Septentrion. Jaargang 39
(2010)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Histoire et justice
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de ce qu'on appelle maintenant ‘la connaissance du moment présent’ ou ‘la sagesse de l'après-coup’. Le jugement historique en est inévitablement influencé. Pour cette raison, le noble adage du poète néerlandais Hendrik Tollens (1780-1856), ‘On ne tient pas compte du résultat, seul compte le but’, ne peut donc servir de base au jugement historique. S'il en était ainsi, l'invasion anglo-américaine de l'Irak ne devrait mériter que des éloges. Mais c'est bien le ‘résultat’ qui est pris en compte, ce qui dans ce cas modifie le jugement. Si, un ou deux ans après cette invasion, un Irak pacifique, démocratique et prospère avait vu le jour - loin de moi de prétendre qu'un tel scénario était vraisemblable - l'histoire ne jugerait pas comme elle juge maintenant et on ferait peu de cas du mandat international (qu'il soit adéquat, plus adéquat ou le plus adéquat). D'un point de vue strictement juridique, le général de Gaulle fut, en juin 1940, un dissident, un traître à la patrie et, en tant que tel, condamné à mort à juste titre. Mais l'histoire juge autrement. De la même manière, les gouvernements français et néerlandais étaient, juridiquement parlant, en droit de considérer, le premier l'Algérie, le second l'Indonésie, comme des problèmes de politique intérieure. N'empêche que la politique qu'ils y ont menée a été condamnée par l'histoire. Le jugement historique s'étaye sur des arguments tant pratiques que moraux et juridiques. La façon de travailler de l'historien ressemble d'une certaine manière à celle du juge. L'historien néerlandais Robert Fruin (1823-1899) a attiré l'attention là-dessus. Il comparait le travail de l'historien à celui d'‘un juge d'instruction méticuleux’Ga naar eind1. D'autres, en revanche, ont surtout insisté sur les différences entre les deux professions. Se penchant à son tour sur la question, l'historien français Lucien Febvre a conclu: ‘L'historien n'est pas un juge’Ga naar eind2. Carlo Ginzburg a lui aussi affirmé que ce qui distingue l'historien du juge est plus important que ce qui les unitGa naar eind3. Reste une autre différence, de taille celle-là: le juge décide de la liberté ou de la prison et même, dans certains pays, de la vie ou de la mort. L'historien, lui, ne juge que des réputations, ce qui n'est d'ailleurs pas anodin puisque beaucoup d'hommes d'État, parvenus en fin de carrière, se préoccupent avant tout de ‘leur place dans l'histoire’. | |
Historiens et affaires judiciairesLes choses sont claires: le jugement historique est un jugement sui generis, fondamentalement différent du jugement juridique. La grande majorité des historiens ne sont d'ailleurs jamais confrontés à des affaires judiciaires, bien qu'il y ait des exceptions. Des historiens qui traitent de l'actualité font parfois des déclarations qui s'apparentent à des jugements. Exemple: les travaux des historiens néerlandais Jacques Presser et Loe de Jong sur l'Occupation allemande et la persécution des Juifs ressemblaient souvent à des condamnations. Il arrivait aussi que des historiens soient sollicités pour faire la lumière sur certaines questions, par exemple le comportement de l'armée néerlandaise durant les ‘opérations policières’ en Indonésie. Parfois aussi, ils se voyaient convoqués par le tribunal en qualité de témoins ou d'experts. Ce fut le cas, par exemple, lors du procès de Maurice Papon, ancien haut fonctionnaire et ancien ministre français, procès qui, de 1997 à 1999, connut un énorme retentissement médiatique. Jeune fonctionnaire à la préfecture de la Gironde, à Bordeaux, Papon participa activement à la déportation d'habitants juifs. Accusé de crime contre l'humanité - le seul chef d'inculpation imprescriptible - il fut condamné à dix ans de réclusion criminelle. Ce fut peut-être le plus grand procès de l'histoire de l'humanité. Les préparatifs durèrent dix-sept ans, le procès lui-même six mois. Il y eut 94 journées d'audience et le jury délibéra pendant dix-huit heures. Notons encore que l'épouse de Papon décéda au cours du procès. | |
