Lucelle
(1976)–G.A. Bredero– Auteursrechtelijk beschermd
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Premiere scene.
Le pere, Philippin son valet, & Ascagne.
Ascagne.
Le Soleil radieux a fait place à la Lune: dé-ià le manteau de la nuict sombre se desserre sur nous, vmbrageant de ses tenebres la lumiere du monde. Ià tous les animaux soulagent leurs peines iournalieres donnant repos à leurs membres recreus du trauail brise-corps: & tous ceux de ceans font maintenant au repos sacrifice,Ga naar voetnoot* horsmis Madamoiselle Lucelle, qui a cette heure m'attend en sa chambre, pour consommer nostre heureux mariage au paradis de nos aises & contentemens. O heur incomparable! Dieu! que ie suis content. O heureuse nuict! ô heure fortunee pour moy! [60] Voilà la porte de sa chambre qu'elle a expres laissee entre baillee: il m'y faut entrer secretement.
Philippin.
Sus, sus, courage de brebis. Voilà dé-ià le malheureux Ascagne enfermé dans la chambre de Madamoiselle Lucelle, qui sera sa derniere prison, comme la sourisiere au rat. Il me faut en diligence hucher mon maistre, afin de voir ce beau ieu. Mais il me luy faut trouuer quelque finesse: car il a en si bonne reputation & sa fille & Ascagne, que iamais ne le croiroit: & pendant sa dispute ils s'en pourroyent aller. Or le voicy, il vaut mieux que ie luy die. Hola, mon maistre, ho, leuez-vous vistement. Arma, arma, virumque cano. | |
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Le pere.
Qu'as-tu? Est-ce vne fureur poëtique qui te prend, où vne tranchee de saint Mathurin?
Philippin.
Si ne faites ce que ie vous diray maintenant, vous serez le plus pauure homme de vostre race: Car voilà deux larrons qui ont échellé la fenestre de vostre comptoir, sont dedans & font l'anatomie de vostre compere Iean du Chesne.
Le pere.
Comment? mon coffre secret où reposent les plus precieux de mes meu- [61] bles? Sus, sus, va me querir mon coutelas: c'est fait de leur vie.
Philippin.
Non, non, mon maistre. Prenez plutost vostre sangdedé, ou vostre espee à deux mains, & leur coupez à chacun deux douzaines de testes, & autant de bras. Vous les verrez bien ébahis, quand ils les auront en leur giron.
Le pere.
Marche deuant, pour me monstrer le lieu.
Philippin.
Non, s'il vous plaist. I'ay grand coeur, & petit courage. Quand à moy i'ayme a faire l'arriere garde. Attendez mon maistre, écoutez vn peu à cette porte-cy bellement: ie croy qu'ils forcent vostre fille.
Le pere.
Paix, écoute. | |
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Devxieme scene.
Ascagne facteur, Lucelle amoureuse, le pere & Philippin son valet.
Ascagne.
Or sus, ma chere moitié, accomplissons maintenant le plus secret de nostre tant aimé mariage. Ioüyssons du paradis de nos aises. Que ie sois vostre vigne, & vous serez mon ormeau: & pour vsuraire recompense [62] des peines passees, cueillons le doux fruit, dont amour couronne ses bienfortunez amans.
Lucelle.
Hà, mon affection, que ie suis heureuse! le coeur me pantelle: ie suis toute hors de moy-mesme, vous donnant la victoire. Mais auant, ie vous recommande encores foy & secret: qu'il vous en souuienne.
Le pere.
Philippin, ie suis mort, mon amy: hâ tous mes sens se perdent, ie fremi tout d'horreur. Comment? C'est ma fille & Ascagne qui sont ensemble. Romps cette porte vistement, que ie les enferme tous deux. Tue, tue, garde qu'il ne sorte hors cette chambre. | |
Scene troisieme.
Le Pere & Philippin son valet.
Philippin.
