Lucelle
(1976)–G.A. Bredero– Auteursrechtelijk beschermd
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Ga naar margenoot+Acte second. | |
Premiere scene.
Le Pere & Lucelle sa fille.
Le pere.
Approchez-vous, ma fille bien aimee, que ie vous communique chose qui vous apportera plaisir, & à moy tristesse.
Lucelle.
Comment? Monsieur, vostre dueil n'est-il pas conioint au plus pres du mien? Qu'est-il suruenu? Ie vous supplie de me le dire vistement: dé-ià ie languis apres.
Le pere.
M'amie, c'est le Baron de Saint-amour, que vous cognoissez; il est venu ces iours passez ceans luy mesme, pour vous demander en mariage: ce que ie croy que trouuerez bon, car c'est le meilleur party de cette ville pour ses facultez & bonnes aliances.
Lucelle.
C'est à vous de me commander, & à moy de vous obeyr, Monsieur: mais ie serois fort aise de demeurer encores auec vous, pour vous soigner & traiter mieux que ie n'ay pas fait le [32] passé: car plus nous irons en auant, & plus aurez affaire de moy.
Le pere.
Mais, ma fille, quand vous serez mariee, vous ne laisserez a me secourir, comme vous auez accoustumé. | |
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Lucelle.
Ie croy, Monsieur, que ie ne suis pas plus excellente que les autres, qui aussi tost qu'elles sont mariees, l'amour d'vn mary & de leurs enfans leur fait oublier communément la pieté qu'elles doyuent à leurs pere & mere: chose qui n'aura iamais lieu en mon coeur, pour la reuerence & seruice que ie vous dois. Ce que ie vous supplie treshumblement, Monsieur, de prendre pour excuse, s'il vous plaist.
Le pere.
En cela, m'amie, ie cognois la bonne affection que vous me portez, pour laquelle mon amitié s'augmente en vostre endroit tousiours de bien en mieux. Or il n'en faut plus parler, sinon que de luy donner vne prebende de l'Abaye de Vatan.
Lucelle.
Ie vous en suppliray treshumblement, Monsieur. | |
Seconde scene.
Lucelle, Marguerite sa compagne, & Ascagne facteur du pere de Lucelle.
Ga naar margenoot+
Marguerite.
Et bien, voila Ascagne auec son luth prest a vous venir monstrer. Le feray-ie monter?
Lucelle.
Ouy, ie vous prie.
Marguerite.
Ascagne, montez en haut en la chambre de Madamoiselle Lucelle. | |
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Lucelle.
Bon-iour, Ascagne, vous estes tant empesché a gouuerner, ou vos pensees, ou vos maistresses, que l'on ne vous peut voir.
Ascagne.
Pardonnez-moy, Madamoiselle, ie n'ay graces à Dieu, aucun martel en teste: & croy ma maistresse n'est encores nee.
Lucelle à part.
Helas! dois-ie maintenant découurir le secret de mes affections à vn estranger, roturier & incognu? Ouy, c'est force.
Lucelle encores.
Et est-il possible, Ascagne, que vous qui estes en la fleur de vostre ieunesse, des plus beaux, courtois & adroits de ceste ville, n'ayez pour maistresse aucune de tant de belles Dames ou Damoiselles qui y sont?Ga naar voetnoot* Vous pouuez voir qu'il n'y a Gentil-homme qu'il ne face (ainsi que nous appellons) quelques alliances auecques elles. [34] L'vne leur est cousine, cette-cy pour soeur, celle là pour compagne ou grande amie, & tous ordinairement se rendent seruiteurs des Dames. Mais vous ne pratiquez auec aucune chose mal seante à vostre gentil naturel.
Ascagne.
Si ie pensois, Madamoiselle, estre assez digne qu'aucune de ces Dames s'abaissassent tant que de loger en moy leurs pensees, peut estre prendrois-ie la hardiesse de leur offrir mon seruice. Et d'autre part qui m'en recule dauantage, c'est la crainte que i'aurois que les affaires de Monsieur vostre pere ne demourassent en arriere: car ce me semble, qui veut bien faire la court amoureuse, il ne faut auoir autre pensement. Et le plus souuent on en est si mal recompensé, qu'il vaudroit mieux ne s'y mettre si auant. | |
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Lucelle.