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Il est clair que le procès Papon fut avant tout un procès symbolique ayant une signification historique et morale. Aussi le tribunal avait-il invité un nombre considérable d'historiens, français et étrangers, à venir dresser un tableau de la situation au début de la guerre, lorsqu'une grande partie de la France était dirigée, depuis Vichy, par un gouvernement semi-indépendant, présidé par le maréchal Pétain. Parmi ces historiens étrangers figurait l'Américain Robert Paxton lequel devait donner le coup d'envoi à la révision de l'historiographie de la période vichyssoise. Confronté à l'affaire Papon, Paxton estimait qu'il était de son devoir de mettre son expertise au service de ce procès, réitérant ainsi ce qu'il avait déjà fait antérieurement. En 1994, il avait comparu en qualité de témoin et d'expert dans le procès de Paul Touvier. Ce dernier avait été, pendant la guerre, le chef de la police lyonnaise, laquelle s'était gravement compromise dans la collaboration avec l'occupant nazi. Au début du procès Papon, Paxton se lança dans un monologue qui devait durer trois heures et dans lequel il expliqua aux membres du jury que le gouvernement de Vichy fut en grande partie coresponsable de la persécution des Juifs. De nombreux historiens français défilèrent également à la barre en tant que témoins et experts. Certains d'entre eux, tel Henry Rousso, grand spécialiste de la période vichyssoise, estimaient que ce n'était pas là la tâche des historiens. Dans une interview au Monde (7 avril 1998), Rousso faisait remarquer que les historiens sont spécialisés dans l'étude des sources. Mais, étant donné qu'il s'agissait ici d'une affaire judiciaire, ces sources leur étaient inaccessibles. Le rôle qui leur était imparti était donc purement rhétorique: témoigner pour ou contre les visions respectives de l'accusateur et du défenseur. Le titre de l'interview était on ne peut plus clair: ‘Le tribunal de l'Histoire - notons la majuscule - a jugé Vichy depuis longtemps’. Rousso avait sans doute raison. C'est précisément en raison de leurs publications sur Vichy que des historiens comme Paxton avaient été invités à comparaître en tant qu'experts. Leurs idées et jugements sur Vichy étaient donc connus depuis longtemps et ce procès ne pouvait pas y ajouter grand-chose. Aussi Rousso porte-t-il un jugement extrêmement négatif sur la signification du procès Papon. Dans un article paru récemment dans la revue Modern and Contemporary France, il est revenu plus en détail sur le sujet et il a insisté entre autres sur le fait que les historiens sont convoqués en qualité de témoins et qu'à ce titre-là ils doivent jurer de ‘dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité’Ga naar eind4. Quel historien osera jurer qu'il connaît et peut dire ‘toute la vérité’? En effet, les historiens se rendent parfaitement compte que, comme l'affirmait l'historien néerlandais Pieter Geyl (1887-1966), l'histoire est une discussion sans finGa naar eind5. | |
Les historiens et la loiDes procès faisant appel à des historiens comme témoins ont lieu, certes, mais ils ne sont sans doute pas très courants. Quoi qu'il en soit, une nouvelle relation entre les historiens et la justice s'est instaurée non par le biais des juges cette fois-ci mais par l'intervention du législateur. Aux Pays-Bas, il n'existe pas de lois qui fixent ce qui, concernant le passé, doit être tenu pour la vérité et qui sanctionnent les thèses, convictions et prises de position qui s'en écartent. Mais dans ce pays comme ailleurs, les esprits s'enflamment rapidement dès qu'il est question de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation. Ainsi, un léger vent de contestation se leva lorsque, en 2003, le sénateur et juriste Eric Jurgens émit l'idée que la publication de Mein Kampf devait cesser d'être interdite aux Pays-Bas et quand, en 2007, le ministre de la Culture, Ronald Plasterk, se rallia publiquement à cet avis. Il fut également question d'une petite tempête passagère lorsque, en 2009, Mark Rutte, historien et dirigeant | |
