Lucelle
(1976)–G.A. Bredero– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 235]
| |
Premiere scene.
Le Baron de Saint-amour amoureux, & Lucelle sa maistresse.
Le Baron.
Ie vous prie Madamoiselle, ne trouuer estrange, si estant durement n'a- [42] uré, ou peu s'en faut blessé à mort, par l'effort de tant de beautez & graces qui reluisent en vous, dont le Ciel à esté trop prodigue, ie suis contraint pour dernier remede de faire comme ceux qui sont picquez du Scorpion, d'auoir recours a ce dont ils ont pris le mal. I'ay dressé d'vne vois tremblante ma piteuse complainte à vous qui seule portez ou ma vie ou ma mort, par vostre ouy ou nenny, me rendant response de ce dont Monsieur vostre pere vous a parlé en ma faueur. Ie vous prie auant que de prononcer l'arrest de mon bien ou de mon mal, balancer toutes choses, comme ie me suis dérobé à moy-mesme pour estre du tout à vous. Que si vous ne voulez qu'vn qui merite vos perfections vous ne le trouuerez iamais en terre. A cette cause si auez envie de garder auiourd'huy vostre plus fidele seruiteur, entendez ma passionnee complainte, & me donnez quelque bonne esperance.
Lucelle.
Il est sans doute, Monsieur, que nostre maison seroit grandement honoree de la vostre, pour ses rares vertus, dont ie vous suis grandement attenuë. Mais vne fille qui a son pere, ne peut rendre aucune response: en cela ie n'ay point d'autre volonté que la sienne. Ie croy qu'il la vous a fait enten- [43] dre, laquelle vous prendrez pour agreable s'il vous plaist. Vous priant cette fois pour toutes de n'en plus parler. Ie saluë vos bonnes graces, Monseigneur par ce qu'il m'en faut aller. | |
[pagina 236]
| |
Seconde scene.
Le Baron de Saint-amour, & le sieur de Bel-acueil son intimé amy.
Le Baron.
Hà cruelle response, qui me va bourrelant le corps & l'ame!Ga naar voetnoot* O deité sacree que ne me foudroyes-tu d'vn éclat de tonnerre? Venez, venez Parques horribles, hastez vous de trancher le filet de mes iours. Amour, helas! que ta nature est estrange, qui ne te pais que de peine & soucy: & plus tu deuores les tiens, & moins tu te saoules. La gourmande Sansue en fin tombe de la playe se tuans de sa propre nourriture. Mais toy gourmand, deuorant à grands morceaux le coeur des tes miserables suiets sans les consommer, tu ne te saoule non plus que l'aigle qui ronge le foye de ce miserable damné. Hà cruelle Lucelle! que ne cognois-tu aussi bien l'amitié que ie te porte, comme ie voy ta beauté? Il meût mieux valu auoir esté né aueugle: puis que mes yeux m'ont apporté si grand dommage. Tousiours donc pauuret porte- [44] ray-ie le fuzil de ma cuisante braise?
Le Sieur de Bel-acueil arriuant.
Et quoy mon grand amy, vous voulez vous desesperer pour vne fille? Vous dy-ie qui estes sorty tant honorablement de si furieuses & dangereuses batailles? Ie cognois maintenant qu'estes vn nouueau soldat d'amour. Il faut, il faut mettre ceste frenaisie hors de vostre entendement, auant qu'elle soit dauantage enracinee. Car le feu qui ne fait que commencer a s'allumer, est plus aisé a estaindre qu'estant ià du tout embrasé. Allons passer nostre temps au iardin du Sieur de S. Romain, où il y a bonne compagnie. Allons, ie vous y veux mener. | |
[pagina 237]
| |
Troisieme scene.
Lucelle amoureuse, Marguerite sa compagne, Philippin valet du pere, & Ascagne facteur.
Lucelle.
Ascagne ne vient-il point me monstrer du luth, comme il auoit promis? Et toutesfois l'heure que ie luy auois assignee est ià pieça passee.
Marguerite.
Le defaut de son assignation ne sçauroit estre encores que d'vn petit demy quart d'heure.
Lucelle.
Vous dites vray, Marguerite: mais il ennuye beaucoup à qui attend chose parfaitement aymee.
Marguerite.
Ie croy que vous mocquez de moy.
Lucelle.
Pourquoy mocquer?
Marguerite.
Parce que ie ne vous estime pas si mal aduisee de mettre du tout vostre amitié a vn estranger, incogneu & de bas lieu, tel comme est Ascagne.
