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À mon Fils.
I.
Vois-tu, mon cher enfant, ce temple du Seigneur?
La, repose une femme arrachée à mon coeur.
Le ciel, à sa prière, accorda ta naissance,
Et son amour pour toi méprisa la souffrance. -
Mais que veulent ces eris, ces sanglots douloureux,
Et ces torrens de pleurs qui coulent de tes yeux?
Partages-tu déjà le chagrin qui m'atterre,
Ou bien, refuses-tu le lait d'une étrangère?
Pourquoi tends-tu les mains vers cette église en deuil?
Veux-tu que je te porte à ta mère au cercueil?
Veux-tu, dans ta douleur, gémissante colombe,
Y pleurer dans mes bras, ou ramper sur sa tombe?
Patience, mon fils! bientôt tu marcheras;
Oui, bientôt, à ma main accompagnant mes pas,
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Sur les restes sacrés de la plus tendre mère,
Tu verseras tes pleurs, à genoux sur la pierre!
O mon fils, patience! encore un peu de temps;
Bientôt tu marcheras; je t'en supplie, attends!
Je ne puis t'y porter; ma blessure saignante
Epuise, cher enfant, ma force défaillante:
Jusqu'alors, si par toi mes voeux étaient compris,
Tes yeux de ces longs pleurs ne seraient plus flétris:
Ils ne guériront pas mon coeur dans les alarmes,
Et ta mère n'est plus pour recueillir tes larmes!....
Tu n'entends pas? eh bien! je respecte tes cris.
Dussent-ils me tuer, pleure, pleure, mon fils!
Epanche ta douleur! c'est une chose amère
D'empêcher de pleurer l'enfant privé de mère!
Moi-même, chaque fois que je viens t'embrasser,
Ne sens-je pas des pleurs dans mes yeux s'amasser,
Et tomber sur ton front comme un brûlant ulcère?
Oui, pleure, mon enfant; tu l'apprends de ton père!
Mes larmes sont ma tâche; et mon toit de douleur,
Un désert...:. où l'hymen m'offrit tant de bonheur!
Un siège est près de moi; mais je n'y vois plus celle
Qui me paya si bien ma tendresse et mon zèle.
Le point du jour vient-il, après un court repos,
M'arracher au sommeil, seule trève à mes maux;
Je cherche vainement cet aimable visage,
De toutes les vertus noble et touchante image;
Je ne lui donne plus le baiser du matin!
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Je me lève avec l'aube, et me traîne au jardin;
Où chacun de mes cris, par l'écho que j'éveille,
Comme un accent plaintif, revient à mon oreille.
Au sommet des tilleuls par les vents agités,
Mes regards un moment se sont-ils arrêtés;
J'entends celle que j'aime, et crois, dans mon délire,
Que son âme descend sur l'air que je respire.
Cruelle erreur! elle a disparu pour jamis!
De froides gouttes d'eau, qui tombent des cyprès,
Mouillent mon front brûlant, et le triste feuillage,
Semble entendre, en pleurant, mes plaintes qu'il partage.
Et mon fils, devant Dieu, père des orphelins,
Ne pourrait exprimer ses besoins, ses chagrins!
Non, je n'aimai jamais celle que j'ai perdue,
Si mon fils n'ose pas la pleurer à ma vue!
Quand la tige se rompt, prêt à s'epanouir,
Le bouton, sans vigueur, ne doit-il pas languir?
L'art peut encor pour lui remplacer la nature;
Mais il tombe flétri, faute de nourriture.
Gage de notre hymen, je révoque mes voeux:
T'interdire les pleurs, ce serait trop affreux,
Et s'ils n'arrosent pas la tombe maternelle,
De ta nourrice au moins qu'ils mouillent la mamelle!
Au lait qui dans tes flancs va porter la santé,
Peut-être ils mêleront leur âpre humidité;
Ne crispe pas ta lèvre! en te vantant ses charmes,
Le monde t'offrira souvent un pain de l'armes!
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II.
Je pressais, sur mon coeur,
Une femme adorée; un roi, dans sa grandeur,
L'être le plus heureux que le ciel avantage,
N'aurait pu se vanter d'un si riche partage;
Au comble d'un bonheur qu'on ne peut exprimer,
A peine nos liens venaient de se former,
Que celui qui donna l'existence à ta mère,
Ferma, mon cher enfant, ses yeux à la lumière.