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du parti libéral VVD, clama haut et fort qu'en vertu de la liberté d'expression, la négation de l'Holocauste ne devait pas être passible de sanctions. De ces deux cas, le premier est le plus étrange. En effet, l'interdiction de publier Mein Kampf ne relève pas du droit pénal mais se fonde sur le respect des droits d'auteur détenus par le gouvernement néerlandais. Il s'ensuit que la vente d'exemplaires d'occasion ne peut être prohibée. La possibilité de poursuivre en justice la négation de l'Holocauste ne repose pas, comme dans d'autres pays, sur une loi spécialement élaborée à cet effet mais peut être basée sur les articles 137c et 137d du code pénal néerlandais. Sont passibles de peines ceux qui, ‘s'exprimant en public, oralement, par écrit ou par le biais d'images, tiennent volontairement, à l'encontre d'un groupe de personnes, des propos déshonorants sur leur race, leur religion, leurs convictions ou leur orientation sexuelle’ (article 137c) ou ceux qui ‘en public, oralement, par écrit ou par le biais d'images, incitent à la haine, à la discrimination ou à la violence envers des personnes ou leurs biens pour des motifs tenant à leur race, leur religion, leurs convictions, leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur handicap physique, psychique ou mental’ (article 137d). Il en va différemment en France. Le 13 juillet 1990, on y a voté la loi Gayssot. Celle-ci sanctionne la négation de crimes contre l'humanité - il s'agit en fait de la négation de l'Holocauste - tels qu'ils ont été définis par le tribunal de Nuremberg. Une dizaine d'années plus tard, le génocide arménien a été reconnu par la loi du 29 janvier 2001. Quelques mois après, la loi Taubira a été adoptée, laquelle reconnaît la traite négrière et l'esclavage comme crimes contre l'humanité. On n'en resterait pas là et il y avait eu en outre des antécédents. Parlons d'abord de la période antérieure à 1990. Avant l'adoption de la loi Gayssot, des procés avaient déjà été intentés contre des tenants du négationnisme et du révisionnisme, en clair contre des personnes niant l'existence des chambres à gaz et de l'Holocauste. Les plus connus sont les deux procès engagés contre Robert Faurisson, professeur de littérature à l'université de Lyon, lequel avait choisi comme passe-temps historique la recherche sur | |
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l'existence des chambres à gaz. À deux reprises, Faurisson a été condamné, y compris en cassation, dans deux procès retentissants. La prise de position du célèbre linguiste et polémiste américain, Noam Chomsky, qui s'était prononcé en faveur de la liberté d'expression en général et de celle de Faurisson en particulier, a retenu l'attention des médias. La loi de janvier 2001 sur le génocide arménien ne comporte qu'un seul article: ‘La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915’. Cette loi aussi avait été précédée d'un procès qui avait fait sensation, celui intenté contre le célèbre spécialiste du Moyen-Orient, Bernard Lewis. Dans un article paru dans Le Monde, ce dernier n'avait nié ni les actions turques contre les Arméniens ni le nombre des victimes. Il avait seulement préféré parler de déportation et non d'extermination ou de génocide parce que, prétendait-il, ce terme ne rend compte que de la version arménienne de l'histoire, occultant totalement la version turque. Bien que ce fait fût incontestable, Lewis avait été condamné, en 1995, par un juge parisien à payer un franc symbolique à titre de dommages et intérêts pour avoir manqué aux règles de prudence et d'objectivité. Dans ce procès aussi, l'historien avait donc eu affaire au juge et au législateur. La loi mémorielle qui fut votée quelques mois après celle de janvier 2001, concernait la traite négrière et l'esclavage. Cette loi, dite loi Taubira, contient cinq articles, mais c'est surtout le premier qui retient l'attention: ‘La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité’. Le vote de la loi Taubira est intervenu avant que soit intenté un nouveau procès, cette fois-ci contre l'historien Olivier Pétré-Grenouillau. Auteur d'un livre important et maintes fois primé sur la traite, intitulé Les Traites négrières - remarquons l'emploi du pluriel -, l'historien a été mis en examen parce que ses théories allaient à l'encontre de la loiGa naar eind6. L'affaire a tourné | |
