| |
| |
| |
La Nonne.
Au milieu des grandeurs, belle de corps et d'âme,
La folâtre Ophélie, abjurant les plaisirs,
A cet âge où souvent le coeur est tout de flamme,
Va dans la solitude étouffer’ ses désirs.
Dis-moi, charmante fille, ô dis-moi qui te presse
De quitter tes salons, tes fleurs, ton ciel d'azur,
De rompre tes liens d'amitié, de tendresse,
Pour consumer tes jours au fond d'un cloître obscur?
Par quel aveugle zèle es-tu donc maîtrisée?
Sur le seuil de Vesta suspends tes pas séduits;
Ne viens pas, comme moi, trop tard désabusée,
Livrer ici ton coeur à d'éternels ennuis.
| |
| |
Si le ciel t'inspira, si l'Arbitre suprême,
Dans un songe divin bénit ton libre choix,
Alors; sois confiante, et viens, à l'instant même,
Jurer obéissance à nos sévères lois.
Des grâces du Seigneur, là, savourant les charmes,
Sur le marbre glacé, l'oeil levé vers. ton Dieu,
Inondée, à genoux,, de ravissantes larmes,
Là, tu prononceras l'irrévorable voeu.
Mais si de faux amis ont trompé ta jeunesse,
S'ils t'ont dit que la paix et ses plaisirs si purs,
D'une âme gémissante apaisant la tristesse,
Des dômes étoilés descendaient dans nos coeurs;
Que, belles de santé, de fraîcheur, d'innocence,
Nos vestales ici ne foulaient que ides fleurs;
Qu'avec un doux souris, la céleste Espérance
Versait, du haut des cieux, l'allégresse en leurs coeurs;
Tu dois te défier de ces chants de Sirènes.
De ces adroits discours crains le perfide attrait.
Un saint orgueil aussi peut préparer des peines;
Trop de zèle nous cache un sordide interêt.
Une abesse, cri tyran, souvent ici commande;
Souvent notre breuvage est ici bien amer!
Et, sur de tristes coeurs, dont Dieu reçut l'offrande,
Avec de froids dédains pèse un sceptre de fer.
| |
| |
A sa chaîne éternelle on pense avec alarmes;
Le tableau du passé se déroule à nos yeux;
Nous revoyons le monde; et ses magiques charmes
Tranforment nos esirs en supplices affreux!
La discorde entre alors par la porte abhorrée;
Les soucis sur le front, sur ses pas la terreur,
Elle allume sa torche à la lampe sacrée
Et, brûlante, la tient sur un malheureux coeur!
Va, garde-toi de croire à de cruels mensonges!
Sous ces voûtes souvent le bonheur.... c'est la mort!
Que mon expérience, en dissipant tes songes,
Avant qu'il soit trop tard, te dévoile mon sort.
Trois lustres avaient fui, quand, par lamain d'un père,
Arrachée aux espoirs d'un brillant avenir,
N'emportant avec moi que ma douleur amère,
Je fus conduite ici pour n'en jamais sortir.
Ce lieu m'offrit: bientôt sa pompe solennelle:
L'orgue qui prolongeait ses accords inspirés,
Les vestales, en choeur, chantant l'hymne fidelle,
Les autels, couverts d'or, de prêtres entourés;
Les myrtes, au milieu de ces saintes louanges,
Répandus sur mes pas; les vêtemens, les traits
De filles, au coeur pur, qui me semblaient des anges,
Leur amitié naissante et leur baiser de paix;
| |
| |
Les encensoirs dorés, dont la vapeur légère
Exhalait de l'encens les suaves odeurs;
Les novices, levant leur candide paupière,
Et portant, sur leurs fronts, des chapelets de fleurs;
Tout servit à tromper ma crédule faiblesse!....
Comme d'un feu divin je me sentis brûler!
Je crus même, tandis que durait cette ivresse,
Entendre, dans les cieux, des anges m'appeler!
Ces passagers transports à la fin disparurent,
Et ma voix prononça le serment sans appel!