Hà, débaucheur & violeur de filles: tu es enfermé à ce coup. Ie me donne à tous les millions, comme ie voulois enfoncer dans sa poitrine mon pergois iusques au pommeau, il me l'a arraché des mains & m'en a baillé du plat si grand coup sur mes posteres, qu'il a rompu pour le moins vn alloyau de mon échinee. Et pour euiter la fu- [63] reur de Monsieur, s'en est couru en sa | |
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chambre, où ie l'ay soudain enfermé par dehors, & y est encor'. Il me faut courir vistement le dire à mon maistre, qui parle à sa fille dans sa chambre. Hà, le voicy qui vient: ie croy qu'il a mangé tous les pourceaux de Saint Anthoine: comme il grongne.
Le pere.
O fille meschante!Ga naar voetnoot* ô pere malheureux, entre ceux qui regorgent de malheur! ô déloyal seruiteur! ô maison tachee pour iamais! ô cruel desastre! ô fortune! Helas! helas! ie disois bien que mon trop grand heur deuoit estre bien tost talonné de quelque grand malheur. Plus grand ne m'eust-il peu aduenir, que de voir ma fille vnique, ma fille tant aimee, ma fille dis-ie que i'estimois l'appuy de ma tremblante vieillesse, violee par vn vallet, fils d'vn pauure pescheur & incognu. Hé, la meschante! encore a elle esté si effrontee de me dire, qu'elle l'auoit pris pour mary: qu'il n'y falloit plus penser: le sort en estoit ietté. Telles paroles m'ont estonné, de sorte qu'à l'instant i'ay perdu la parole: & l'enfermant en sa chambre me suis tout honteux retiré iusques à ce que par moy autrement en soit aduisé.
Philippin.
Ascagne est aussi enfermé dans sa [64] chambre: comme ie le poursuyuois, il s'y est sauué: & moy incontinent de varouiller la porte par dehors. Aduisez seulement de quelle mort vous voulez qu'il meure, mon maistre.
Le pere.
Mais pourquoy me donnay-ie tant de peine de remedier à chose où ie ne puis plus rien?Ga naar voetnoot* car ils sont mariez dé-ià: & ce que Dieu a conioint, l'homme ne le peut separer. Mais aussi adieu l'honneur de ma race: chacun me monstrera au doigt: ie seray dechassé de toute compagnie: ioüé sur vn theatre, & seray fait la fable du peuple: les diners & soupers d'vn chacun. Il me semble dé-ià estre declaqueté chez toutes ces accouchees. Hà! ces choses me seroyent trop insupportables. Il vaut mieux aduiser autre remede. Personne n'en sçait encore rien, que toy Philippin, auquel ie me suis tousiours | |
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fié. Va de ce pas chez mon compere le sire Claude apotiquaire, qu'il te baille deux onces de sublimé present ou de marmatica,Ga naar voetnoot* s'il en a, qui est encor' plus prompt? d'autant que la pesanteur d'vn grain fait mourir l'homme en vn moment.
Le pere encor seul.
Hà! que i'ay esté grandement deçeu & trompé aux phisionomies de ces deux personnages: Car ie ne iurois que par la fidelité d'Ascagne, & par [65] l'obeyssance de ma fille, qui peu auparauant m'auoit dit qu'elle ne se vouloit marier auec le Baron de Saint-amour, afin qu'elle peust tousiours demeurer auec moy, pour mieux me soulager. Mais tous deux en mourront auec la poison que Philippin m'apportera: d'Ascagne il n'en sera iamais parlé: & de ma fille, ie diray que c'est vne maladie subite qui l'a fait mourir. Ainsi ma renommee demeurera tousiours entiere & bonne comme par le passé. II m'en fait bien mal: mais de deux maux il en faut tousiours élire le moindre.
Philippin.
Tenez, Monsieur, le sorsumé, que ie vous apporte. Il m'a dit qu'il est bien fin.
Le pere.
C'est du sublimé que tu veux dire. Mais pourquoy bouche-tu ton nez de ceste façon?
Philippin.
Afin qu'il ne me prenne comme la moustarde.
Le pere.