Par la mort du vieillard quel coup lui fut porté!
Elle qui, si long-temps, heureuse à son côté,
Lui servit de soutien, le consola sans cesse,
Et, pour le mieux aimer, lui voua sa jeunesse!
Hélas! malgré son front paré de cheveux blancs,
Malgré son corps courbé sur ses pieds chancelans,
Malgré de ses longs jours le poids octogénaire,
La nature semblait l'enlever à la terre.
Aux portes du trépas, chrétien et vertueux,
A sa fille affligée il indiquait les lieux
Où, vainqueur de la mort, rajeunit la vieillesse:
Ton Dieu, lui disait-il, calmera ta tristesse!.....
Je lui parlai du fruit renfermé dans son sein,
Et nourri sous un coeur que brisait le chagrin.
Dans cet enfant, son père était près de renaître:
Quelle ineffable joie allait suivre cet être!
Elle reprit courage; à côté d'un cercueil,
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Vers le séjour du juste elle leva son oeil,
Vit son père, et; séchant ses pleurs sur sa poitrine,
S'inclina devant Dieu comme l'ange s'incline!
Le mortel qui gémit dans l'horreur des cachots,
Aspire moins peut-être à voir finir ses maux,
Que ma tendre compagne aspirait après l'heure
Qui remplirait de biens notre heureuse demeure,
Déjà nous embrassions cet enfant tour à tour,
Et nous lui prodiguions à l'envi notre amour;
Folâtre, à nos repas, il jouait plein de grâce;
Il marchait! au jardin nous choisissions sa place;
Charmant, il grandissait déjà pour les vertus,
Sa jeunesse déjà flattait nos coeurs émus;
Enfin, il était homme! et, sur la bonne voie,
Comblait de ses parens et les voeux et la joie!
Son terme la surprend dans ce rêve enchanteur;
Souffrante, elle demande assistance au Seigneur;
Je suis père d'un fils!..... mais elle..... ô mort jalouse!....
Tu pleures, pauvre enfant! ton père est sans épouse!
Ne tremble pas ainsi! dans ta vive douleur,
Blessé d'un coup mortel qui fait saigner ton coeur,
Mon fils, pitié pour moi! N'aimes-tu pas ton père?
Tu ne peux m'accuser de la mort de ta mère.
Hélas! pour ta faiblesse un tel poids est trop lourd;
Mais ne crains pas la croix; ton père te secourt;
Il marchera courbé; c'est à lui cet ouvrage!
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Le ciel de ce fardeau dispense encor ton âge.
Vis seulement, mon fils, et je suis satisfait;
De celle qui n'est plus sois le vivant portrait.
Ne tremble pas ainsi! vis pour moi, je t'en prie;
Car, moi, c'est pour toi seul que je tiens à la vie.
Un père nous éprouve; et tu sauras un jour
Que ce qu'il fait est grand, qu'il frappe avec amour. -
Pourquoi nous gardait-il cette épreuve sévère?
La demande sied mal au fils de la poussière.
Oui, je me courbe, ô Dieu! malgré ce chaud combat,
Malgré ces tournoîmens de ma tête qui bat;
Je baiserai la verge au plus fort de la peine:
Bâtir sur ton amour, c'est vainere dans l'arène!
Je demeure à mon poste où j'attendrai mon sort;
Car tout ce qui respire est sujet à la mort.
Je combattrai debout, je remplirai ma tâche,
Sans ployer comme un jonc, ou sans fuir comme un lâche.
Voici dix mois, mon Dieu, depuis l'instant amer,
Qui brisa nos liens et lui coûta si cher!
De quel droit me plaindrais-je? avant ma rude épreuve,
De tes dons, chaque jour, je reçus une preuve,
Et je t'en remercie,!.... - Ou, presque anéanti,
Est-ce trop pour un coeur de te dire: merci!
J'en ai la force eneor, quoique mon sein halète,
En répétant: Seigneur, ta volonté soit faite!
Oui, merci pour le bien que tu m'as accordé!
Tu m'offris le calice, et moi, je l'ai vidé;
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Et s'il eût mieux valu l'épancher sur la terre,
Ton enfant ne l'eût pas reçu des mains d'un père!
