Lucelle
(1976)–G.A. Bredero– Auteursrechtelijk beschermd
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Premiere scene.
Le Capitaine Baustruld Courrier de Pologne.
Le Capitaine seul.
Depuis mon partement de Pologne, i'ay fait telle diligence de courir, que ie n'ay reposé ny nuict ny iour pour apporter ce pacquet à Monseigneur le Chastelain de Posnanie, que le prince Palatin de Vualachie son pere luy enuoye par moy desquelles ie croy qu'il sera infiniment aise pour les bonnes nouuelles qui y sont. I'ay sçeu qu'il se tient maintenant en cette ville de Lyon, chez vn nommé Carponi, luy seruant de facteur. Le pauure prince qu'il est patient de supporter tant de peine! II s'est fait nommer Ascagne, attendant que sa miserable fortune passeroit. Or voicy la maison à ce que l'on m'a dit. Tout y est ouuert. Hola? personne ne vient. Hola, hau? pas vn ne respond. Mais i'entens quelqu'vn qui se plaint: il vaut mieux [79] que ie dresse mes pas celle part. Helas, quel piteux spectacle! Ores se presente à mes yeux vn Gentil-homme qui a l'épee nuë a la main tout furibond aupres d'vne Damoiselle, & vn ieune homme qui dorment ou sont morts: c'est l'vn des deux. Mais courage, il me faut accoster ce Gentil-homme pour sçauoir de luy nouuelles de Monseigneur le Chastelain, si aucunes en sçait. | |
Devxieme scene.
Le Courrier & le Baron de Saint-amour.
Le Courrier.
Pardonnez-moy, Monsieur, si trop hardiment ie suis entré icy pour n'auoir trouué que vous, apres auoir tracassé par toute cette maison. Ne me | |
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sçauriez-vous dire nouuelles du sieur Ascagne, facteur du Banquier Carponi?
Le Baron.
Ouy, le voilà tout roide mort par la main de son maistre Carponi: parce qu'il auoit fait l'amour auec sa fille: qu'il a aussi fait mourir, ce que vous voyez.
Le Courrier.
Hà, ciel! le voila, ie le remarque. O meurtre! ô meurtre! assassinat! mise- [80] ricorde! faites venir la Iustice, des Commissaires, des Sergens pour venger la mort d'vn Prince du sang de Pologne. O meurtre! ô meurtre! Venez, Messieurs, ie vous prie. | |
Troisieme scene.
Le Pere, Philippin son valet accourant au cry du Courrier,le Courrier & le Baron.
Philippin.
Hau, Monsieur le vilain botté, as-tu la colique de S. Mathurin?
Le Courrier.
A l'aide, Messieurs, à l'aide, Appelez les voisins, faites venir la Iustice.
Philippin.
Mon amy, ie te vouë de coeur & de pensee à Monsieur S. Mathurin de Larchant. Et vous S. Yldeuert, il vous portera sa teste luy-mesme, si vous le faites sortir hors de son auertin. | |
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Le Courrier.
Comment poltron, maraut? Te mocques-tu de la mort d'vn Prince du sang de Pologne? Par le sang, ie te couperay la gorge.
Philippin.
Non, ie vous prie: car vous ne me feriez pas plaisir de me couper le passage des viures.
Philippin tirant son maistre à part.
Mon maistre, ie me donne au diable, il y a bien de l'ordure à nostre flute. Ie croy que cet homme botté dit vray: car Ascagne mourant, disoit qu'il estoit fils d'vn Prince de Pologne: & pource enquestez-vous de luy plus exactement.
Le pere.
Monsieur, ne faites dificulté de me dire qui vous estes, & qui vous à enuoyé icy: & ie vous diray aussi la cause de sa mort & les autheurs.
Le Courrier.