Tien, pren ceste pistole bandee & amorcee, auec ceste couppe, & me suy en la chambre d'Ascagne. | |
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Ga naar margenoot+Scene qvatrieme.
Le pere, Ascagne son facteur, & Philippin son vallet.
Le pere.
Tenez Ascagne le nouueau marié! ie vous apporte à vostre premier réueil le broüet de vos nopces: prenez le deuant moy, si vous n'aymez mieux soufler dans ceste pistolle. Elisez le meilleur, & ne prenez pas le pire.
Ascagne.
Hà! monsieur, est-ce la recompense de mes fideles seruices?
Le pere.
Mot, taisez-vous, taises-vous: mot.
Ascagne.
Hé! Monsieur, écoutez moy vn peu, ie vous en supplie tres-humblement à iointes mains: vous ne vous en repentirez point.
Le pere.
Donne moy ceste pistolle, qui ie luy en donne par la teste.
Ascagne.
Ie vous obeiray donc.
Le pere.
Tenez, n'en beuuez que la moitié.
Ascagne.
Reprenez s'il vous plaist la couppe, Monsieur, i'ay fait vostre commandement. | |
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Ga naar margenoot+
Le pere.
Demeure icy Philippin, iusques à ce qu'il soit mort, & me le viens dire.
Ascagne.
O barbare & cruelle tyrannie, de faire mourir vn homme sans l'auoir ny vouloir ouyr parler! helas! que i'ay trainé vne vie accablee de miseres, Car il est certain que des ma naissance tous malheurs estoyent amassez, qui depuis n'ont cessé me lancer de dures & cruelles alarmes. Mais ie serois bien soulagé entre tant de miseres, & mesmes apres ma mort, mes os en reposeroyent plus mollement, si i'auois veu vne fois ma Lucelle, pour luy dire chose qui ne luy apporteroit que tout contentement. Ie te prie, Philippin, fay moy ce dernier plaisir de luy faire sçauoir.
Philippin.
Et quoy, que luy veux-tu? Est ce encores pour luy crocheter de ta fausse clef la principale porte & entree de son chasteau naturel? Non, non: elle est empeschee, elle a les maçons, & fait la lesiue. Regarde seulement si tu n'as plus rien sur ta conscience, & d'y ton In manus.
Ascagne.
Patience: dis luy donc quand ie seray mort, qu'elle se vante d'estre vefue d'vn Gentil-homme fils vnique de l'ancienne maison de Vualachie de [68] Pologne, de qui auant qu'il soit peu de temps elle entendra des nouuelles en ce pays: car mon pere ne fait qu'aduiser tous moyens pour me remettre en la faueur de nostre Prince.
Philippin.
Sont vos raisons que celà. N'est-ce pas donc? qu'on eust trouuees fort bonnes, & eussent esté creües au temps iadis, quand les hommes tous barbus portans le beguin encor' alloyent à cheual sur vn baston & couchoyent entre leur soeur & leur chambriere sans les réueiller. Et ventre sainct Picaut pour qui me pense-tu mon amy? pour quelque ieune homme? Pus, pus le beau Gentil-homme. Hà! il le peut faire que ton pere ait esté Lieutenant | |
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general du venerable Ragot, iadis colonnel & commandant à tous les Gueux du Royaume de France. Il me semble d'auoir leu en sa Chronique poüilleuse d'vn nommé AscagneGa naar voetnoot*: ie ne sçay s'il estoit ton ayeul, pere ou parent, qui fit vn si grand carnage & occision de sapinettes, qui ont le visage fait comme des poux, sur le riuage de la Greue, que leur sang rendit la riuiere toute rouge plus vne heure durant: & depuis ce temps il porta en ses armes trois poux en champ de puce.
Ascagne.
