Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdConter pour vivre:
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Le plaisir du jeu pur et simple, la présence physique non conventionnelle, le caractère international, le franchissement des limites des disciplines artistiques et le modèle de travail collectif sont autant d'aspects qui montrent que Radeis - sans qu'il s'en aperçoive peut-être lui-même - fut un des moteurs de l'innovation théâtrale des années 80 en Flandre. De Pauw était donc le seul acteur professionnel du groupe à ne cadrer dans aucune catégorie du décret sur le théâtre; aussi ne put-il prétendre à des subventions. Lorsqu'en 1978 Hugo de Greef, organisateur du Kaaitheaterfestival à Bruxelles, créa l'asbl Schaamte (Honte) qui plus tard fusionnera avec ledit festival en un seul centre artistique, le Kaaitheater, De Pauw et les siens s'y sentirent aussitôt chez eux. Il y fréquenta d'autres ‘ambassadeurs culturels’ tels qu'Anne Teresa de Keersmaeker (Rosas) et Jan Lauwers (Epigonentheater, plus tard Needcompany). Même après Radeis le Kaaitheater resta son principal port d'attache: un atelier familier où les artistes de scène pouvaient sans contrainte donner libre cours à leur créativité. De Pauw en éprouve toujours le besoin. Dans le contexte bruxellois du Kaaitheater, il collabora à différentes productions. Ainsi réalisa-t-il par exemple avec le cinéaste Peter van Kraaij plusieurs projets importants dont ses propres pièces dramatiques Ward Comblez. He do the life in different voices (1989) et Het kind van de smid (L'enfant du forgeron, 1990). Car après ‘le silence’ de Radeis vint la Parole. En 1991, ces deux pièces furent couronnées par le prestigieux prix d'État pour la littérature dramatique.
Josse de Pauw (o1952) (Photo D. Samyn).
Ce que l'acteur Josse de Pauw a de plus beau c'est en fait sa voix. Le son quelque peu nasal, la caresse des mots avant de les prononcer, la circonspection avec laquelle il les proclame, l'intimité poétique, accompagnés parfois d'un léger pathétisme et d'une certaine violence verbale... L'essence de sa théâtralité réside dans son art de l'élocution. Certes pas la déclamation, mais une capacité fascinante d'exprimer avec naturel toute la profondeur des mots. Dans une expression très imagée, très suggestive. En réalité, le ‘rôle’ qu'il incarne dans la pièce importe peu, car il est avant tout narrateur. Son ‘interprétation’, c'est la narration de son rôle. Et le fait de toujours rester lui-même n'est pas une entrave mais au contraire une manifestation fondamentale d'authenticité. De même, cette identification typique n'est pas source de monotonie. Bien au contraire. Le glissement perpétuel entre la personne, le personnage, le narrateur et l'acteur crée une transparence laissant place à l'ironie, la | |
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relativisation, l'étonnement, et allant généralement de pair avec une subtile stratification. Dans Ward Comblez, les ‘different voices’ témoignent notamment de la polyphonie intérieure de l'esprit avec laquelle De Pauw, en tant que personnage unique, conte son histoire. Les souvenirs de voyage exotiques sont une métaphore de la recherche d'un agité en quête de bonheur dans la fusion absolue avec la nature et la culture primitive. Son inquiétude est à la fois cause et conséquence de son amour (peut-être) perdu. Le passé et le présent convergent à de brefs moments de suspense qui se révèlent parfois pathétiquement poétiques... Une représentation qui respire l'honnêteté. Il en est de même pour Het kind van de smid. Ici, la polyphonie est tant intérieure qu'extérieure. Sur scène, De Pauw est entouré de trois autres comédiens. Ensemble ils forment différentes instances du discours qui collaborent à l'élaboration d'une partition narrative. Ils sortent de l'histoire, puis y reviennent, ne se perdant jamais dans un rôle empathique mais épousant littéralement leur personnage. L'histoire n'est pas jouée, ni simplement contée, elle est évoquée et donc vécue. C'est un récit historique sur les races, les migrants et la discrimination, sur la recherche et la préservation d'une identité, sur le choc entre l'expérience authentique et la violence imposée. Le texte est une mosaïque de formes linguistiques: extraits de journal, littérature indienne, témoignages, dialogues, lettres, discours. De la grande amitié qu'il éprouve à l'égard de son confrère et acteur/metteur en scène/écrivain néerlandais Tom Jansen naissent notamment des productions telles que De meid slaan (Frapper la servante, 1993) et Trots Vlees (Viande fière, de l'Américain James Purdy, 1995). Le jeu des voix évolue ici vers une tension plus dramatique, en ce sens qu'il s'agit cette fois d'un dialogue animé entre deux acteurs. Un jeu de rôle où les mots sont les armes d'une lutte pour le pouvoir. Du vrai théâtre d'acteur en somme. De plus, le récit oscille subtilement entre l'autobiographie et la fiction. Autre élément permanent dans l'oeuvre de De Pauw. De Pauw est un narrateur littéraire expérimenté. Pour preuve son dernier livre Werk (OEuvre), 400 pages qui recèlent quasiment l'entièreté de sa création littéraire de ces dix dernières années. Et c'est bien plus que du théâtre. Il est passionnant d'accompagner l'auteur à travers chaque page de ses rêveries, de ses réflexions, de ses récits de voyage ou de ses chroniques. Dans ses textes, de Pauw aime jouer avec les mots. C'est sa manière de percevoir la réalité et de la comprendre. Le sens du langage comme témoignage de son engagement. Car De Pauw a besoin du langage pour vivre. Mais le langage, c'est également le son et le musique. Pour de Pauw la musicalité de la communication fait toujours partie de la teneur d'un texte. Il compare volontiers sa manière de côtoyer les autres sur scène avec le jeu collectif des musiciens de jazz. Des projets tels que Weg et Larf (un concert dramatique) ne sont pas les fruits du hasard. Jadis déjà il s'employait à rechercher l'intégration parfaite de la musique, de l'action théâtrale et du texte. De Pauw met un soin jaloux à choisir les pièces et les rôles pour lesquels il s'engage. De même que pour les quelque 20 films qu'il a interprétés. Citons à titre d'exemple: Crazy Love (1987, Dominique Deruddere), Sailors Don't Cry (1988, MarcDidden), Wait until Spring, Bandini (1989, Dominique Deruddere), Just Friends (1993, Marc-Henri Wajnberg), Hombres Complicados (1997, Dominique Deruddere), Iedereen beroemd (Tout le monde célèbre, 2000, Dominique Deruddere)Ga naar eind(1). Depuis quelques mois, Josse de Pauw est directeur artistique de Het Net, l'ancien Theater de Korre à Bruges. Tout laisse à penser qu'il s'évertuera à y créer une structure ouverte au sein de laquelle il continuera d'explorer suivant sa propre dynamique, en toute liberté et avec les confrères qui lui sont chers l'interaction entre la musique, le théâtre narratif, le cinéma et les arts plastiques.
Fred Six (Tr. D. d'Haese) Voir Septentrion, XXII, no 3, 1993, pp. 45-47. |
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