debout quand d'être assis me fatigue trop la poitrine et m'empêche de respirer. C'est très intéressant, n'est-ce pas: Le Rouge et le Noir de Stendhal. Moi j'ai en ce moment un roman de Dickens que tu n'as pas lu encore: Nicholas Nickleby, en anglais. Puis j'ai un roman de Walter Scott (butterscotch!) très intéressant: Kenilworth. Puis un récit de voyage en Russie et en Perse en français. L'instituteur est très bon pour moi et le dir. aussi. - Mentalement aussi je suis mieux maintenant. Pourvu que cela continue! Dis-moi dans ta prochaine lettre ce que tu auras appris de neuf à Amsterdam. Je suis très content des quelques lignes de MaGa naar eindnoot11, ainsi que de la lettre si sensible de la femme de Piet.Ga naar eindnoot12 Oui, comme elle est bonne! Et grand'mère aussi! Nulle part, en Hollande, tu serais mieux. Si tu vas à Londres, écris-moi tous les jours, n'est-ce pas, chérie. Et surtout n'omets pas de m'écrire dès ton arrivée. Lettres à la poste avant 4 heures, l'après-midi. Pour le night-mail. Oui, à tout à l'heure en pensée. Ci-dessous q.q. lignes pour la familie Piet. Qe ne pourrai pas t'écrire dimanche, malheureusement.) J'attends avec impatience ta prochaine lettre. Donne-moi, le plus possible, des détails, et dis-moi aussi, toujours si possible, si tu espères encore et sur quoi tu bases ton espoir. De coeur et ame
ton Sandro
Beste Piet. Hartelyk dank voor je schryven, alsmede voor de brief van je goede vrouw en Ma's lieve regelen. Schryf my vooral dikwyls. De groeten aan grootmoeder. Niet vergeten, hoor. Ja, ik zal myn best doen om kalm te blyven. Op dagen van zonneschyn gaat dat nogal, maar als het regent en donker weer is, dan is het erg. Hartelyk gegroet en nogmaals bedankt van je Alexander C.
Je pense que tu auras cette lettre demain (samedi) au matin. Si tu me réponds tout de suite et si tu mets ta lettre à la poste avant deux heures, je l'aurai peut-être, du moins je l'espère, dimanche matin. - Oui, quand serons-nous ensemble de nouveau? Bientót
Non, je n'écrirai pas à Mme St. tant que je suis ici. Je ne te priverai d'aucune lettre, pas plus que moi-même du plaisir de t'en écrire une. - | |
[pagina 127]
| |
Oui, dis à Arthur de m'écrire. Et à Olive aussi. Et de longues lettres. As-tu donné mon adresse à Paul et George?
Chérie, je te prie moi-même, tâche d'écrire un peu mieux. Il y a des mots parfois que moi-même je ne parviens pas à déchiffrer. |
|