Le Prince Palatin de Vualachie en Pologne pere de Monseigneur le Chastelain de Posnanie, que vous nommez AscagneGa naar voetnoot*, m'a despesché en toute diligence pour luy apporter nouuelles, comme Vladislaus Roy de Pologne, celuy qui le tenoit banny de son pays, a esté deffait luy & son armee à Vernes par les Turcs qu'il poursuyuoit: & qu'il s'acheminast en toute diligence vers luy, qui est parti pour aller à l'election d'vn autre Roy qui se fait en Lithuanie, auec deux mille cheuaux, que son pere enuoye sur les confins de Pologne pour l'accompagner iusque là, que ie vay querir en toute diligence pour auoir iustice & vengeance d'vn si execrable assassinat.
Le Baron.
Dites-vous vray, Monsieur? | |
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Ga naar margenoot+
Le Courrier.
Ouy, sur mon ame, & par la part que ie pretens là haut au ciel.
Le Baron.
Or nous estions parens: car mon grand pere estoit descendu de Vualachie de Pologne. Et parce qu'il estoit cadet, il vint faire seruice au Roy de France, où il est mort: & sa posterité demeure en cette ville, de laquelle ie suis descendu.
Le pere seul.
Le coeur me bat. Helas! comme mes iambes tremblent de frayeur, il m'en faut sçauoir dauantage de ce Courrier. C'est fait de moy: ie suis perdu miserable, miserable que ie suis.
Le pere encor.
Monsieur, dites-moy, ie vous prie la cause de son exil.
Le Courrier.
Le Prince Palatin son pere, gouuernoit priuément le Roy de Pologne Vladislaus, de telle sorte que son fils que vous voyez mort estoit des plus fauoris du Roy & de la Royne, & le plus digne & mieux accompli de toute la ieunesse Polonoise, raportant ordinairement le pris de tous les tournois, courtois & tres seruiteur des dames, qui toutes l'aimoyent vniquement pour ses perfections, & entre autres la Royne, toutesfois chastement.Ga naar voetnoot* Mais quelques enuieux de son bien, vont [83] donner a entendre au Roy tresialoux de sa femme, qu'ils l'auoyent trouué auec elle. Le Roy sans autre preuue, & pour le mauuais soupçon qu'il auoit conçeu dé-ià de luy, apres l'auoir fait chercher & fait protester au Prince Palatin son pere qu'il ne sçauoit où il estoit, fit publier à son de trompe, que le premier qui apporteroit sa teste, il luy donneroit la confiscation de son bien, la Chastelenie de Posnanie, | |
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auec vingt mil ducats: qui fut cause de faire abandonner le pays à ce pauure corps en habits simulez, & venir à cetuy: où il a ressemblé ceux qui voulans euiter le gouffre de Caribdis, tombent en celuy de Scylla, qui vaut pis. Mais asseurez-vous que sa mort ne demeurera impunie: car ie m'en vois de ce pas crier iustice au Gouuerneur de cette ville, & luy faire entendre ma legation.
Le pere.
Le coeur me le disoit tousiours bien, qu'il n'estoit de si bas lieu qu'il disoitGa naar voetnoot*. Philippin, mon amy, va me seller mon cheual d'Espagne, pour m'en aller au haut & au loin, tant qu'il me pourra porter, & que mes iambes luy pourront donner de l'éperon dans les flancs. O terre! que ne te fens-tu pour tout vif m'engloutir dans tes entrailles? La iuste iustice de Dieu me lairra elle sans vengeance? I'ay, helas! fait [84] vn mal dont l'Enfer mesme auroit horreur: fait mourir vn grand Prince innocent, & ma fille bien-aimee. Ie perds tout à vn coup l'honneur, mon enfant & les biens. Ie croy fermement que le mal de tous les esprits condamnez n'est point au mien égal. Mon cheual, mon cheual, vistement Philippin.
Philippin.
Mon maistre, ie croy qu'on ne disne point au haut & au loin où vous voulez aller. Pourquoy, ie trouuerois bon de repaistre icy & faire vn bon repas a tout le moins auant que mourir. Qui n'a qu'vne heure de bien en toute sa vie il a cela tousiours sur & tant moins. | |
Qvatrieme scene.
Le sire Claude Apoticaire, & le pere.
Le sire Claude seul.