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à la confusion, d'une part parce que tout le monde n'a pas fait la distinction entre le livre de Pétré-Grenouillau et les déclarations faites par ce dernier dans une interview, d'autre part parce que la distinction entre génocide et crime contre l'humanité n'a pas été clairement établie. Toujours est-il que Pétré-Grenouillau n'a pas été condamné. Autre loi dans la série: celle du 23 février 2005 dans laquelle la nation française exprime ses remerciements aux hommes et femmes qui ont participé à l'oeuvre de la France dans ses anciennes colonies, particulièrement en Algérie. Si la loi Taubira était une action entreprise par la gauche, celle du 23 février 2005 traduisait la vengeance de la droite. Cela ressort le plus clairement de l'article 4 où, par analogie avec l'article 2 de la loi Taubira, il est stipulé que les programmes scolaires doivent mentionner explicitement ces remerciements. L'article 2 de la loi Taubira s'énonce comme suit: ‘Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée’. L'article 4 de la loi sur les bienfaits de la colonisation lui fait écho: ‘Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée.’ L'article se présente comme un pastiche, mais l'affaire était sérieuse et la coupe pleine. Il s'ensuivit un tollé d'indignation à propos de cette immixtion flagrante de l'État dans le contenu des programmes d'enseignement d'histoire. Le président Chirac refusa de signer la loi et fit supprimer l'article 4. Le doyen des historiens français (‘l'éminence grise’ d'après certains) René Rémond, membre de l'Académie française, fonda l'association Liberté pour l'histoire. Depuis la mort de son fondateur en 2007, celle-ci est présidée par Pierre Nora, également académicien. L'association obtint de beaux résultats. En octobre 2008 fut publié l'Appel de Blois, un document qui mettait en garde contre le danger d' ‘une moralisation rétrospective de l'histoire et d'une censure intellectuelle’. Par ailleurs, les politiques étaient invités à faire preuve de sagesse, les historiens, eux, à passer à l'action. Cet Appel fut signé par une vingtaine d'historiens - je dirais d'historiens éminents si je n'en faisais pas partie moi-même - originales de dix pays européens. L'Appel connut lui aussi un grand retentissement. Le 28 novembre 2008 parut dans Le Monde une publicité pleine page mentionnant les noms de 1100 historiens de diverses nationalités, signataires de l'Appel. La loi pénalisant la négation du génocide arménien, déjà votée par l'Assemblée nationale, ne fut pas soumise par le gouvernement au Sénat et l'action menée en vue de faire adopter ce genre de lois et de sanctions pénales dans toute l'Union européenne fut mise en veilleuse. À l'évidence, Liberté pour l'histoire avait marqué des points. | |
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ConclusionLa situation française est unique en son genre, mais on observe des développements analogues dans d'autres pays. En Suède et aux États-Unis, des résolutions ont été adoptées qualifiant de génocide les opérations turques menées contre les Arméniens. Au Texas, l'histoire est réécrite sur ordre du Texas Education Board. Qu'en est-il des Pays-Bas? Comme on l'a indiqué plus haut, ce pays ne dispose pas de lois susceptibles de pénaliser le négationnisme. Il n'y a pas eu non plus d'affaires pénales spectaculaires. Il faut signaler toutefois le procès intenté par la Anne Frank Stichting et le Anne Frank Fonds, basés respectivement à Amsterdam et à Bâle, contre la Fondation pour le libre examen historique. Cette fondation belge avait diffusé un livret écrit par le Français Robert Faurisson dont il a déjà été question ci-dessus et le Belge Siegfried Verbeke, remettant en cause l'authenticité du journal d'Anne Frank. Mais il s'agissait en fait d'une procédure civile et non pénale. La partie demanderesse obtint gain de cause, le juge ayant estimé qu'on avait le droit de douter de l'authenticité du journal mais pas à la façon de Faurisson et de Verbeke. La question est évidemment de savoir comment s'expliquent ces approches différentes. Il n'est guère aisé d'y répondre. Il faut tout d'abord signaler quelques différences notables entre les pays en question. Les Pays-Bas comptent beaucoup moins de ressortissants arméniens que la France et les États-Unis et ne se trouvent pas confrontés à un lobby oeuvrant pour que le massacre des Arméniens soit taxé de génocide. Il y a aussi une différence quant à la relation entre colonisation et immigration. En France, il existe entre celles-ci un lien quasi direct: l'immense majorité des immigrés sont originaires des anciennes colonies françaises. Aux Pays-Bas, en revanche, les immigrés sont majoritairement turcs ou marocains. Leurs pays d'origine ne sont donc pas d'anciennes colonies néerlandaises mais simplement des pays fournisseurs de travailleurs migrants. Il