Septentrion. Jaargang 37

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guerite Yourcenar au café Dewulf à Dranouter (Flandre-Occidentale), novembre 1983, photo M Vanneuville

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Le tour de la prison

‘Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison? Vous le voyez, frère Henri, je suis vraiment un pèlerin. La route est longue mais je suis jeune.
- Le monde est grand, dit Henri-Maximilien.
- Le monde est grand, dit gravement Zénon. Plaise à Celui qui Est peut-être de dilater le coeur humain à la mesure de toute la vie.’
Marguerite Yourcenar, L'OEuvre au noir.

Le 17 décembre 2007, vingt ans s'étaient écoulés depuis la mort de Marguerite Yourcenar à l'hôpital de Bar Harbor, dans le Maine. Et le mois de mai 2008 a marqué le quarantième anniversaire de la parution de l'OEuvre au noir chez Gallimard. Deux bonnes raisons pour prendre la mesure d'un grand roman et du talent de Marguerite de Cleenewerck de Crayencour qui ouvrait sa trilogie magistrale (Souvenirs pieux, Archives du Nord et Quoi? L'éternité) par cette phrase réservée: ‘L'être que j'appelle moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903, vers les 8 heures du matin, à Bruxelles, et naissait d'un Français appartenant à une vieille famille du Nord, et d'une Belge dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à Liège, puis s'étaient fixés dans le Hainaut.’

Yourcenar passa le tumultueux mois de mai 68 à Paris en compagnie de Grace Frick afin d'assurer la promotion de l'OEuvre au noir. Les deux dames se heurtèrent à des barricades, à des échauffourées qui leur imposèrent de longues déambulations à travers Paris. Les étudiants étaient assurés de la sympathie de Yourcenar puisqu'ils se révoltaient contre la rigidité des institutions et le conformisme, contre le consumérisme et le capitalisme pur et dur. De toutes les inscriptions qui tapissaient les murs de Paris, c'étaient surtout les slogans romantiques appelant à la liberté et à la créativité qui devaient la séduire: des inscriptions comme ‘Soyez réalistes, demandez l'impossible’, et ‘La forêt précède l'homme, le désert la nuit’ traduisaient parfaitement les sentiments de cette écologiste avant la lettre.

Peut-on voir en Zénon un héros de 68 ou, plus généralement, un héros de la modernité?

Telle est la question posée par Achmy Halley, directeur de la villa départementale Marguerite Yourcenar, la résidence d'écrivains du mont Noir. Est-ce un hasard, est-ce une gleichzeitige Ungleichzeitigkeit, si le livre paraît en mai 68? Ou faut-il voir autre chose dans cette coïncidence?

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Dans le présent dossier, Catherine Golieth se penche sur cette question et y répond résolument par l'affirmative. Zénon est un héros ‘de toutes les époques’, solidement enraciné dans la sienne. Le trait qui le caractérise est une ‘volonté de service’: ‘Le service qui est en somme la seule discipline dans un monde qui n'en a pas d'autres. Et la connaissance.

Le grand but secret, c'est la connaissance.’ (Marguerite Yourcenar, interviewée par J.M. Royer en 1972). La passion de comprendre est le ‘luxe suprême chez Hadrien, pain et sel pour Zénon’ écrivait Yourcenar dans une lettre à un étudiant, auteur d'une étude comparative d'Hadrien et de Zénon. Zénon lui-même parle laconiquement de laisser derrière soi un monde un peu moins sot qu'on ne l'a trouvé. Faire le tour de sa prison.

Le dossier spécial Yourcenar a été réalisé grâce à la Province de Flandre-Occidentale.

Son aide a permis notamment que l'on a marché sur les traces de Zénon à Bruges le 14 juin 2008 et que trois dialogues du roman (la rencontre du jeune Zénon et de son cousin Henri-Maximilien sur la route du sud; les adieux de Zénon et de Wivine dans l'église de Jérusalem et la conversation entre le vieux Zénon et le prieur des Cordeliers) ont été joués en extérieur par des acteurs francophones. L'intérêt que suscite la grande femme de lettres est toujours intact. On a pu d'ailleurs s'en rendre compte le 15 juin 2008 lors de la présentation de ce numéro au cours du festival Par monts et par mots au mont Noir, dans le nord de la France.

Luc Devoldere
Rédacteur en chef.