Lucelle.
Ne m'en parlez plus: car ses perfections m'ont ores tellement charmee, que iamais autre que luy n'aura plus grande seigneurie sur moy. Le voicy, | |
[pagina 238]
| |
le voicy, Marguerite: desia mon sang roule pelle melle dans mes veines. Le coeur me bat si fort qu'à peine puis-ie dire vn seul mot.
Marguerite.
Vostre visage en rend assez de tesmoignage par la couleur qu'il change si souuent. Mais faites tout si secrettement, que vostre pere n'en oye le vent: car telles choses luy minuteroyent bien tost l'abregé de sa vie.
Philippin à par-soy.
Mais que veut dire, que par plusieurs fois i'ay veu entrer ce meschant Ascagne dans la chambre de Madamoiselle Lucelle? Ie croy qu'il n'y va pas [46] pour bien. Et partant ie me veux tenir derriere cette porte pour entendre leurs discours. Ie ne dis mot. Mais si ie pouuois découurir quelque chose, ie me donne à ce petit soufle-cierge de Madame sainte Geneuiéue, si ie ne ferois rage.
Ascagne.
Pardonnez moy, Madamoiselle, si i'ay arresté plus que mon deuoir me le commandoit. Monsieur vostre pere en est la seule occasion.
Lucelle.
Où il n'y a point de faute, il n'y faut aucun pardon. Vous ne sçauriez faillir en mon endroit: par ce que toutes vos actions me sont plus que agreables: & qui m'ont tellement charmée, qu'en vous voyant, mes sens s'émeuuent de telle façon, que ne puis dire vn seul mot. Et d'ailleurs i'ay quelque chose de si grand a vous communiquer, & qui me touche de si pres, que ie me sens maintenant auoir tout à vn coup mil paix & mil batailles, qui rampent qui çà qui là; dans mes pauures veines. Hà, que ie plore mon miserable sort!
Ascagne.
Ie vous prie, Madamoiselle, me declarer briéuement ce qui vous va ainsi bourrelant. Pourueu qu'il ne m'en couste que cent vies, si ie les auois, pour | |
[pagina 239]
| |
vous tirer hors de ce trauail, ce me seroit peu de cas, & les vous dedierois [47] de sincere affection. Mais, helas! mon Dieu, qu'auez-vous! Ie vous voy toute changee de couleur, ayant le front plein de sueur froide. Voulez-vous point que ie vous coure querir du vin-aigre?
Lucelle.
Non: mais laissez moy vn peu passer ceste foiblesse, pour reprendre mes sens.
Ascagne.
Mettez vous donc sur moy, vous en serez plus à vostre aise.
Philippin seul.
Ventre saint Piert, i'entens merueilles à ceste porte: il faut ouyr ce demourant, Chalant.
Lucelle.
Ie ne puis plus vous celer, Ascagne, comme amour a tellement forcé mes rebelles desirs, par l'effort de tant de graces & courtoisies qui reluisent sur vous, que ie suis contrainte luy quitter la place, & vous dire malgré moy, qu'auez acquis en mon endroit tout ce qu'vn seruiteur fidele peut honnestement gaigner de sa maistresse.
Ascagne.
Ie croy, Madamoiselle que vos perfections ne se voudroyent tant abaisser, que de m'aymer: moy dis-ie qui n'ay rien vaillant, issu de maison roturiere: pource que mon pere estoit pauure pescheur, & ma mere simple la-[48] uandiere. Et dauantage si Monsieur vostre pere le sçauoit, il vous aime tant qu'il ne me lairroit porter ceste faute en paradis.
Lucelle.
Ie vous prie ne m'alleguer telles raisons: car amour n'a point de loy. | |
[pagina 240]
| |
Noblesse vient de vertu. I'ay assez de biens pour tous deux. Et quant à mon pere, il a ià vn pied dans la fosse, il faudra auoir patience que l'autre y soit pour découurir nostre amitié. Car vous deuez estre certain, qu'amour ne fera iamais triompher de moy autre que vous. C'est vne chose arrestee: ie vous prie ne le trouuer mauuais.
Ascagne.
Ie serois trop mal courtois de refuser ce que tant de Gentils-hommes acheteroyent volontiers au pris de leur sang. I'estime l'heur que me presentez incomparable, & vaut mieux que l'Empire de mille Rois, pour auoir la felicité de viure & mourir en vostre amoureux seruice.
Lucelle.
Ces paroles viennent-elles du coeur? Ascagne.
Ascagne.
