La France d'après-guerre
Entre 1870 et 1945, la France entra trois fois en conflit avec l'Allemagne. Bien sûr, les tensions franco-allemandes ne s'évanouirent pas du jour au lendemain après 1945. Au contraire, elles s'accrurent comme jamais auparavant. Cependant, au sortir de la guerre, le poids des rapports de force franco-allemands et, d'une manière générale, de la politique européenne avait fortement diminué. Après 1945, la diplomatie française s'empêtra dans les paradoxes du monde d'après-guerre. La guerre froide, qui entraîna une présence militaire et nucléaire américaine en Europe, d'une part, et, d'autre part, l'avancée de la décolonisation dans le monde, établirent un nouveau cadre pour la politique mondiale, qui ne manqua pas d'exiger également une adaptation des schémas politiques traditionnels. L'alliance russe fut freinée par la guerre froide, et les mouvements d'émancipation coloniale durent s'affronter aux aspirations mondiales de la France. En résumé, la politique mondiale éclipsa la politique européenne.
Du fait de la guerre froide, la diplomatie française se trouva confrontée à de sérieux problèmes. La guerre froide, en effet, était une guerre contre le communisme mondial, contre l'Union soviétique - bref, contre la Russie. À partir de 1948, la Russie fut le problème majeur de l'Occident. Les Français avaient du mal à accepter cette situation dans la mesure où, historiquement, la Russie n'avait jamais été un problème mais, au contraire, une solution - plus précisément, la solution à la question allemande. Tel avait été le cas entre 1870 et 1945, de même que pendant une courte période après la guerre. Mais la guerre froide mit un terme à cet état de fait. Dès lors que l'on ne pouvait plus conjurer l'Allemagne en invoquant la Russie, mais bien conjurer la Russie en invoquant l'Allemagne, la diplomatie française eut à affronter un grave problème conceptuel. Ce fut, nous l'avons dit, la logique de la guerre froide, c'est-à-dire la logique des rapports de forces mondiaux, qui, cette fois, éclipsa la logique des relations franco-allemandes, rendant obligatoire une nouvelle approche. Pour contenir la Russie, il fallait relever l'Allemagne et lui trouver une place dans le camp occidental, ce qui impliquait une réconciliation franco-allemande.
La guerre froide rendit également possible la seconde condition, décisive, qui déboucha sur cette réconciliation. La Deuxième Guerre mondiale avait divisé l'Allemagne en plusieurs zones d'occupation. La guerre froide maintint cette division, qui devint peu après officielle, sous la forme de deux États, et cette partition était, semblait-il, définitive, du moins aussi loin que portait le regard vers l'avenir. Ce fut ce facteur qui permit aux Français d'entreprendre ce qu'ils n'avaient plus osé faire depuis 1870: approcher l'Allemagne face à face. L'Allemagne d'après-guerre n'avait en effet plus rien du puissant Reich façonné et édifié par Bismarck, elle se résumait désormais à une partie de l'ancienne Allemagne, la République fédérale.
Le reste, ‘La Prusse et la Saxe’, comme de Gaulle aimait à dire, se constitua en État autonome, la RDA. On peut donc affirmer que la politique mondiale, autrement dit la rythmique de la guerre froide, détermina pour une grande part le cadre de la politique européenne et des relations franco-allemandes.
La chute du mur de Berlin, la réunification allemande et l'écroulement de l'Union soviétique en 1989-1990 sonnèrent le glas de la guerre froide. Pour Paris, cela signifia la fin d'un monde familier et, grosso modo, agréable. La guerre froide avait permis à la France d'occuper une place de choix dans l'Europe. Grâce à cela, la France bénéficiait du soutien de l'Amérique, qui lui avait si cruellement fait défaut en 1914 et 1939. Située à l'ouest de l'Allemagne, elle était donc automatiquement protégée contre la Russie. Profitant de la scission de l'Allemagne et de sa faiblesse, elle s'était vue en mesure d'assumer la direction de l'Europe. Grâce à la guerre froide, elle avait pu profiter au maximum du poids politique de sa force de frappe.