Septentrion. Jaargang 36
(2007)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Le temps danse le tango: ‘100% chimique’, chronique familiale insolite de Doeschka MeijsingNée en 1947, Doeschka Meijsing appartient à la même génération de romancières néerlandaises que Margriet de MoorGa naar eind1, Anna EnquistGa naar eind2, Charlotte MutsaersGa naar eind3, Tessa de Loo et Nelleke Noordervliet, dont l'oeuvre, relativement récente, est aujourd'hui unanimement reconnue aux Pays-Bas et partiellement diffusée en français, du moins en ce qui concerne les deux premières. Cependant, Meijsing a débuté beaucoup plus tôt que ses consoeurs, publiant son premier recueil de nouvelles, De hanen en andere verhalen (Les Coqs et autres récits) en 1974; dès lors, la critique l'associe volontiers à une autre mouvance, antérieure, de la littérature contemporaine que ces auteurs féminins, d'autant que les romans qui ont contribué à la faire connaître aux Pays-Bas datent de la première moitié des années 1980. À cette époque, plusieurs collaborateurs de la revue amstellodamoise De Revisor, dont Meijsing elle-même, font parler d'eux en ouvrant une troisième voie en prose, qui s'écarte à la fois du roman expérimental, émanation de la contestation des années 1960, et du roman psychologique réaliste, teinté d'introspection, tel qu'il fut pratiqué à partir des années 1970 par un Maarten 't HartGa naar eind4. Pour Meijsing et ses collègues, il s'agissait de réhabiliter l'imaginaire comme moyen d'appréhender le monde et le moi, au travers de récits très construits, ce qui valut à ce groupe d'être taxé d'académisme. Leur approche intellectualiste de la littérature n'empêcha nullement quelques-uns de ces auteurs d'être plébiscités par un important lectorat, comme en témoigne le succès d'écrivains tels que le regretté Frans Kellendonk, auteur du baroque Corps mystique (Mystiek lichaam, 1986)Ga naar eind5, ou le prolifique A.F.Th. van der Heijden, phénomène médiatico-littéraire devenu l'objet d'un véritable culte avec son cycle de romans de formation intitulé De tandeloze tijd (Le Temps édenté)Ga naar eind6. À l'instar d'un autre rédacteur du Revisor, Nicolaas Matsier, dont le meilleur roman, Gesloten huis (Autoportrait avec parents) avait précisément été traduit par Charles Franken, à qui l'on doit aussi le texte français limpide de 100% chimique, Doeschka Meijsing a surtout obtenu un succès d'estime, se voyant attribuer plusieurs distinctions, dont le prix Multatuli en 1981, sans atteindre à la notoriété et aux tirages des romancières mentionnées plus haut. Paru au Castor astral, 100% chimique est le dix-septième ouvrage de l'auteur et son deuxième titre disponible en français, après un conte allégorique richement illustré, L'Ours et le Chasseur, publié chez Estuaire en 2003. Il s'agit d'une chronique familiale assez déroutante, dans laquelle la romancière prend d'emblée beaucoup de libertés avec un genre en apparence conventionnel. La démarche de Meijsing, privilégiant l'association de souvenirs, de supputations, voire d'affabulations à propos de ses proches et de ses aïeuls, ingrédients savamment dosés et mélangés à des faits réels, aboutit à une vision surprenante de l'histoire d'une famille, racontée par le biais de la destinée de quatre générations de femmes. Le récit illustre les principaux thèmes de l'auteur: la recherche problématique d'une identité, la difficulté à saisir le passé et à l'interpréter, ainsi que, dans ce cas précis, l'héritage complexe de déracinements qui plongent au coeur des conflits du XXe siècle; la famille de la narratrice - il est difficile de parler | |
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Doeschka Meijsing (o1947), photo Kl Koppe.
ici d'autobiographie traditionnelle et d'assimiler sans réserves le je à la romancière - comprend en effet par sa grand-mère maternelle une branche juive allemande réfugiée aux Pays-Bas dans les années 1930, après que le grand-père néerlandais eut d'abord émigré en Allemagne. C'est donc également du contentieux néerlando-allemand qu'il est indirectement question, un thème traité avec retentissement par plusieurs romancières dans la littérature néerlandaise récente, comme en témoignent les romans volumineux de Nelleke Noordervliet (De wam van de vader - Le Nom du père, 1993) et Tessa de Loo (De tweeling - Les Jumelles, 1994). L'histoire allemande de la famille apporte à un récit de prime abord décousu une trame chronologique jalonnée par la crise économique des années 1920, la catastrophe du nazisme et de la guerre, puis le miracle économique des années 1950. Sur ce canevas se greffe une autre organisation du roman, toute personnelle, regroupant des anecdotes par thèmes relatés à l'importance de certains objets fétiches, vecteurs de la légende familiale: voitures hétéroclites du père, chaussures grotesques fabriquées par une tante, pourvoyeuse de la famille, pelotes de laine utilisées par la mère pour confectionner des habits peu confortables ou encore plumes de divers oiseaux de compagnie ayant marqué les générations successives, dont la figure emblématique du perroquet Pfiffikus. Ce volatile incarne la voix de la narratrice, ressassant les anecdotes du répertoire familial tout en les accommodant à sa guise, comme un jacquot est capable d'imiter des paroles apprises aux moments les plus inattendus, produisant ainsi un décalage involontaire mais hautement cocasse qui déstabilise le sens du discours reproduit. L'aspect irrespectueux de la comparaison met en évidence le conflit latent qui oppose la narratrice à sa mère: celle-ci reproche à sa fille de raconter n'importe quoi, tandis que la fille associe à l'activité du perroquet bavard les déformations que sa mère d'origine allemande faisait subir à son passé et à la langue néerlandaise. Cette dispute accentue le rôle de l'imaginaire dans la transmission de l'histoire familiale, la narratrice apparaissant telle une digne héritière de sa mère, qualifiée elle-même, non sans ironie, de ‘conteuse née’ et de ‘virtuose du verbe’ (p. 148). Au fil des pages, c'est la difficulté, voire l'impossibilité d'élaborer une chronique familiale qui est évoquée, par la démonstration de l'invraisemblance des récits qui la composent. Le principal attrait de 100% chimique tient au mode burlesque sur lequel est déclinée cette chronique passablement déjantée, témoignage ludique d'une suite douce-amère de désillusions. Ainsi, le titre du roman s'explique par la réaction désabusée de la mère quelque peu naïve, à l'annonce de la description du génome humain. Comme le faisait déjà remarquer le célèbre romancier néerlandais Willem Frederik Hermans (1921-1995), l'homme n'est finalement que le résultat d'un banal processus chimique. Mais à la différence de sa mère, prompte à entretenir les mystères, la narratrice n'a de cesse d'interroger les méandres et les contradictions de la transmission générationnelle, déconstruisant cette forme littéraire de recherche généalogique par un humour caustique, qui déverrouille le non-dit et le carcan du passé, les travestissant | |
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joyeusement en numéros d'un spectacle de cirque haut en couleurs. dorian cumps |
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