Depuis lors, mes dégoûts et mes douleurs s'accurent;
Je marchai, dans ces lieux, comme un maudit du ciel
Toujours de noirs pensers! jamais ombre de joie!
Nul Séraphin ne vient sourire à mon réveil!
Mon coeur à ses regrets nuit et jour est en proie;
Nul songe de bonheur n'abuse mon sommeil.
Partout le désespoir devant mes yeux se place;
A mes regards troublés tout est sombre, hideux.
Lorsque je veux prier, mes lèvres sont de glace,
Et mon âme est fermée à la grâce des cieux!
Ma cellule, c'est l'antre inhabité, sauvage,
C'est la forêt, avec sa noire profondeur;
La cloche de minuit, c'est le vent qui ravage,
C'est le bruit menaçant des vagues en fureur!
| |
| |
O! si je te disais la douleur de ma mère,
Quand je scellais mon voeu d'un funeste serment!
Que de pleurs inondaient sa brûlante paupière!......
Ce triste souvenir ajoute à mon tourment.
Sa tendresse prévit le destin de sa fille.
Oui, je crois voir encor son trouble, son effroi
Dans ce cruel moment où l'odieuse grille,
Comme en brisant mon sein, se referma sur moi!
Et jamais cependant ses secrètes alarmes
De ces mornes cachots ne m'ont dépeint l'horreur;
Et jamais, non, jamais, ni sa voix, ni ses larmes,
N'ont arrêté mes pas sur le seuil du malheur!
Comment put-elle ainsi perdre sa fille unique?
Comment n'a-t-elle pas, aux marches des autels,
Arrachant de mon front ce voile tyrannique,
Retenu mon serment par ses cris maternels?
Hélas! le pouvait-elle?.... Un époux inflexible
Avait blâmé ses pleurs, fait taire ses sanglots
Elle cachait sa peine en son âme sensible;
Un muet désespoir seul attestait ses maux.
Mais toi, qui veux porter le nom sacré de père,
Pourquoi m'as-tu traitée avec tant de rigueur?
Avais-je, par un crime, allumé ta colère?
Dis, pourquoi de tes mains me déchirer le coeur?
| |
| |
Si tu n'as pas banni la pitié de ton âme,
Hâte-toi; que ces murs enfin me soient ouverts.
Mais non; tu restes sourd; et la loi..... chose infâme!
La loi même t'approuve en me chargeant de fers.
Et vous, jeunes beautés, saintement prisonnières,
Qui n'aimez que censure en ces austères lieux,
Oh! ne m'on voulez pas, si je n'ai, pour prières,
Que de cuisans regrets, que des pleurs douloureux!
Non, je n'ai point cherché ces demeures discrètes
Pour cacher mes erreurs sous leurs dômes sacrés
Non; je n'ai point choisi ces profondes retraites,
Pour livrer au remords des jours déshonorés!......
Mais remplissons mon sort. Déjà plus d'un symptôme
M'avertit que mon heure est tout près de sonner,
Que ce coeur affaîbli, quittant un vain fantôme,
De douleurs en douleurs ne doit plus se traîner.
Ah! lorsqu'avant le tempsi sous ces lugubres dalles,
Dans le tombeau glacé vous poserez mon corps,
Non, ne refusez pas, trop sévères vestales,
De réciter pour moi la prière des morts.
Dans ces lieux de repos, consacrés aux ténèbres,
D'un pas lent et pieux, descendez avec moi;
Portez et mon linceul et vos cierges funèbres:
Du Dieu que vous servez j'ai respecté la loi.
| |
| |
Fixez vos doux regards sur ce prêtre impassible,
Qui me remit le voile où j'enfermai mon deuil,
Et qui, dans ce moment solennel et terrible,
Viendra verser l'eau sainte autour de mon cercueil.
Et quand sur mon cadavre on répandra la terre,
Quand le coeur le plus sec trouvera quelques pleurs,
Puisse une larme alors tomber de l'oeil d'un père,
Et punir, d'un regret, ses injustes rigueurs!.....
|
|