Les recompenses se donnent selon les merites. Ie croy qu'vne Damoiselle seroit bien mal courtoise, si elle ne acceptoit vostre amitié. Et de ma part i'en cognois dé-ià vne, à qui vous donnez le martel en teste.
Ascagne.
Pardonnez-moy, s'il vous plaist: ie leur suis trop seruiteur pour les passionner. Mais ie ne la cognois point.
Lucelle.
Helas! vous la voyez, s'est moy. [35] C'est moy que le cruel destin n'a voulu iamais me faire aimer en pas un lieu qu'au vostre: & de telle façon que ie suis contrainte vous declarer d'vne voix tremblante ce que me deuriez dire à moy-mesme.
Ascagne.
Ie ne sçay pas, Madamoiselle, si vous dites choses pour m'experimenter: mais ie m'estimerois grandement heureux de vous pouuoir seruir tout le reste de mes iours, sans en auoir aucune recompense. Et vous iure par le ciel, que dés maintenant ie me dedie du tout à vous, pour estre par vous commandé en tous les endroits où i'auray le moyen de vous seruir & honorer.
Lucelle.
Or bien retirez - vous pour cette heure, & demain raportez vostre luth & venez icy en pareille heure: lors nous en discourerons plus amplement, de peur que mon pere ne vous demande. | |
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Troisieme scene.
Le Baron de Saint-amour amoureux, & Bonauenture son homme.
Le Baron.
O la dure sentence! ô le cruel arrest! qui m'a ce iourd'huy esté prononcé par le pere de Lucelle.
Bonauenture.
Comment? comment, Monsieur?
Le Baron.
Qu'elle ne se veut marier encore, qu'on appelle en François vn doux nenny. Mais il est bien vray que ie n'ay point encores parlé à elle. Et pense que quand elle m'aura ouy raconter vne partie de ma passion, qu'elle en croira l'autre. Et pour ce Bonauenture va t'en de ce pas trouuer Philippin au logis du sieur Carpony, & luy dis que ie le prie de m'estre moyen qn'auiourd'huy ou demain ie puisse parler à Madamoiselle Lucelle.
Bonauenture.
Ie n'y feray aucune faute, Monsieur. | |
Scene quatrieme.
Bonauenture homme de chambre du sieur de Saint-amour, & Philippin valet du pere de Lucelle.
Bonauenture.
Dieu te gard Philippin.Ga naar voetnoot* | |
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Philippin.
Dieu te gard, s'il veut, puis que ie ne luy puis commander. Mais ie vous prie parlez de loin, parce que ie suis un peu tendre a prendre mal, & principalement de la bosse.
Bonauenture.
Ne vois-tu pas bien que ma bosse [37] n'est contagieuse, & qu'elle est sur mes espaules, comme vn don de nature? Mais laissons tout cela. Ie suis enuoyé de la part de Monsieur le Baron de Saint-amour mon maistre, qui te prie luy enseigner le moyen qu'il puisse parler à Madamoiselle Lucelle, & il te recompensera de tout ce que tu voudras.
Philippin.
Il n'y a chose qui ne se face. Mais ie voudrois donc pour mon salaire estre premier gueux de sa maison, quand il sera marié.
Bonauenture.
Demande chose plus honneste, car Monsieur ne veut point de gueux chez luy.
Philippin.
Il fait donc des grands banquets, ton beau maistre.
Bonauenture.
Hà hà, i'entens: tu veux dire Maistre Queux qui vaut autant que cuisinier d'vn Roy ou Prince.
Bonauenture encore à part soy.
Voicy vn plaisant Robin, qui a de belles saillies. Cest quelque Iean Lignore: il faut que i'en aye mon passetemps dauantage. | |
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Bonauenture.