Helas! que tu es cruel de gausser vn [69] homme à l'article de la mort: & moy encores plus sot de t'arraisonner.Ga naar voetnoot* Il faut maintenant oublier tout ce qui est du monde, penser à la mort, que ie sens estre proche, pour le poison qui fait en moy desia son office. Mort, helas! seras-tu plus grasse, quand tu m'auras mangé? Non, non. Mais moy bien plus heureux de laisser tant de mal-heurs, pour ioüir a perpetuité de tant de choses celestes. Car tout ce qui est sous le ciel de la Lune, est mortel, caduque & corruptible: mais ce qui est au dessus, est immortel & de telle admiration qu'vn chacun est si ententif & curieux de le voir, que nous ne pensons plus a ce qui est d'icy bas. C'est pourquoy les poëtes ont feint que nos ombres y descendans trouuent vn fleuue nommé Lethé, qu'aussi tost qu'ils l'auoyent passé, trouuoyent tant de delices aux champs Elisees, qu'ils perdoyent toute cognoissance des choses mondaines. Ha! que les Grecs ont proprement nommé le corps de l'homme par ceste diction soma, ou sema, qui veut dire prison de l'ame. Aussi nostre premiere contenance y entrant, c'est de plorer, comme preuoyant nostre mal futur. Que ceux donc sont heureux qui ont paracheué leur mortelle course! O mort! repos de mon ame, que tu ne m'es ores agreable. Mort, non, helas! mais plustost cheminGa naar voetnoot* [70] à vie te doit-on nommer: puisque tu fais heureusement franchir les miseres de ce monde, pour triompher & iouyr auec les bien-heureux des ioyes celestes qui foulent l'inique fortune: Pour ce deuot, ie te supplie Dieu immortel, qui commandes aux quatre elemens, faire voler mon ame à ton neufiéme ciel, ou bien-heureuse elle puisse auoir le fruit de l'eternelle lumiere de ta face. | |
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Philippin.
O le voilà pauuret in secula seculorum. Il a vomy son ame à Dieu, & m'a presque émeu à pitié par ses lamentations de Hieremie. C'estoit le plus beau amadiseux qui fust au vray monde. Il ioüoit du frin-fran fran. C'estoit vn damoiseau. Or sus vistement il faut aduertir mon maistre de sa mort. Ha, le voicy qui vient. Monsieur voilà le pauure diable roide comme vn pau. Qu'en voulez vous faire?
Le pere.
Pren ceste eschelle auec Marguerite, qui t'aidera. Et estant estendu dessus, porte-le à Lucelle, & dis luy de ma part, qu'elle prenne aussi grand plaisir a le voir mort, comme elle a fait tant qu'il estoit vif: & qu'elle boyue de ceste liqueur à luy, pour le suyure. | |
Ga naar margenoot+Cinqvieme scene.
Lucelle, Marguerite sa compagne, & Philippin valet du Pere.
Philippin.
Tenez, Madamoiselle, voila vn present que Monsieur vous enuoye auec ceste liqueur pour boire à luy & à tous ses parens & amis trespassez.
Lucelle.
O demons ensouffrez de l'abisme profonde! ô dire! ô rage! ô fureurs! serpens, dragons & pestes autonnieres! ô parques implacables. Furies des ondes infernales! Courez, bruslez, tuez auec vos torches noircissantes. Et vous foudre grondant & éclatant, tonnerre entremeslé d'éclairs, rompez, brisez horriblement vos fureurs, & broyez tout en poudre. Ie vous deteste tous, tous ie vous dépite ensemble, ne redoutant plus rien vos effroyables forces, puis que ie voy mort celuy, helas! dont la vie estoit mon souuerain plaisir. O terre fendez vous! fendez vous iusques au centre pour estre ven- | |
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geresse du sang innocent. Ha, trois & quatre fois malheureuse! ô cruelle mort! que tu me fais grand tort: Mes sens se troublent: ie fremy toute d'horreur. Ie me meurs, Marguerite entendez à moy.
Marguerite.
Helas! ie croy qu'elle est morte: elle ne remuë plus ny pieds ny mains, toutesfois elle a encores vn peu de vent. Du vinaigre. Sus, sus, Madamoiselle, prenez courage. Ie luy vois couper son lasset, & desnouër ses iartieres afin que plus aisement elle reprenne ses sens.