Pourquoy, Madamoiselle, me faites vous telle demande?
Lucelle.
Par ce que vous autres hommes [49] auez le bruit d'estre legers & vollages, cherchans loüanges aux despens de l'honneur des Dames, qui doit estre conioint au vostre propre.Ga naar voetnoot* Vous promettez assez que vous serez fideles, & que vos amitiez dureront eternelles; mais vous n'auez si tost deçeu nos credules pensees de vos feintes larmes & souspirs, qu'on voit aussi tost telles amitiez perduës & effacees, nous dedaignant & vous repentant d'auoir tant trauaillé a nous deceuoir.
Ascagne.
I'ay opinion que celuy qui aura cet heur de vous estre conioint par lien coniugal, n'aura que faire d'aller chercher ailleurs plus grandes beautez & gentillesses, que chez luy. | |
[pagina 241]
| |
Lucelle.
Didon, Oenone, & Medee, plus belles que moy, ont sçeu experimenter cy deuant les deloyautez de leurs pariures & faussaires maris.
Ascagne.
Toutes humeurs d'hommes ne sont semblables: car ie vous proteste (ma main dans la vostre) que iamais ie ne vous donneray occasion de vous mescontenter de moy: & si ie fay autrement, qu'vn éclat du foudre saint à l'instant puisse mon corps broyer du tout en poudre. Et vous tenez asseuree qu'auant vous fausser la foy que ie vous ay maintenant donnee, la cour [50] des Rois sera sans faintise & faux-semblant: le corps sans peine, & tout ce qui est impossible sera possible.
Lucelle.
Or vous en souuienne, premier que passer outre, ie vous en ay bien voulu aduertir de bonne heure. Ie n'ay plus rien a vous recommander que foy & secret, qui est la seule couronne pour faire triompher heureusement les vrais amans.Ga naar voetnoot* Et pour l'asseurance de mon amitié, il ne vous en faut autre preuue, que celle que mal-gré moy ie vous declare: auec la foy que ie vous promets n'en auoir iamais autre que vous. Prenez ce baiser pour témoignage: & pour souuenance vous porterez cette bague en vostre doigt, où d'vn costé trouuerez graué vn Cupidon, qui d'vn doigt ferme sa bouche, ayant sous ses pieds vn chien. Et dedans est escrit, loyal et secret.
Ascagne.
Madamoiselle, ie vous en rens mille graces immortelles. La voilà dans mon doigt, d'où homme viuant ne l'ostera qu'apres ma mort. Mais encor faut-il penser de tout, & quand se fera le plus secret de cet heureux mariage.
Lucelle.
Allez vous-en. Il y a trop long temps qu'estes icy, & reuenez ce soir à dix heures, quand mon pere sera couché: [51] & lors nous y aduiserons. | |
[pagina 242]
| |
Ascagne.
Ie vous baise donc les mains, Madamoiselle.
Lucelle.
Adieu mon affection, iusques à ce soir. Encores faut-il que ie prenne ce baiser de vous.
Philippin seul.
Hà, qu'ay-ie ouy? helas! qu'ay-ie ouy? Ils se sont mariez, ie me donne au diable par amourettes. Hà, meschant Ascagne! mon maistre t'a retiré du cagnard, & tu luy veux vilaner sa maison à iamais pour le remercier, luy subornant sa fille bien aimee. Mais asseure toy, que tu ne porteras pas gueres loin ce malheureux acte: car incontinent que tu seras ce soir en la chambre de Madamoiselle Lucelle, suyuant ton compromis fait sans Notaires, i'iray soudainement querir mon maistre: m'asseurant tant de sa colere, que si tu ne fens l'ergot bien vistement, demain tu seras guari de tous tes maux. Et d'abondant ie le veux dire à Monsieur le Baron Saint-amour: afin que si tu réchapois des mains de l'vn, tu ne puisse euiter la fureur de l'autre, qui est vn moyen pour entrer en grace auec luy, afin d'estre son principal cuisinier, comme il m'a tousiours promis. M'amie, il me semble que ie gouste dé-ià à ces bons potages & fricassees, & [52] que ie n'entens que poisles & chaudrons autour de moy. Dé-ia mes dents s'en aiguisent, mon ventre s'en réiouyt, & l'eau m'en vient à la bouche de ces tant bonnes soupes celestines. Hà, hà, mon Dieu! Ie ne me puis tenir d'en soupirer, que ie n'en fais dé-ià vne gorge chaude. | |
Qvatrieme scene.