est vrai qu'aux Pays-Bas vivent également des minorités provenant celles-là d'ex-colonies néerlandaises, tels les Moluquois, lesquels, dans les années 1970, ont donné du fil à retordre aux autorités mais qui se sont assagis avec le temps. Il y a les Surinamiens qui ont stimulé le débat sur l'esclavage et la traite des esclaves et qui, notamment par l'érection d'un monument et la création d'un institut de recherche, ont su obtenir la reconnaissance de leur passé. Mais ils se sont abstenus de prendre des initiatives comme, par exemple, la loi Taubira. Il existe évidemment une différence considérable en matière de culture politique. La France est un pays de révolutions et d'oppositions irréductibles. Aux Pays-Bas, il est de tradition de laisser les couteaux au vestiaire, de se mettre à l'écoute des parties adverses, de se concerter avec elles, de poursuivre inlassablement les négociations, de s'efforcer de parvenir à des compromis susceptibles de satisfaire toutes les parties concernées. Dans une telle culture, les affrontements se font à fleurets mouchetés. Par ailleurs, les deux pays n'ont pas les mêmes systèmes d'enseignement. Aux Pays-Bas, l'enseignement privé, essentiellement d'inspiration religieuse, bénéficie des mêmes financements que l'enseignement public tout en jouissant d'une grande liberté. Pareille situation laisse peu de place à des lois qui fixent les contenus d'enseignement touchant des sujets spécifiques. Il existe bien des services d'inspection, mais ces derniers contrôlent la qualité de l'enseignement dispensé et non son contenu. Cependant, on constate dans les milieux politiques néerlandais un intérêt croissant pour le passé national et pour l'enseignement qui y est consacré. Plusieurs personnalités politiques ont fustigé le manque de connaissance des Néerlandais de leur propre passé national, mais, dans le même temps, l'ignorance en la matière affichée par certains politiciens a été cruellement mise en lumière. Afin de remédier à cette situation, deux initiatives ont été prises. | |
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Premièrement, la mise sur pied de la Canon-commissie, une commission chargée d'établir une liste d'événements et de personnes que chaque Néerlandais est censé connaître et qui doit donc figurer dans les programmes d'enseignement. Ce ‘canon’ a été élaboré, a dans l'ensemble reçu un accueil favorable et comblé le ministre de l'Éducation. Toutefois, les modalités d'application ont posé quelques problèmes et on ne sait pas encore quel en sera l'impact sur l'enseignement. Une initiative assez analogue a été le projet de créer un Nationaal Historisch Museum (musée historique national). Ce projet était aussi une initiative politique. Cependant, dès son élaboration concrète, des dissensions politiques sont apparues concernant le choix du lieu d'implantation (on a finalement opté pour la ville d'Arnhem, située dans l'est des Pays-Bas), ensuite à propos du site à retenir dans la ville même et enfin au sujet des idées lancées par la direction sur l'objectif assigné au musée, jugées trop tendance et postmodernistes par certains critiques. La discussion se poursuit, ce qui n'empêchera sans doute pas la construction du musée. Les initiatives mentionnées ci-dessus sont fondamentalement différentes des lois mémorielles françaises mais, comme ces dernières, elles s'inspirent du souci de préserver la mémoire nationale. Elles s'inscrivent dans le cadre des discussions sur l'identité nationale et la mise en danger de celle-ci dans une société devenant sans cesse plus mondiale, plus internationale et plus multiculturelle. En France, le débat sur l'identité nationale est encouragé par les autorités publiques avec le succès mitigé que l'on sait. Une dernière question pour terminer: quelle est la situation en Belgique? Le royaume ne semble guère troublé par toutes ces affaires. Il n'y a pas eu de procès relatifs à des événements du passé et des lois mémorielles n'y ont pas été votées. On n'a pas rédigé non plus de ‘canon’ ni projeté de construire un musée historique. Le débat sur l'identité nationale est mené différemment, non pas tellement dans le contexte de la globalisation et de l'immigration mais comme l'un des éléments d'une dissension beaucoup plus ancienne, portant sur la nature même de l'État belge. H.L. Wesseling |
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