Et viença, sçais-tu bien le chapitre des fricassees, comme mettre vn branle de Caen à la sausse d'Allemagne? les branles de Poitou aux nauets de Hau- [38] beruilliers? des voltes à la composte? le passe-pied de Bretagne en salmigondis? & des courantes à la dodine? N'és tu point alié ou parent de maistre Iean l'Ordoux? N'entens-tu point le croque-lardis de cuisine?
Philippin.
Ie ne cognois rien à vostre Gallimatian: mais ie suis fort experimenté en l'art de cuisine, & en bien d'autres choses, comme en la Gigromance, l'Astrolopance, Frobentomie & à la Bonauanture, sans rien mentir, qui est la grandeur.
Bonauenture.
Ie te prie, dy-moy la mienne. Tien voilà ma main. Pour ta peine ie payeray chopine, ie me donne au diable tout à cette heure.
Philippin.
Attendez, n'approchez pas si tost, de peur qu'il ne me prenne pour vous. Or puis que vous voulez remplir mes pauures tripes, qui ne font que crier dans mon vuide ventre, à cause de mon sec gosier, qui n'a ce iourd'huy sauouré vne seule goute de vin ni sausse: donnez-moy vostre pauure main, & que ie vous raconte quelque pauureté.
Bonauenture.
Tien, la voilà: mais ne me flate point: dis moy la verité tout au long, sans rien requerir.
Philippin.
Non feray-ie, non: mais les ligamens de vostre main me font voir merueilles. | |
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Bonauenture.
Et là, commence vistement, ie fris dé-ià apres.
Philippin.
Or çà, doncques vous n'auez eu iamais qu'vne mere: mais le nombre de vos peres est si grand, que vous n'en cognoissez l'vn pour l'autre. N'est-il pas vray?
Bonauenture.
Ne parlons point de cela: dy moy seulement mon naturel.
Philippin.
Il est tout dissemblable à celuy des pommes, qui plus sont contrefaites, & mieux valent. Mais vous qui estes si imparfait, ne valez du tout rien. N'est il pas vray? Vous n'auez iamais esté en danger des larrons: par ce que vous portez tousiours vostre male sur vos épaules. N'est-il pas vray? Vous ne ressemblerez iamais à ce Roy de Pologne qui fut mangé des rats & souris. Ne les craignez iamais, par ce que sous vostre chapeau il y a tousiours vn gros matou. N'est-il pas vray?
Bonauenture.
Et parle à bon écient du futur: ie me contente du passé.
Philippin.
Pour le regard du futur, il vous aduiendra en brief vn malheur & vn bon heur: le malheur est, que vous perdrez bien tost le nez entre les ioües, si vous continuez d'engraisser tousiours comme faites. Quand au bon-heur, il ne tiendra qu'à vous, si vous ne l'auez, apres que ie vous auray enseigné le chemin qu'il y faut tenir.
Bonauenture.
Despeche-toy, mon fils, de le me dire: viste, vistement, ie te prie. | |
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Philippin.
C'est vn estat de vendeur de maree: & pour l'estre, il te faut mettre la teste dans vn mannequin, & aller criant par les ruës, Maquereaux frais, maquereaux frais. Et si on t'achette, tu seras vendeur de maree.
Bonauenture.
Or le grand diable te puisse entrainer, qui t'a si bien apris à mentir. Ie croy que tu en as vne bulle ou dispense. N'en tiens-tu point banque? Ie te prie delaissons tout celà, & me dis quand mon maistre pourra parler à Madamoiselle Lucelle.
Philippin.
Demain à vne heure apres midy, elle va leuer vn enfant à saint Iean, où il la pourra voir. Mais qu'il luy souuienne de sa cuisine, dont tu m'as fait [41] promesse, & de laquelle i'ay fait dé-ià estat. | |
Cinqvieme scene.
Le Baron de Saint-amour, & Bonauenture.
Bonauenture.
I'ay veu Philippin, qui vous mande que demain à vne heure apres midy elle va leuer vn enfant en la grande Eglise de saint Iean: & que là luy pourrez librement parler.
Le Baron.
Hé! que le temps me sera long entre cy & là. Il est impossible qu'il ne me dure dauantage qu'au pionnier recreu de trauail, besongnant en vne trenchee d'vn siege de ville. Mais patience. |
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