Le Baron amoureux, Bonauanture son varlet, Lucelle sa maistresse.
Le Baron.
Bonauanture, mon fidele messager allez querir mon luth & l'apportez apres moy. Ie veux reciter deuant la ialousie de ma maistresse vn Sonnet que ie viens de faire. | |
[pagina 243]
| |
Bonauenture.
Ie le vay querir: le voilà, Monsieur. Allons quand il vous plaira.
Le Baron.
Allons, suy moy donc.
Bonauenture.
La voila à la porte seule, Monsieur, allez parler à elle: les honteux le perdent en l'amour. Il me semble mesmes qu'elle a l'oeil plus gay que ie ne luy ay veu encor. Peut estre qu'elle a changé sa mauuaise Lune.
Le Baron.
Ie te croiray; garde mon luth, & [53] m'attens icy.
Luy encor parlant à Lucelle.
Si les Dieux, Madamoiselle, ayans fait l'homme, luy eussent aussi donné l'heur de se pouuoir commander à soy-mesme, pour maistriser ses trop grandes affections, ie ne serois maintenant en peine de vous importuner pour la seconde fois, vous priant de me sauuer la vie, si voulez vous conseruer vn fidele & constant seruiteur, par vne seule compassion de mes insuportables peines, que vous pouuez aucunement lire en mon palle visage, causees par tant de graces & rares beautez qui reluisent en vous.
Lucelle.
Ie ne puis croire, Monsieur, qu'il y ait rien en moy qui vous peust donner aucun trauail ou desespoir: veu mesmes qu'en ceste ville il y a tant de Damoiselles, qui se sentiroyent tres-heureuses d'auoir vostre amitié. Et me semble qu'il vaudroit beaucoup mieux vous adresser à elles, qui meritent plus que moy pour leurs rares beautez, mignardises & discours. | |
[pagina 244]
| |
Le Baron.
Ie ne pense point qu'il y ait creature viuante, qui vous approche en rien de merite. Et de ce seulement ie blâme & accuse mon destin, qui m'a adressé en vn lieu où le merite de tous les viuans n'est digne ne suffisant de rien [54] meriter. Toutesfois s'il estoit permis à vn bon vouloir de bien esperer, & si l'amour estoit si bon maistre, qu'on gaignast quelque loyer en son fidele seruice: i'oserois bien promettre à moy seul l'heur dont i'estime tout le monde indigne. Car comme nature s'est ébatue a monstrer combien elle estoit bonne ouuriere en façonnant vostre corps si parfait, pour faire esmerueiller vn chacun: aussi vous a-elle bien voulu faire en ma personne vn seruiteur, qui n'a en loyauté son pareil. Et croy (pardonnez-moy ce petit tort Madamoiselle) qu'elle ne sçauroit auoir mis plus de graces en vous, qu'elle a amassé en moy d'affections deuotieuses à vostre loyal seruice. Ie conclurray doncques auec tous les legislateurs tant diuins qu'humains parlans de l'amitié: que si pour estre bien-aimee on est obligee a bien aimer, i'ay dequoy esperer quelque bien de vostre faueur & grace.
Lucelle seule.
Ie voy que Monsieur le Baron commence a entrer en discours, qui prendroit bien long traict, si ie ne luy coupe broche incontinent. Ie vous prie écouter vn peu, Monsieur. Voila mon pere qui m'appelle: vous me donnerez congé, s'il vous plaist. Adieu, Monsieur.
Bonauenture.
[55] Et bien, Monsieur, est-elle de composition?
Le Baron.
Ie ne sçay encor': car comme ie commençois a entrer en discours auec elle, son pere l'a appellee. Toutefois ne l'ay-ie point trouuee si farouche que les autres fois. Ie pense qu'elle auoit veu ses amours. Mais ne voy-ie pas venir Philippin à nous? | |
[pagina 245]
| |
Cinqvieme scene.
Le Baron amoureux, Bonauenture son seruiteur, Philippin valet du pere de Lucelle.
Philippin.
Bon soir, Monsieur, il y a de toutes nouuelles.
Le Baron.
Et quelles? mon Compere, dy-le moy vistement.
Philippin.
Ascagne est vostre corriual & le bien-aimé: car Madamoiselle Lucelle l'aime plus que ses menus boyaux.
Le Baron.
Dis-en la verité, ie te prie.
Philippin.