Lucelle.
Donnez ceste poison, Philippin, que ie la prenne, pour l'ayant beuë immoler & faire deuote offrande de mes chastes desirs à ce corps froid & palle, seul digne de si entieres & inuiolables affections. Tenez, reprenez la couppe, dites à Monsieur mon pere qu'il ne pensoit m'enuoyer medecine tant salutaire: car il m'eust fait endurer trop grand martire, si i'eusse vescu seulement la reuolution d'vne Lune.Ga naar voetnoot* Hà! que l'oracle d'Apollon fist vne braue response, quand interrogé quel grand supplice on pourroit faire endurer à vn vray amant, il dist seulement, laissez le viure! Vous luy ferez aussi entendre que mon cher Ascagne n'est encore mort, & qu'en voicy vne moitié que ie vous monstre toute viue. Hà pauure corps que n'agueres se pouuoit appeller fleur de noblesse, tresor de toutes vertus, tu és maintenant gisant sous l'horreur de la mort. Hà beaux yeux! soleils de ma vie! ie ne [73] sçaurois plus cheminer qu'en tenebres, puis que vous estes obscurcis d'vne mortelle nuee. Hà bouche blesmie, qui m'a tant de fois tiré mon ame par l'oreille pour écouter tes braues discours, ie ne puis rassasier mon affamé desir de te rebaisotter cent & cent fois. Helas! s'il est ainsi, helas! qu'en se baisant à la bouche les deux ames parlent ensemble, comme par les fenestres du corps: ie te iure & atteste belle ame, si tu as encores quelque scintille & vigueur de parler maintenant à moy, & dire seulement adieu à ta desolee Lucelle: mon ame chere, mon affection, ma vie & mon trépas, entens la voix plaintiue de ta pauure Lucelle. Dy moy adieu du dernier sanglot de ta vie seulement pour me contenter. | |
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Marguerite à part elle.
Dieu, quels regrets! Quels cris espouuentables retentissans en l'air. Elle déchire ses habits, ses beaux cheueux & sa face, se iettant qui ça, qui là, comme forcenee & hors du sens. Quels yeux éclairans! ie n'ose plus approcher: ie meurs helas! ie meurs, de luy voir souffrir tant de peine. Hà! ma soeur pauure Lucelle.
Lucelle.
Or baste, ie ne seray long temps serue de cet obstiné malheur: car ie sens dé-ià ma fin qui s'approche pour m'ouurir le iardin delicieux des bien heu- [74] reux, Adieu donc mon cher Ascagne, adieu pour la derniere fois, baisant ta froide main. O pauure corps! digne des cieux & d'eternelle vie, les anges blanchissans puissent porter ton ame entre les bien-heureux, où tu m'attendras tout lassé & pantelant de la course, par laquelle tu m'as deuancé. Et vous mon pere, le Ciel vous face cognoistre le tort que vous nous faites à tous deux, que ie vous pardonne pour mon regard.
Marguerite.
Hà Dieu! la voila morte, sa bouche collee à celle de son pauure Ascagne! O mort iniuste! tu represente bien ici les marques de ta cruauté. | |
Sixieme scene.
Le Baron amoureux, & Marguerite.
Le Baron.
Sus, sus, ie tarde trop: ià la brulante Aurore d'vn iaune rougissant nous fait paroistre l'aube du iourGa naar voetnoot*, & Phoebus qui de pres la suit, chassant la nuict sombre de sa lampe etheree, nous fait naistre le iour, iour dis-ie mal-heureux pour ce meschant Ascagne, qui me veut estre corriual à Lucelle ma maistresse. Ie m'en vay trouuer Philippin. Voicy l'heure qu'il a promis le mettre en mes mains, pour [75] me venger de ce tort, luy coupper bras & iambes. Il me tarde que ie n'y suis. Voila la porte de son maistre. Il m'y faut frapper, afin de sçauoir s'il y est. Bon-iour Madamoiselle: le Sieur Ascagne est-il là? | |
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Marguerite.
