Brieven 1888-1961
(1997)–Alexander Cohen– Auteursrechtelijk beschermdAan Kaya Batutaant.[Londres],Ga naar eindnoot1 4 août 1896.
Kaya adorée,
Comme tu écris peu! Je ne sais pas s'il y a une lettre de toi 44 Albany Street (car cette nuit j'ai couché ailleurs: chez les mêmes personnes où Domela loge) mais j'irai la tout à l'heure. Quant à moi, depuis vendredi, il m'a été impossible d'avoir à moi une minute. Samedi je suis resté au congrès jusqu'a la clóture, à 2 h. de l'après-midi, et puis nous sommes allés, Domela et moi, au ‘Cristal Palace’ oùsqu'il y avait un feu d'artifice. Je ne me suis pas amusé du tout. Tu sais que je n'aime pas les foules et encore moins les foules en fête. Puis l'impossibilité où j'avais été de t'écrire acheva de me rendre malheureux. Dimanche il y a eu un meeting (très bon et très sympathique celui-la) pour obtenir la mise en liberté des prisonniers politiques, autrement dit des dynamitards anarchistes et | |
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irlandais. Le meeting a eu lieu dans... Trafalgar square. Les orateurs, Domela, Louise Michel et autres, étaient montés ou avaient été hissés sur le piëdestal de la colonne de Nelson, tu sais, avec les quatre lions aux coins. C'était très pittoresque, et des speeches épatants ont été prononcés. Domela a été fort bien. Il a demandé la mise en liberté non pas des ‘politiques’ seuls mais de tous les malheureux qui sont en prison. Louise a été vraiment grandiose et on ne peut plus tragique. Toute de noir habillée, sur ce piëdestal entre deux énormes lions, les bras étendus, la parole saccadée, elle était belle, d'une beauté terrible et menagante. Moi, cela faisait se dresser mes cheveux sur la tête. Une quête faite (et qui bientôt se transformait littéralement en une pluie de pennies sur le piëdestal de la colonne) rapporta deux livres et 16 shillings. Et dans moins d'un quart d'heure. Hier, lundi, c'était bank holiday. Toutes les postes et toutes les boutiques fermées. Même le Vegetarian restaurant où j'aurais voulu déjeuner avant d'aller chercher Domela qui habite chez des amis (où j'écris cette lettre) a Denmark Hill.Ga naar eindnoot2 Nous sommes allés dans la campagne dans l'intention de nous reposer un peu des fatigues de la semaine (et des semaines) dernière. Hélas, nous avons marché des kilomètres sans trouver un endroit qui n'était pas infesté de people. Puis pas moyen d'avoir que ce soit a manger et a boire, de sorte que je me suis promené de 9 h. du matin à 7½, du soir sans avoir rien eu a boulotter. Alors je suis resté coucher chez les amis de Domela (qui sont d'excellentes gens) et pour la première fois depuis quinze jours j'ai eu un lit à moi, à moi seul, et j'ai dormi délicieusement. Les autres jours j'ai couché soit par terre (le plus souvent) soit sur un abominable sofa, soit avec d'autres personnes. Hier nuit avec Bernard, ce qui m'était presque un plaisir. Il est parti hier matin pour Edimbourg pour y prendre sa femme. Il reviendra ensuite à Londres pour trois ou quatre jours. Ensuite il passera par Paris, Bruxelles (peut-ètre Amsterdam) pour aller enfin s'établir, cultivateur de tomates et autres vegetables en Allemagne. Comme il est bon! Mon coeur m'a sauté dans la poitrine quand je l'ai revu et j'étais très ému lorsqu'il est reparti. Je n'ai vu sa femme qu'une minute a peine ce qui m'a largement suffi. Et puis, je le maintiens, Bernard est un tout autre homme (un homme plus heureux) quand il est seul. J'ai vu le savant professionnelGa naar voetnoot*. D'abord il a fait semblant de ne pas me connaître. Ensuite, et très brusquement, il m'a serré la main ce qui, | |
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de sa part, était plutôt intelligent. Il était au congrès comme anarchiste (comment donc!) ondoyant, se glissant partout, habillé en bicydiste: pantalon court et flottant, gilet tricoté, cap. - J'ai revu Gori. - Toujours italien! Il se promèneGa naar eindnoot3 [m]aintenant avec une petite potence [en] métal blanc sur son veston. Insigne anti-bourgeois. [D]omela, qui a vu cela comme [m]oi, a fini par croire que l'ami [ ] était légèrement cabotin. J'ai encore rencontré un autre idiot: Robin,Ga naar eindnoot4 l'ancien directeur de l'école de Cempuis. Tu sais, l'éducation intégrale. Tu te rappelles sans doute le bruit fait autour de ce personnage. Eh bien, la première fois que ce citoyen m'a abordé - il avait demandé a Tcherkessof de m'être présenté, a cause du plaisir qu'il avait eu a lire, dans le Torch, mon petit articulet sur Mrs Eden (l'avorteuse)Ga naar eindnoot5 - je vis que j'avais affaire à un vaniteux raseur. Trois jours après cette entrevue j'eus le plaisir de voir une de ses cartes de visite munie... de son portrait, Domela l'a vue comme moi ce dont je suis très content. - J'aurai encore beaucoup d'autres choses a te raconter, la plupart gaies. Trop dróles même pour une lettre qui ne saurait être gaie. - Je pense tout le temps a toi, chérie, et le temps me dure terriblement. Domela veut rester encore q.q. jours et me demande a rester aussi. Moi je voudrais être auprès de toi et il est possible que je parte demain ou après-demain soir. Tu en seras avisée. - Pour combien de jours serons-nous ensemble? Cette idée est terrible malgré mon courage et ma décision d'en finir. - Ecris-moi à l'ancienne adresse: 44 Albany street, N.W. London. Même si je reste ici encore deux ou trois jours, j'irai tous les jours en ville voir s'il y a des lettres. Mille millions de baisers affectueux de ton Sandro |
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