la foi catholique. Sa conversion, en 1999, qu'il décrit dans Het wonder van de losse olifanten (Le Miracle des éléphants en liberté, 1999), suscita bien des critiques dans la presse néerlandaise. L'essayiste Rudy Kousbroek condamna Otten avec une rare violence; Atte Jongstra l'a mis en scène sous les traits du grotesque zélat Jan-Willem dans son volumineux roman De tegenhanger (Le Pendant, 2003). Pour Otten, la foi est le pont jeté entre vouloir et devoir: l'homme religieux veut croire en des puissances qui le dépassent et qui le contraignent à vivre et à mourir. Ce vouloir n'a rien d'un choix libre: le croyant estime qu'il doit vouloir. De la sorte, le croyant crée son Dieu tout en étant créé par Lui. Il partage ce point de vue avec l'artiste qui ne devient artiste qu'à mesure qu'il crée une oeuvre. Lui aussi est donc créé par sa création. Dans Specht en zoon (La Mort sur le vif), le dernier roman d'Otten, dont Gallimard vient de publier la traduction française, l'écrivain tente d'approcher cette création binaire en partant du point de vue de l'oeuvre d'art. Autrement dit, il abandonne la perspective traditionnelle d'un individu soi-disant libre et créatif pour regarder le monde à travers les yeux d'un objet soi-disant passif et créé. Car c'est une toile, devant être peinte, qui narre l'histoire. Cette toile est livrée au bon vouloir de Félix Vincent, le peintre que le narrateur baptise, sans le moindre souci de masquer la symbolique, ‘créateur’.
Le peintre, en réalité, ne veut rien, mais il doit (faire). Le richissime Specht lui a demandé de peindre Singer, son fils décédé. Le vieil homme espère que le tableau redonnera vie à ce dernier. Le garçon devrait ressusciter grâce au regard de l'artiste, symbole du regard de l'autre - peut-être, qui sait, du regard de l'Autre, le Créateur. La peinture offre au portraituré l'occasion de se voir à travers les yeux de l'autre. Mais comment cela est-il possible puisque Singer est censé être décédé? Et comment expliquer que le garçon soit noir alors que son père est blanc? Autant d'énigmes qui amènent le peintre à accepter ce que Specht lui demande, même s'il redoute qu'il y ait anguille sous roche. L'énigmatique le contraint à accepter. Il portraiture le défunt car il veut savoir comment celui-ci a vécu. Il sent qu'il doit accepter cette commande.
Mais il s'avère que le regard de l'artiste qui veut savoir n'est pas à même de faire vivre les choses. Par l'intermédiaire de la journaliste Minke Dupuis, Félix finit par s'apercevoir que Singer n'est pas le fils de Specht, mais un prostitué toxico qui a tenté de se suicider. Le regard que l'artiste pose sur son tableau devrait être le regard aimant d'un père sur son fils. En poussant un peu plus loin, ce serait le regard que Dieu le Père pose sur l'homme. Mais Félix ne peut plus croire à la paternité de Specht. Il en sait trop pour peindre l'innocence du fils et l'amour du soi-disant père. Quand OEdipe prend conscience de la réalité, il se crève les yeux. Quand Félix découvre la vérité, il brûle le tableau de manière à détruire le regard du créateur. Au même moment, il devient impossible et pour le tableau et pour le portraituré de vivre plus longtemps dans les yeux de l'autre. ‘Comment une créature telle que moi peut-elle parvenir à se voir?’ s'était demandé la toile. A la fin de l'histoire, celle-ci n'a plus la capacité de se voir. Specht, qui est à l'article de la mort, supplie Félix: ‘Peins-le une nouvelle fois. Tel qu'il est. Il vit. Un jour, il viendra se voir.’ Les dernières phrases du roman. Elles supposent une remise en état de l'oeuvre d'art, une foi renouvelée dans l'énigme, et symbolisent l'art d'Otten, lequel voit la littérature comme une exploration respectueuse de l'énigme en quête d'un regard compréhensif. Un regard qui, plutôt que de chercher à résoudre l'incompréhensible, se propose de l'étreindre.
Bart Vervaeck
Professeur de littérature de langue néerlandaise à la ‘Vrije Universiteit Brussel’.
Adresse: Kapelseweg 162, B-2811 Leest.
Traduit du néerlandais par Daniel Cunin.