Septentrion. Jaargang 32
(2003)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdHistoire‘L'âme belge’ selon Jean StengersL'historien bruxellois francophone Jean Stengers n'aura pu achever l'oeuvre de sa vie. Cette figure passionnante est décédée avant que ne paraisse le deuxième tome de son Histoire du sentiment national en Belgique. C'est regrettable, car cette histoire du sentiment national en Belgique se termine à mi-chemin en 1918, ‘aux premiers signes de désintégration de la Belgique et d'atteintes sérieuses au sentiment national’ (p. 191). Même si l'on est en droit de se poser des questions sur les intentions de l'auteur quant au fond de cet ouvrage, on attendait avec intérêt la suite de l'exposé. L'auteur espérait en effet que ses lecteurs se détourneraient définitivement de l'affirmation selon laquelle il n'aurait vraiment jamais été question d'un véritable sentiment national ou belge après 1830. Avec son argumentation, le scientifique Jean Stengers se proposait d'aller à l'encontre d'une imagerie populaire inexacte à ses yeux, car, conclut-il: ‘Wallons et Flamands sont ensemble et exclusivement des sous-produits de la Belgique’ (p. 201). C'est sur cette phrase que se clôt en effet ce deuxième tome: la Flandre et la Wallonie existent bel et bien, admet Stengers, mais alors uniquement parce que la Belgique existait et existe, en tant qu'émanations de la Belgique de 1830. Dans le premier tome de son étude, Stengers partait à la recherche de traces historiques de la Belgique dans les siècles précédant la naissance de l'État belgeGa naar eind(1). Il s'agissait là d'une quête quelque peu laborieuse à travers les dizaines de citations qu'apportait l'auteur pour pouvoir démontrer à tout prix que le terme de ‘Belgique’, sous quelque forme que ce soit, circulait déjà en Europe longtemps avant 1830. Toutefois, il s'avérait impossible d'avancer des preuves authentiques démontrant qu'une identité belge avait déjà existé longtemps avant 1830. Le deuxième tome, qu'a rédigé par ailleurs en grande partie Éliane Gubin, collègue de Stengers, s'ouvre sur une contradiction remarquable: l'auteur constate que ‘la fierté nationale n'a pas été, dans le courant du xixe siècle, une caractéristique dominante du peuple belge’ mais déclare, dans les mêmes pages, que tout de suite après 1830, lorsqu'il s'agissait de développer la nationalité belge, ‘cette affirmation a été soutenue dans un premier temps par un incontestable souffle de fierté patriotique’ (p. 7). Ce n'est pas la seule fois où le lecteur se demande avec un certain étonnement ce qu'entend démontrer exactement l'auteur. Qu'il ait existé un sentiment belge bien solide même chez les flamingants de la première heure est tout simplement une évidence pour tous ceux qui ont étudié tant soit peu l'histoire de la Flandre. La plupart des écrivains flamands dépendaient dans une large mesure de la générosité officielle de la | |
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Belgique. Personne ne conteste non plus que cet attachement flamand à la Belgique se soit peu à peu effrité et, au début du xxe siècle, pour toutes sortes de motifs, soit mué en une hostilité croissante - du moins dans une fraction de l'opinion publique flamande - à l'égard de la Belgique. Que l'armée ait été un bastion de francisation est également une constatation que peu de gens contrediront. Que l'essor industriel au niveau international vers 1900 ait contribué à favoriser un patriotisme belge est un autre fait établi. Bref, l'historien ne réussit pas vraiment à convaincre. Ainsi on ne perçoit pas clairement la signification, par rapport au sujet du livre, des vingt pages consacrées à l'incontestable caractère belge de la défense de Liège. A la question de savoir si l'on peut vraiment parler d'une ‘âme belge’, idée si chère à l'historien Edmond Picard, l'auteur trouve comme seule réponse qu'il s'agissait d'un ‘vent de patriotisme et d'orgueil national (qui) souffle incontestablement sur la Belgique de la Belle Époque’ (p. 125). De plus, les abondants témoignages verbaux sont principalement, une fois de plus, d'origine francophone. Ce qui, du reste, aboutit quelquefois à des résultats surprenants. Ainsi, par exemple, cette affirmation de l'auteur gantois francophone Suzanne Lilar sur le mépris qu'affichent les francophones à l'égard du néerlandais: ‘C'est ce dédain que la population flamande ressentit le plus vivement... Car on peut accepter le bilinguisme mais non, sans bassesse, la
‘Vive la Belgique’ - ‘A bas la Belgique’, graffitis, Alost.
dépréciation systématique de la langue maternelle - fût-elle moins limpide, moins propice aux échanges que l'autre. On a tout dit de cette question, sauf qu'il s'agissait d'une querelle d'honneur’ (p. 128). On a pourtant tout intérêt à prendre connaissance du deuxième volet de l'Histoire du sentiment national en Belgique de Stengers, ne fût-ce que parce qu'il suscite des réactions. Il convient cependant de le lire pour des raisons autres que celles mises en avant par l'auteur. Stengers, en effet, illustre surtout pourquoi la Belgique de 1830 ne pouvait rester ce qu'elle fut un jour, pourquoi les forces centrifuges ont pu se | |
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mettre en place et produire leurs effets si rapidement et faire évoluer la Belgique unitaire vers la Belgique fédérale compliquée que nous connaissons aujourd'hui. Se fondant sur un trésor de propos intéressants (fussent-ils principalement francophones), Stengers explique pourquoi l'antagonisme entre Flamands et francophones, les querelles idéologiques opposant catholiques et libéraux et, ultérieurement, le déséquilibre sur le plan économique entre le Nord flamand et le Sud wallon se révélèrent mortels pour la Belgique traditionnelle du xixe siècle. Il montre aussi à quel point c'étaient précisément ces oppositions-là qui ont dévoilé l'existence de deux peuples à l'intérieur des frontières de l'État belge. En ce sens, on peut affirmer à juste titre que la Flandre et la Wallonie sont des émanations de la construction belge - Stengers omet curieusement Bruxelles dans son ouvrage -, mais cela ne signifie aucunement que la Flandre et le cas échéant aussi la Wallonie étaient inexistantes longtemps avant que la Belgique n'existât en tant qu'État formel sur le plan politique. Peut-être la Belgique eût-elle pu mieux réussir si elle avait davantage pris connaissance de ces antagonismes, si tous ceux qui s'estimaient être porteurs de ‘l'âme belge’ s'étaient montrés disposés plus vite et plus résolument à admettre qu'il y a d'abord eu deux autres ‘États’ et puis seulement la Belgique. Et non l'inverse, comme Stengers s'est efforcé de démontrer. Marc Platel (Tr. W. Devos) jean stengers & éliane gubin, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, tome 2 (Le grand Siècle de la nationalité belge), Racine, Bruxelles, 2002, 203 p. |
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