quelques instants que vous n'entendez pas le bourdonnement hystérique des insectes qui, tels des hélicoptères, tournaillent près de vos oreilles avant d'aller se poser sur le cadavre en putréfaction d'un lièvre ou d'un hérisson. Ce que vous entendez alors, ce n'est pas le silence, mais le bâillement ininterrompu et silencieux de la mort:
Cela même que l'on entend dans un hôpital quand le patient décède et qu'à la même seconde tous les appareils auxquels il était relié par des tuyaux et des câbles se taisent brusquement, cessent de râler et d'anhéler en accompagnement des courbes sur l'écran des moniteurs qui enregistrent respiration, pulsation cardiaque et pression artérielle. Le silence qui se manifeste alors par un soupir mat gicle contre les murs blancs, là où des tableaux d'affichage disparaissent sous des cartes postales souhaitant au défunt qui n'était pas encore mort ‘un prompt rétablissement’. Un silence qui répercute des échos du silence. Un silence de mort. Au moment du décès, les moniteurs et tout le bastringue font tilt; sur les surfaces lumineuses, les courbes de la vie se recroquevillent dans la même seconde pour former de longues horizontales qui se prolongeraient à l'infini si un membre du personnel ne se trouvait pas à la tête du lit pour débrancher une grappe de prises. Suite à cette manoeuvre, la lumière - pouf! - disparaît de tous les appareils, les écrans deviennent tout noirs, soudain semblables à autant de gueules béantes qui bâillent et expirent du silence.
Jamais un tel silence ne règne dans les bois dont je parle - il y a toujours quelque bruissement, quelque craquement, une pomme de pin ou un gland qui atterrit en résonnant sur le sable du sentier. Il y a toujours quelque chuchotement, bourdonnement, cri, chant, appel, quelque mouvement. Les feuilles tombent en émettant un bruit de papier qu'on froisse. Le vent se met à souffler, tout comme ça souffle dans ma tête où jamais non plus le silence ne se fait, absence de silence toutefois différente de celle des bois.
De la honte pour tout ce qui est allé de travers. Plus on avance en âge, plus le passé s'étend et plus on a l'impression que la vie consiste en une succession de faillites. Pas uniquement, certaines choses ont marché, mais quand on y réfléchit...
Il y a ces bévues commises intentionnellement, de propos délibéré, alors que l'on aurait dû savoir que c'était faire de la sorte une grosse connerie. Le genre de gaffes qui ne cessent de nous poursuivre notre vie durant, semblables en cela à une maladie inguérissable qui toujours réapparaît. Quand les images de ces bourdes font irruption dans notre cerveau, pareilles à des bandits armés au visage dissimulé sous un bas nylon, aucun cri ne saurait couvrir la honte que l'on ressent. On ne se met pas moins à beugler à pleins poumons tout en se giflant comme lorsqu'un moustique se pose sur notre joue et y plante son poinçon, à se frapper le crâne des deux poings jusqu'à voir des étoiles et des éclairs fuser derrière nos yeux. La nuit, je m'installe dans ma voiture pour rouler, pendant des heures, à tombeau ouvert sur des autoroutes désertées, le long de zones industrielles noires, tandis que se détache, dans les grands espaces noirs au-delà, une lueur rougeâtre au-dessus des villes noires. Ça a le don de me calmer? Le bruit de succion des pneus sur l'asphalte me plonge dans la somnolence. Je m'enfonce dans les bois pour évacuer ma nervosité, mais je connais trop bien les lieux pour que cela me change les idées; je marche jusqu'à complet épuisement et m'assieds ou m'allonge alors par terre si le sol n'est pas trop humide. Essayer de recouvrer mon calme en comptant tous les arbres présents dans mon champ de vision, - plus nombreux en automne et en hiver que l'été lorsque la végétation se confond avec l'épais feuillage. Un, deux, trois, quatre... Ou tous les champignons. Je m'engage dans un sentier de traverse, là où, justement, le rouge de leur chapeau me saute à la figure
comme une poussée de fièvre. Des dizaines, quelques centaines, le sentier en était recouvert, on aurait dit un tapis suspendu plusieurs centimètres au-dessus du sol. Dans lequel j'ai fait un trou à chacun de mes pas, renversant et écrasant sans manquer des champignons. Arrivé au bout, je me suis retourné et ai découvert