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Au Luxe.
Ode.
Superbe fils de l'or! idole aux pieds d'argile,
Qui reçois les parfums que l'orgueil te distille,
Despote couronné par la corruption,
Qui vois à tes genoux des esclaves sans nombre,
Nés dans l'éclat du jour, ou surgis d'un peu d'ombre;
O Luxe! puisqu'il faut t'appeler par ton nom;
Jusques à quand, dis-moi, colosse d'imposture,
Oseras-tu cacher ta hideuse figure
Sous les dehors trompeurs qui couvrent tes lambeaux?
Jusques à quand, bâtard de la noble industrie,
Aveuglant les humains dans leur idolâtrie,
Porteras-tu ton sceptre au milieu des tombeaux?
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Le riche et l'indigent, le fou comme le sage,
Subissent de tes lois le honteux esclavage;
Ton soleil est un Dieu qu'adorent les mortels;
Dans ses rayons, chacun aspire à faire envie;
Et la race présente, à ton culte asservie,
Sur un mobile sable érige tes autels.
C'est ainsi que, dorant les bords du précipice,
L'innocence s'égare et joue avec le vice;
C'est ainsi que l'on voit, dans nos jours désastreux,
L'opulence en public, en secret l'indigence,
La vertu dédaignée, et partout la licence
Joindre au mépris des moeurs l'oubli même des cieux!
Nos somptueux lambris affectent la richesse;
Tout brille autour de nous; nul n'est dans la détresse:
L'artisan en palais veut changer ses maisons;
Vins et mets, tout abonde à nos tables splendides;
Nos festins sont remplis et nos âmes sont vides:
Tout voile à nos regards la fange où nous marchons.
Oui! le faste fait seul le charme de nos fêtes;
Oui! l'or et les rubis parent toutes les têtes;
Les fleurs, les tendres fleurs, surchargent tous les fronts;
Du printemps de retour ces riantes parures,
Hélas! vont se poser sur toutes les figures,
Et livrer leur fraîcheur à d'indignes affronts!
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O bizarre union d'aconits et de roses!
Déplorable chaos des hommes et des choses!
Gouffre où va s'accoupler lé bien avec le mal!! -
Grand Dieu, dans tant de corps n'est-il donc pas unc âme,
Une noble pensée où rayonne ta flamme,
Un bras pour refouler ce torrent général?
Ne savez-vous donc pas, vains peuples en démence,
Que la vertu finit où ce luxe commence?
Qu'il n'est qu'un seul trésor à l'abri des revers?
C'est un coeur grand et pur, ennemi du mensonge,
Qui fuit le tourbillon où la foule se plonge,
Et, comme l'aigle aux cieux, plane sur l'univers.
Ne savez-vous donc pas, pauvres enfans des hommes,
Que tout marche au malheur dans le siècle où nous sommes,
Que vos barques s'en vont sans boussole et sans but,
Que sur cet océan sans fond et sans rivages,
Tout couvert des débris de vos nombreux naufrages,
Lorsque la foudre gronde il n'est point de salut?
Ne savez-vous donc pas, ignorans architectes,
Moins prudens à bâtir que les plus vils insectes,
Qu'un édifice est mal assis sans fondement;
Qu'élevé par vos mains, ce haut échaffaudage,
Effrayant, immoral, est un sinistre ouvrage
Qui vous écrasera de son écroulement?.....
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Non! vous ne savez rien! Perdus dans votre ivresse,
Vous ne comprenez plus la voix de la sagesse.
Le poète vous crie: ‘Arrêtez votre essor!
Malheur à vous! malheur à la race future!’
Et, payant ses avis d'une moqueuse injure,
Vous encensez l'idole et lui portez de l'or!
O médiocrité, laisse le luxe aux riches;
Laisse à leur fier orgueil tous ces clinquants postiches,
Ces désirs effrénés de briller au grand jour.
Tôt ou tard les excès nous conduisent au crime:
Quand le luxe est un Dieu, son temple est un abîme,
Où le peuple égaré s'enfonce sans retour.
O médiocrité, félicité suprême,
Doux état, qui permets de jouir de soi-même,
A tes charmes divins ramène les mortels;
Retire-les du gouffre où leur fatal délire,
Contre des pleurs amers échangera leur rire:
Les vains plaisirs sont courts; les remords, éternels!
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