Auiourd' huy i'ay tout découuert & demain ie le sçauray encore mieux: c'est luy qui vous garde d'estre aimé [56] d'elle. Il en faut depescher le pays, afin qu'il ne vous empesche plus.Ga naar voetnoot* Si vous me voulez promettre le premier lieu de vostre cuisine, ie vous donneray le plus braue enfant de la Mathe pour le tuer que la terre porta iamais. Car vn iour estant sur la mer, il rencontra des pirates, écumeurs de mer, & donnant seulement vn coup d'épee sur leur galere, il fend l'homme, le mast, le vaisseau, l'eau, la terre, & coupe vn morceau du nez à Neptune, qui demanda soudain quel foudroyant orage auoit passé là: & quand il sçeut que c'estoit le Capitaine Taillefer (ainsi se nomme le pelerin) incontinent fit serrer la porte de peur d'auoir pis. Vous l'aurez à bon compte: car il ne plaide plus que pour ses despens, & mesmes quelquesfois quand on luy donne rien, il le prend. | |
[pagina 246]
| |
Le Baron.
Par la mort, par le sang, ie ne veux pas qu'il meure d'autre main que de la mienne. A-il bien osé venir sur mes brisees? Ne redoute-il point ma puissance? Où est-il? Ventre, par la teste, il faut que ie le creue, comme vn crapaut, qu'il est. Hà petit galand, ie te monstreray à qui tu t'es ioüé.
Bonauenture.
Non faites, Monsieur, ie vous prie: ce ne vous seroit que trauail: & aussi bien ne vous en aimeroit-elle pas da-[57] uantage, puis que son affection y est adonnee.
Philippin.
Vous dites peu, mais c'est assez mal toutefois. Car quand Ascagne seroit mort, il n'en seroit iamais fait autre bruit: parce qu'il n'a ny parens ny amis. Quant à Madamoiselle Lucelle, il est certain que par son absence elle perdra son amitié aussi. Car pourquoy Monsieur. Les fleurs naissent & meurent tous les ans: mais l'amitié des filles meurt tous les iours: auiourd'huy elles aiment tout, & demain rienGa naar voetnoot*. Dieu pour cette cause leur a bailié lieu auec la Lune, pour accomplir l'ancien prouerbe de Pares cum paribus: c'est du Latin qui sent vn peu la lie, parce qu'il n'y en a plus gueres au tonneau. Agardez, Monsieur, ie n'en sçaurois faire meilleure comparaison qu'à ces canonnieres de mordondienne mon frere pierre qui font plac, ausquelles le dernier tampon pousse le premier: ainsi le dernier qui les aime pousse infailliblement les premiers. Les filles doyuent auoir en leurs armes trois giroettes, où pour leur deuise il y ait écrit, A tovs vens. Pour ces causes, Monsieur le Baron, mon amy, il ne vous faut point diffigurer de vostre bonne fortune a aduenir. Ayez seulement bon coeur, nous en viendrons bien à bout, par le moyen que ie vous diray. C'est [58] que demain le matin, sans faute aucune, ie le vous liureray en vos mains, pour luy enuoyer ioüer le basteleur. Vous aurez son amitié apres, pourueu qu'elle ne sçache point qu'ayez esté occasion de sa mort. | |
[pagina 247]
| |
Le Baron.
Les raisons sont bien pertinentes: ie les croiray, & sans aucune faute ie seray demain chez toy auant que l'Aurore matinale ait ramené le iour.
Philippin.
Adieu, Monsieur, souuenez-vous que m'auez promis de me faire commander au sous-valet du garson qui sert le soüillon du tourne-broche de vostre grasse & fumeuse cuisine.
Le Baron.
Helas! que ce faquin libre d'esprit a bon temps.Ga naar voetnoot* O malheureux amour! retiendras-tu tousiours iniquement ma liberté? Que maudite soit l'heure & le iour que iamais ie te fus sujet: & plus maudite encores trois & quatre fois la fleche que tu pris dans les yeux de ma douce & fiere Lucelle. Languirayie tousiours? helas! auray-ie tousiours peine? Rien ne me plaist. Tout me vient à dédain. Ie hay les compagnies, & pour bien aimer autruy, ie hay moymesme. Le soucy est ma viande coustumiere: & au lieu de trouuer mon lict mol, comme i'auois accoustumé, il ne me sert plus que d'vne enclume, [59] sur laquelle ie forge mille proiets fantastiques, qu'aussi tost qu'ils sont étoffez, s'éuanouyssent & perdent en l'air, auec vn orage de soupirs qui allument le fourneau de ma cuisante braise. Mais demain i'espere bien de m'en venger tout à loisir. |