Non.
Le Baron.
Ne me le celez point, aussi bien est-il mort.
Marguerite.
Helas! qui vous l'a dit si tost?
Le Baron.
Comment ventre-bieu, est-il mort?Ga naar voetnoot* Ie me venois vanger d'vne iniure qu'il m'a faite: que ie le voye, que ie le voye, s'il est vray. Hà, Dieu! qui m'a fait entrer icy pour voir si piteux spectacle? Comment? Madamoiselle Lucelle est morte, & gisent encores l'vn aupres de l'autre! Ie me doute de l'affaire. C'est que son pere découurant la grand amour qu'elle portoit à Ascagne, les a fait mourir tous deux. Hier Philippin m'en descouurit quelque chose. O mal-heureux & disgracié que ie suis! plus ie tasche a me decoiffer de ceste incognuë frenaisie d'amour, & plus ie m'empestre, ressemblant au cerf qui porte la fléche au flanc, plus il fuit sa mort d'vn pied égaré, & plus il se l'auance, la faisant tousiours entrer plus auant dans son corps, par la ren- [76] contre des branches. Hà, Dieu! de l'eternel manoir, à quel malheur m'a assuietti mon cruel destin! moy dis-ie qui ay tant de fois experimenté combien valoit vn coup de lance. Mais, helas! ie ne sçauois combien est plus forte vne oeillade décochee à l'improuiste. Et pourquoy, moy qui ay francbi si heureusement les hazards de la guerre, pour m'estre trouué à tant d'assauts, prises de villes & furieuses batailles, suis-ie si mal traité des dames, où tout le monde ne trouue que douceur? Encores porterois-ie mon mal plus patiemment, si cette braue & cruelle maistresse n'auoit preferé à mes sinceres affections ce valet incognu, esclaue & estranger. Il faut, il faut, pour appaiser mon furieux courroux, que dedans ton sang ie baigne maintenant mon épee iusques à la garde. Mais, que dis-ie? ay ie perdu la ceruelle? Ie veux tuer vn | |
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homme mort, faire la guerre à coups d'épee auec vn corps ià froid & palle. Ne me sufit-il pas qu'il a perdu la vie? Et d'ailleurs la faute de cette ingrate est de beaucoup plus grande que la sienne qui par l'espace de deux ans a méprisé mon grief martyre, mes sinceres affections, & ma langueur. O ingratitude! digne d'estre grauee sur l'autel de memoire, qui seruira d'exemple à la posterité, pour auoir esté punie selon l'egalité de ton forfait: [77] d'auoir refusé l'offrande de mon coeur toute languissante d'amour, pour accepter ce lourdaut de valet. Ce n'est que la façon des femmes, qui ordinairement quittent vn honneste poursuyuant, discret & fidele pour prendre quelque gros maraut, comme la louue qui choisit pour son masle le plus difforme & hideux de toute la troupe. Ce naturel estoit peu sortissable a tant de rares beautez que nature auoit thesaurisees en toy. Sinon qu'elle auoit fait comme l'oyseleur, qui met souuent dans vne belle cage vn meschant oyseau. Helas! mon Bel-acueil, mon grand amy, tu me l'auois bien dit, que les femmes estoyent tromperesses, & qu'il faloit vser de leur amour comme du vin. Lequel moderément pris rend l'esprit plus gay, nous rend plus gaillards & dispos: mais au contraire si on en vse trop abondamment, nous fait sortir hors de nous-mesmes, estre brutaux & stupides. Tout ce que i'experimente maintenant en moy, pom ne me pouuoir plus defendre contre luy, que par le dernier remede de toutes choses, qu'on appelle la mort. Mort, helas! que ne tranches-tu ores le filet de ma vie? A quel autre plusgrand malheur me veux-tu reseruer? Ressembleras-tu au chasseur, qui n'a plaisir de prendre le gibier qui se vient rendre? Pourquoy me refuses-tu à cette [78] heure que ie te cherche & appelle par tout, pour me secourir à mon grand besoin? |
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