Septentrion. Jaargang 33
(2004)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Couronne d'olivier en or, vers 350 avant Jésus-Christ, tumulus de Kekuvatsky Kurgan, Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
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Une feuille frémissante‘Apprenons la langue de l'autre’. Ces paroles ont été prononcées par Dominique de Villepin dans la matinée du 11 mars 2004 au théâtre municipal d'Amsterdam. L'ancien ministre des Affaires étrangères de la République française était venu rehausser par son élégante présence le lustre de l'ouverture de la Semaine du livre (10-20 mars), consacrée à la littérature française sous l'intitulé Gare du Nord. Durant cette semaine, des écrivains venus de France et d'ailleurs (entre autres le Belge Jean-Philippe Toussaint et le Québécois Gaétan Soucy) parcoururent le pays. Par contrecoup, quelques jours plus tard, une caravane de lecteurs et d'auteurs néerlandais se rendirent à Paris afin d'y déposer des fleurs sur la tombe de Proust au Père-Lachaise et réciter des textes de Voltaire au Panthéon; en outre, Kees Fens, récemment proclamé le premier des ‘lettrés néerlandais’, eut l'occasion, au Procope, d'exposer pourquoi - hélas - les Pays-Bas n'édifieront jamais un Panthéon, à plus forte raison n'y déposeront jamais leurs écrivains. En visite de travail aux Pays-Bas dans le cadre de l'extension de l'Union européenne et de la présidence néerlandaise à partir du 1er juillet, Dominique de Villepin tint à manifester son respect à l'égard du livre. Ainsi qu'il sied à un politique français, il a lui aussi écrit des livres: sur Voltaire et Bonaparte, sans oublier un épais volume, Eloge des voleurs de feu (Gallimard, 2003), qui est une défense de la poésie. Au moment même où j'étais sur le point de lui demander ce qu'il trouvait de l'inimitable adieu, à la fois laconique et caustique, de Voltaire aux Pays-Bas - ‘Adieu canaux, canards, canaille’ -, il se dirigeait déjà vers le rendez-vous suivant. Dans une Europe où la globalisation progresse avec une rapidité fulgurante, les Français s'érigent ouvertement en défenseurs de la diversité culturelle. A cette fin, ils ont même inventé le concept d'‘exception française’. Les États ont le droit et le devoir de ‘mener les politiques culturelles de leur choix’, déclara de Villepin, reprenant les termes des représentants, réunis à Paris en 2003, d'organisations professionnelles de la culture venues de plus de trente pays. ‘Nous pensons ensemble qu'une seule langue ne saurait suffire pour dire le monde’, dit le ministre, et il fit montre de suffisamment de diplomatie pour ne pas nommer cette langue à Amsterdam. L'anglais, en effet, est nécessaire, mais pas suffisant. ‘Apprenons la langue de l'autre.’ Cependant, la connaissance du français et de l'allemand décroît de jour en jour aux Pays-Bas. Et qu'en est-il de la connaissance des langues étrangères chez les Français eux-mêmes? De Villepin se rendait bien compte que l'inscription, dans le projet de Traité constitutionnel de l'Europe, de ‘la diversité | |
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culturelle et linguistique’ dans un ‘pays d'ouverture, du libre échange dans tous les sens du terme’ peut paraître ‘trop protectrice, voire protectionniste’. Les marchands hollandais regardent vers la mer et parlent anglais. Il le pensait mais ne le dit pas. Pourtant, je crois que les néerlandophones, en effet, peuvent être dans ce débat des alliés objectifs des francophones. Les Français, tout comme les Allemands, possèdent le ‘poids’ et le capital symbolique permettant de s'opposer à la dominance de l'anglais. Mais entre-temps, apprenons tous au moins deux ou trois autres langues européennes. Ce onze mars à Amsterdam fut une journée particulière. Dans son discours, de Villepin fit allusion aux attentats meurtriers qui avaient eu lieu à Madrid deux heures plus tôt ce matin-là. Mais sur le moment, sa mise en garde contre les ‘identités meurtrières’ n'eut pas pour nous son sens concret: nous ne savions pas encore.
Une heure plus tard, j'admirais les ors grecs d'une exposition tenue au bord de l'Amstel, dans une dépendance du Musée de l'ErmitageGa naar eind(1). Vous lisez bien: désormais, en quelque sorte, vous trouverez également le célèbre musée russe à Amsterdam, dans la ville qui incita Pierre le Grand à fonder Saint-Pétersbourg. Amsterdam et Saint-Pétersbourg ont conclu un intelligent mariage de raison, qui peut déboucher sur l'amour, un partenaire apportant des capitaux - bien placés -, l'autre prêtant les trésors d'une collection immense qui peuvent enfin être montrés au public. Les vitrines étalent les témoignages d'une fine orfèvrerie due à des artisans de Crimée. Au viie siècle avant Jésus-Christ, les Grecs colonisèrent cette région située au nord de la mer Noire. Milet, riche ville marchande d'Asie Mineure, fournit les premiers colons. Ceux-ci se heurtèrent aux Scythes, une peuplade sauvage des steppes. Nous trouvons-nous devant de l'art ‘barbare’? De l'art grec? Ce que l'on nomme aujourd'hui ‘brassage’, ‘métissage’, a manifestement toujours existé. Au moment même où l'Union européenne s'étend vers l'est, il est bon de considérer que l'Occident a ses racines en Orient, en Asie Mineure, dans des villes telles que Milet, où l'on a commencé vers 600 avant notre ère a développer une pensée nouvelle face au monde. Je m'étais arrêté devant une couronne d'olivier exécutée en or - rameaux, feuilles et fruits: le tout miraculeusement conservé après plus de 2000 ans -, trouvée sur le crâne d'un Scythe. Tout à coup, une des feuilles d'une étonnante finesse se mit à frémir: ne me demandez pas pourquoi, juste alors et à cet endroit - un effet secondaire de la climatisation? Ce serait en fait le moment le plus prenant de cette journée. Lecteur, si vous habitez l'Europe, il y a une bonne chance pour que vous ayez voté ces jours-ci afin d'élire un nouveau Parlement européen. L'Europe est aussi fragile et magnifique qu'une feuille frémissante dans une couronne d'olivier qui coiffa un jour de son or la tête d'un Scythe de Crimée.
Luc Devoldere Rédacteur en chef. |
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