Aux côtés de Kamehamaha Ier, le premier roi d'un Hawaii unifié, figure un Européen: le père Damien (1840-1889). Les Hawaiiens considèrent depuis longtemps ce missionnaire comme un saint, du fait de sa vie au service des lépreux. En 1995, il a été déclaré tel, dans son village natal de Tremelo (Brabant flamand).
Au fil du temps, la vie du père Damien a passionné bien des historiens. La biographie récente publiée par l'historienne louvaniste Hilde Eynikel présente un grand avantage. Son auteur a pu également consulter les archives hawaïennes; aussi son ouvrage offre-t-il une image nuancée de cet ecclésiastique. En outre, contrairement à ses prédécesseurs, Hilde Eynikel ne tombe guère dans l'hagiographie. Le père Damien décrit, avec toute la rigueur scientifique voulue, la vie passionnante d'un être humain: un homme animé de grands idéaux mais qui avait également ses petits côtés.
Le père Damien s'appelait en réalité Jozef de Veuster. Scolarisé jusqu'à treize ans, il fut ensuite contraint de travailler dans la petite ferme de son père. Mais le jeune Jozef nourrissait de tout autres ambitions. Le jour de ses 19 ans, il entra au couvent des ‘Picpus’ à l'instar de son frère aîné Auguste. Jozef envisageait de prendre en religion le nom de Damien, en souvenir d'un jeune médecin qui avait subi le martyre au IVe siècle. Après sa formation à Issy et à Paris, Damien reçut les ordres mineurs préparant à la prêtrise.
En mars 1864, Damien débarqua à Honolulu, capitale d'Hawaii, où il serait ordonné prêtre quelques mois plus tard. Un des grands problèmes auxquels se trouvaient confrontés les Hawaiiens était la lèpre, qui se propageait à la vitesse de l'éclair. Les lépreux étaient contraints de se retirer à Kalaupapa-Kalawao, une langue de terre inhospitalière et quasiment inaccessible au nord de l'île de Molokai. En 1873, Damien fut envoyé à Kalawao pour y fonder une communauté chrétienne. Sa venue rendrait plus supportable les dernières années de vie de nombreux lépreux. Il fit en particulier bâtir une
église et un petit port, assura l'approvisionnement en eau et conçut un couvert pour lépreux, car la plupart des habitants de Kalawao n'avaient plus de doigts. Trois ans plus tard, Damien succombait lui aussi. Il fut enterré à côté de son église, mais près d'un demi-siècle plus tard sa dépouille mortelle fut rapatriée en Belgique.
Ayant eu accès à un très large corpus de sources comprenant notamment une foule de lettres intéressantes, de notes de journal et de témoignages écrits de collaborateurs et de supérieurs, Hilde Eynikel a réussi à brosser un tableau assez nuancé de la personnalité de Damien. C'était un homme optimiste, impétueux, un catholique à la pensée libérale pour l'époque, plein de respect pour les autres formes de croyance. Ce missionnaire n'était pas un vulgaire sauveur d'âmes pétri de paternalisme. Il se souciait davantage que d'autres missionnaires placés dans des circonstances analogues des