[Nummer 3]
Comme dans un miroir trouble
‘Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. A présent, je connais d'une manière imparfaite; mais alors je connaîtrai comme je suis moi-même connu’. Lettre de saint Paul aux Corinthiens, 1 Co 13, 12
Pour éviter tout malentendu: ce numéro de Septentrion a été conçu pour le Québec. Et pourtant, il s'adresse aux francophones du monde entier. Tel est le but poursuivi à chaque fois par cette revue.
Pour éviter tout malentendu: la Flandre est très présente dans ce numéro, ‘quelques Flandres’, pour être plus précis. Et la Belgique n'est jamais tout à fait absente, car il se fait que la Flandre se situe dans ce pays. Et pour rendre les choses encore plus captivantes et plus compliquées, il est question également dans ces pages, comme toujours, des Pays-Bas. Les Flamands entretiennent avec les Néerlandais une relation particulière de couple à temps partiel: ils vivent séparés et pourtant ensemble. Ils partagent la même langue et se considèrent mutuellement comme appartenant à une nation étrangère mais privilégiée.
Ce numéro de Septentrion est donc plein d'effets spéculaires: les Flamands voient les Québécois apparaître dans leur miroir et vice versa. Ils ne se voient jamais ‘face à face’, comme Paul le promet dans son épître. Le miroir reste trouble. Et peut-être vaut-il mieux qu'il en soit ainsi. La connaissance totale de soi-même, a fortiori de l'autre, est impossible. Et pourtant les miroirs peuvent nous apprendre bien des choses.
Ils peuvent nous apprendre, par exemple, que le spectacle est dans le spectateur.
A notre demande, Monique LaRue, qui vit et écrit à Montréal, s'est installée pendant un mois en Flandre et, pour vous, a mis par écrit ses impressions. J'ai moi-même tenu un carnet à Montréal. Johanne Poirier se penche sur un modèle complexe et fragile, celui de la Belgique fédérale (La Belgique rapaillée, c'est-à-dire ramassée, rassemblée), pour conclure qu'il ne convient pas au Québec, même si l'on peut en tirer bien des enseignements. L'écrivain flamand Pol Hoste écrit une trilogie qui se déroule à Montréal. Mais Montréal n'est dans ses romans ni plus ni moins qu'un décor dépaysant, une machine qui met en branle son propre passé et ses propres obsessions dans un flux puissant, un brassage de langues, de lieux, de voyages.
Gilles Pellerin et Stefan Hertmans, dans les lettres qu'ils s'adressent, parlent de la langue qui est leur véhicule, mais bien plus que cela: une manière d'être. Si cette correspondance fait souvent référence à l'histoire, celle par exemple de la lutte linguistique - hier et aujourd'hui -, elle est surtout quête d'une conscience.
Bruxelles et Amsterdam, séparées par à peine trois heures de train, considèrent leurs différences, tout comme la Belgique et les Pays-Bas continuent - par-dessus la haie - à se fasciner et à s'irriter mutuellement.
L'histoire ne peut pas être absente de ce numéro: des milliers de Canadiens ont laissé leur vie dans le bourbier flamand de la première guerre mondiale, et le sort des Québécois dans ce carnage est décrit ici pour la première fois. Je me souviens. Par ailleurs, un Québécois se demande avec l'étonnement du Parisien des Lettres persanes de Montesquieu: ‘Comment peut-on être québécois?’
L'oeuvre graphique de Rubens (exposée au Québec à l'automne 2004) et la chorégraphie des Ballets C de la B (qui se produisent entre autres, en novembre 2004, à La Place des Arts à Montréal) témoignent de la Flandre historique et actuelle, la Flandre des images et de la scène.