Ie ne sçay que le sieur Carpony vouloit faire cette nuict de deux onces de venin present qu'il a enuoyé querir chez moy par Philippin, qui faisoit bien de l'empesché. Mais mon garson, qui auoit encores du sable aux | |
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yeux, s'est trompé en luy baillant: car au lieu de prendre le pot de marmatica, qui est le plus present venin, il a pris celuy de mandragore, dite vulgairement endormie, où il n'y à pas [85] beaucop a dire, pour la lecture, principalement à vn qui est encores tout endormy: tellement qu'il a baillé de l'endormie pour du venin, dont ie ne suis pas marry. Car peut estre qu'il en vouloit mal vser, & m'en vois de ce pas pour sçauoir ce qu'il en a fait. Ha le voila à sa porte, qui veut monter à cheual. Ie le vois salüer. Bon-iour Monsieur, où allez vous si matin?
Le pere.
Ie me vay promener vn peu. I'ay haste. Adieu.
L'Apoticaire.
Que ie vous die quatre paroles Monsieur, A quoy auez vous employé cette endormie que ie vous ay enuoyee ceste nuict?
Le pere.
Quelle endormie? estoit-ce pas du venin?
L'Apoticaire.
Vostre garson m'en auoit bien demandé: mais ie ne luy ay baillé que de l'endormie & pour experience si vous en auez baillé à quelqu'vn, i'ay icy vne boette d'onguent, duquel apres auoir esté frotté par les temples, il se réuiellera aussi tost.
Le pere.
Vous vous mocquez. S'il estoit ainsi, ie vous donneray la moitié de mon bien, & outre seray à iamais tenu à vous.
L'Apoticaire.
Est-ce pas icy les deux patiens? C'eust esté grand dommage de leur mort. Ie vay commencer à Madamoiselle vostre fille. | |
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Le pere.
Miracle, miracle. La voila qui remuë dé-ià. Ie te rends graces trois & quatre fois, Dieu immortel! | |
Cinqvieme scene.
Lucelle, le Pere, L'Apoticaire, Ascagne, & le Courrier.
Lucelle regardant autour d'elle.
O ciel! te veux-tu tant bander contre moy pour me contraindre de voir encores vne fois ta lumiere? Ne te contente tu pas d'auoir mis en ce monde vne miserable fin à nos plus sinceres & chastes affections, sans ores que tu sois cause de nous separer en l'autre? O deitez sacrees! Citoyens de l'olympe doré! Les mains iointes & genoux ployez, tous deuotement ie vous prie que ce mien grief tourment vous émeuue à sa iuste pitié. Serez vous si cruels à l'endroit d'vne pauure fille, à laquelle il ne reste plus que le dernier sanglot de sa languissante & miserable vie, & seulement pour auoir aymé chastement mon futur mary? Non, non, laissez-le moy suyure: il [87] m'attend ià à la riue bien-heureuse. Si vous estes tant enuieux de mon bien, vous ne me sçauriez reseruer à plus grand malheur. Donc soulez vous pour la derniere fois, & me deliurez de cette ennuyeuse peine.
Le pere.
Non, ma fille, non: Le sieur Ascagne n'est qu'endormi: on le va réueiller, prenez courage.
Lucelle.
Retirez-vous, s'il vous plaist, & me laissez paracheuer ma miserable course.
Le pere.
Mais seulement écoutez-nous parler, & nous vous mettrons hors de peine. | |
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Lucelle.
Si vos paroles ont l'efficace du Bazilic, & qu'à l'instant ils me puissent tuer pour me tirer hors de ma griéue peine, ie vous écouterois tres-volontiers.
L'Apoticaire.
Elle n'en croira rien iusques à ce qu'elle le voye debout: regardez le voila qui commence dé-ià a remuer.
Ascagne.
Madamoiselle, faites moy cette courtoisie de demeurer vn peu icy pour vous découurir le plus secret de mon ame auant que mourir. Et vous, Monsieur, ne vous plaist-il pas me faire cet [88] honneur qu'en vostre presence ie raconte à Madamoiselle, qui elle auoit espousé, de quel pays, parentage, & l'occasion de sa disgrace.
