Septentrion. Jaargang 30
(2001)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Et Ulenspiegel dit à Lamme: - Voici la grande cité, l'entier monde entasse ici ses richesses: or, argent, épices, cuir doré, tapis de Gobelin, draps, étoffes de velours, de laine et de soie; fèves, pois, grains, viande et farine, cuirs salés, vins de Louvain, de Namur, de Luxembourg, de Liège, Landtwyn de Bruxelles et d'Aerschot, vins de Buley dont le vignoble est près de la porte de la Plante à Namur, les vins du Rhin, d'Espagne et de Portugal; les vins de Bourgogne, de Malvoisie et tant d'autres; et les quais sont encombrés de marchandises. Ces richesses de la terre et de l'humaine besogne attirent en ce lieu les plus belles filles-folles qui soient. (...) Regarde, dit Ulenspiegel à Lamme, cette maisonnette tout en bois, avec de belles croisées bien ouvrées et fenestrées de petits carreaux; considère ces rideaux jaunes et cette lanterne rouge. Là, mon fils, derrière quatre tonneaux de bruinbier, d'uitzet, de dobbel-kuit et de vin d'Amboise, siège une belle baesine, de cinquante ans ou davantage; sur l'un des tonneaux brille une chandelle, et il y a une lanterne accrochée aux solives du plafond. Il fait là clair et noir, noir pour l'amour, clair pour le payement. (...) Lamme voyant tant de femmes à la fois, brunes et blondes, fraîches et fanées, fut honteux; baissant les yeux, il s'écria: Ulenspiegel, où es-tu? - Il est très-passé, mon ami, dit une grosse fille en le prenant par le bras. - Très-passé? dit Lamme. - Oui, dit-elle, il y a trois cents ans en la compagnie de Jacobus de Coster van Maerlandt. (...) Soudain la baesine qui se tenait entre ses deux chandelles, parla d'une voix forte et menaçante: commères et fillettes, dit-elle, je vous jure mon grand diable que si, dans un moment, vous n'avez point, par rire et douceur, mené cet homme à bien, c'est à dire dans votre lit, j'irai quérir les gardes de nuit et vous ferai toutes ici fouetter à sa place. Vous ne méritez point le nom de fille d'amoureuse vie, si vous avez en vain la bouche leste, la main libertine et des yeux flambants pour agacer les mâles, ainsi que font les femelles de vers luisants qui n'ont de lanterne qu'à cet usage. Et vous serez fouettées sans merci pour votre niaiserie. Lamme alors considérant la fillette dit: j'aime mieux te choisir que de te savoir battue. La fillette l'emmena; ainsi pécha-t-il, comme il fit toute sa vie, par bonté d'âme. Extrait de ‘La Légende d'Ulenspiegel’, Maurice Lamartin Éditeur, Bruxelles, 1926, pp. 249-255. |
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