Peut-être que ce coeur ne battra plus long-temps;
Mais toi seul as compté dans les cieux ces instans.
Je t'adore, et j'exalte, avec chaque parole,
Celui qui me donna, qui me prit mon idole!
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III.
Juste Dieu! quel fantôme, épouvantant mon coeur,
Surgit devant mes yeux et me glace d'horreur?
Dans tes divins secrets nul mortel ne peut lire;
Mais pardonne les soins que ma douleur m'inspire.
Cet enfant, mon espoir, ma vie et mon amour,
Cet enfant, qui devait charmer notre séjour,
Ce cher enfant aussi, qui coûta tant de larmes,
Chargera-t-il mon front de chagrins et d'alarmes?
Un jour traînera-t-il son nom déshonoré?
Oui! l'enfant de ta grâce, ardemment désiré,
Qui ne met pas encor sur moi son pied débile,
Doit-il fouler mon coeur et troubler mon asile?
Est-ce pour ce malheur que, de regrets navré,
Je survis au trépas d'un objet adoré?
Est-ce pour ne pas voir une telle infamie
Que sa mère, ô Seigneur, quitta si-tôt la vie?
Dut-elle ainsi mourir?.... Grâce, Dieu de bonté,
Si j'ose interroger ta sainte volonté!
Arbitre de mon sort, excuse ce langage:
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Ma demande est orgueil, souffrir est mon partage.
Mais si ce glaive, hélas! s'aiguise encor pour moi,
Où fuir? où me cacher?... - Près d'un fils, devant toi,
J'invoque ton amour et ta toute-puissance:
Détourne de mon sein cette horrible souffrance!
Tu m'accordas ce fils, et, contre des monts d'or,
Je n'échangerais pas ce précieux trésor;
Mais s'il devait un jour m'abreuver de tristesse,
Reprends-moi cet enfant qu'aujourd'hui je caresse,
Enlève-moi ce fils dans sa pure candeur,
Avant que qu'il me déchire et qu'il me fasse horreur,
Avant son audace, insultant ta clémence,
Attire enfin sur lui les feux de ta vengeance!
Il ira dans les bras qui ne l'ont point pressé,
S'endormir sur le sein qu'il n'a jamais sucé,
Et pourra, dans ton champ, sans effrayer sa mère,
Mûrir comme l'épi que la moisson espère.
Elle sommeille en paix; son réveil triomphant
A ses brûlans baisers offrira son enfant.
Si le ciel, à ce prix, réunit l'innocence,
Je l'accepte joyeux!.... - O fête! ô Providence!
Ma compagne avec moi sous les dômes divins,
Et mon fils, mon cher fils, au rang des Séraphins!!
Mais où m'égare un songe? Hélas! ces jours funèbres
Ont répandu sur moi de profondes ténèbres;
Un nuage apparaît dès qu'un rayon me luit;
La lumière s'éteint; à mes yeux tout est nuit!
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Relève-toi, mon âme! et, dans ta peine extrême,
Ne méconnais jamais l'amour d'un Dieu qui t'aime.
O Père! ce serait faire injure à ton nom
De Dieu consolateur et de Dieu de pardon!
Mon fils dormait encor dans le sein de sa mère,
Qu'il te fut dédié, Seigneur, par la prière;
Il entra dans la vie; à la faux de la mort,
Qui se levait sur lui, tu dérobas son sort;
Et, possesseur du prix dans un combat funeste,
Que ne dois-je espérer de ta bonté céleste?
Mon enfant est à toi; ma tendresse en répond;
L'eau sainte d'alliance a coulé sur son front;
Oui, mon Dieu! sur ses traits tu vois ton sceau suprême,
Tu sais le double nom qu'il reçut du baptême.
Tu l'inscrivis aux cieux quand tu me le donnas,
Et, si je l'oubliais, tu ne l'oublîrais pas!
Au jour de mon départ, à l'heure de l'absence,
Je sais à qui mon coeur commettra son enfance;
Lorsque j'aurai trouvé le calme du tombeau,
Le bon berger qui veille aura soin de l'agneau.
Celui qui s'est assis au trône de son père,
Reposa dans un lange en ouvrant sa paupière:
Voilà, mon cher enfant, ton guide, ton appui;
Je te bénis encore et te consàcre à Lui!
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