Le pere.
Ie vous supplie tres-humblement, Monseigneur de Posnanie, me pardonner la grande offense que ie vous ay faite: car i'ay peché par ignorance, mais vous en estes en partie cause pour ne vous estre point découuert de bonne heure. Vous eussiez esté respecté dauantage que n'auez esté.
Ascagne.
Comment? vous me cognoissez a vous ouyr dire.
Le pere.
C'a esté le Capitaine que voyez enuoyé de la part de Monseigneur le Palatin de Vualachie vostre pere, qui dit vous apporter lettres de luy, pour vous en retourner en Pologne vostre pays: par ce que le Roy cause de vostre exil est mort. Mais pource qu'il ne vouloit croire, que vous & ma fille ne fussiez seulement qu'endormis par la poudre de mandragore que ie vous auois contraint boire, il s'estoit allé plaindre au Gouuerneur. Ie croy qu'il en reuient. | |
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Le Capitaine Baustruld.
Hà la meschanceté! ils m'ont enchanté pour me faire croire chose qui n'est pas. Car on sçait bien que l'ame, [89] estant vne fois partie du corps n'y retourne iamais. Car on ne repasse personne outre l'onde fatale. Eneas n'en peût retirer son pere Anchises, ny Orphee sa maistresse par sa iazarde lire. Mais c'est par quelques mots diaboliques qu'ils ont fait entrer vn demon dans son corps pour me faire accroire qu'il n'est mort, afin de faire cesser mes gemissantes plaintes. Non, non, faux-vieillard, voicy le Gouuerneur auec sa garde de Suisses: ne pense plus qu'à ta conscience, car tu mourras bien tost en public.
Le Prince de Posnanie, cy deuant nommé Ascagne.
Venez-ça, Capitaine Baustruld, ne sçauez vous pas qu'vn corps fantastique, qui a pour son ame vn demon, ne rit & n'a iamais de couleur? & toutesfois vous lisez en mon bon visage le contraire. Croyez donc ce que l'on vous dit, & me donnez le pacquet de mon pere pour le voir. Or sus, ma maistresse, ie cognois par ceste missiue que graces à Dieu nous sommes à la fin de nos maux. Mon pere m'enuoye querir: il faut que vous vous prepariez pour venir auec moy: me l'accordez vous pas?
Lucelle.
Ie vous suis grandement attenuë, Monseigneur, de tant d'honneur que vos courtoisies me presentent: chose [90] qui ne me sçauroit venir plus à souhait. Puisque ie m'estois par tous moyens efforcee de vous suiure mort, i'auray bien à plus grand plaisir de vous accompagner vif: Mais il vous faut auoir vne Dame de pareil sang, facultez & grandeur que les vostres, à laquelle le reste de mes iours ie feray tres humble seruice par tout où vous serez.
Le Prince de Posnanie.
Non, ma chere moitié: ie serois trop mal courtois en vostre endroit si pour les biens ie delaissois la sincere amitié qu'auez mise en moy, premier que de me cognoistre: enquoy m'auez monstré le chemin qu'ores ie suiuray. Vous iurant de rechef ma main dans la vostre, presens vos parens & amis que i'ay pour tres-agreable la foy & loyauté de mariage que nous nous | |
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donnasmes l'vn à l'autre hier dans vostre chambre: & m'asseure de le faire trouuer bon à Monseigneur le Palatin mon pere, quand nous serons au pays.
Le pere.
Il faut donc auant que de partir vous marier en face de sainte Eglise, & faire des nopces encores plus ioyeuses, qu'il n'y a eu de tristesse.Ga naar voetnoot* Ausquelles tres-volontiers nous vous inuiterions, (venerables spectateurs) n'estoit que l'infini nombre de nostre [91] grand parentage, qui doit tantost icy arriuer, vous incommoderoit & presseroit de telle façon, que n'y pourriez aucunement demourer sans entasser les vns sur les autres. Aduisez si vous le trouuerez bon, Messieurs & Dames: sinon, nous excusans retournerez, s'il vous plaist chacun en sa chacuniere.
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FIN. |
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