Septentrion. Jaargang 29

Littérature

Gerrit Komrij, le ‘poeta laureatus’ des Pays-Bas

Les Pays-Bas disposent depuis peu d'un authentique ‘poeta laureatus’. L'idée de créer cette fonction est copiée de l'Angleterre où le gouvernement a nommé en 1999 le dix-neuvième ‘poète de cour’ depuis 1668. Sa tâche consiste à écrire des poèmes pour la famille royale et à solenniser en vers un large éventail de sujets

Theo Daamen, portrait de Gerrit Komrij (^o1944), huile sur toile, 120 × 90, ‘Letterkundig Museum’, La Haye.

nationaux. Fin août 1999, la fondation néerlandaise Poetry International (en collaboration avec le journal du soir NRC Handelsblad et la télévision néerlandaise) a lancé un scrutin public. Plus de trois mille amateurs de poésie ont désigné, surtout via Internet, le poète qui leur paraissait le meilleur candidat. Le 26 janvier 2000, à la veille de la Journée nationale de la poésie, on a révélé le nom du vainqueur au cours d'un programme télévisé spécial.

Contrairement à son collègue anglais, l'heureux élu est donc un ‘Poète de la Patrie’ démocratiquement élu, sans approbation royale. Son ‘mandat’ est de cinq ans. Au moins quatre fois par an, il publiera dans le NRC Handelsblad un poème consacré à un événement (inter)national de son choix, qui ne doit pas forcément être un mariage royal. Le changement de saison peut également lui inspirer un sonnet. Ce qui est important, c'est que le poète choisi entre tous soit parfaitement libre de ses

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choix et soit en tout temps un ambassadeur de la poésie.

Le vainqueur est le poète Gerrit Komrij (^o1944) qui habite le Portugal depuis 1984. En 1993, ses considérations en prose lui ont valu le prix P.C. Hooft, prix prestigieux entre tous au sein de la néerlandophonie. Mais pour les cinq années à venir, il sera le visage de la poésie néerlandaise, fonction que personne n'a remplie avant lui. J'ai écrit plus haut le ‘poète’ Komrij. Mais il s'est tout autant distingué dans presque tous les autres genres littéraires; il a également été traducteur, chroniqueur, critique d'ouvrages en prose et en vers, romancier, dramaturge et anthologiste. A vrai dire, il sait tout faire.

Komrij se présente depuis ses débuts en 1968 comme un poète à la technique solide et au style plutôt traditionnel; le romantisme (avec sa décadente nocturnité) a longtemps constitué la grande source d'inspiration de sa poésie souvent badine. Les sonnets, il semble les sortir à la demande de son chapeau. Le grand public, qui fuit la poésie hermétique et l'expérimentation linguistique monomaniaque, fera bon accueil à ses poèmes d'une grande rigueur formelle, dignes du xix^e siècle. La poésie de Komrij est plus extravertie que riche d'intériorité. La mascarade a souvent été une seconde nature dans son oeuvre, mascarade doublée d'une virtuosité et d'un métier de rhétoricien moderne. Il est non seulement familier des dates-butoirs qu'impose le journalisme et l'un des rares poètes capables de réagir instantanément à l'actualité. Il a également longtemps et largement prouvé qu'il est à la hauteur de la tâche. En 1999, Komrij a en effet publié son poème hebdomadaire dans le quotidien Algemeen Dagblad: chaque lundi un sonnet façon Komrij ornait la première page du journal.

Lui-même s'estime d'abord et avant tout poète, mais il n'a été pleinement reconnu qu'après la parution de ses grandes et magistrales anthologies poétiques. De Nederlandse poëzie in 1000 en enige gedichten (La poésie néerlandaise en mille et quelques poèmes, 1979) est considéré comme un ouvrage de référence, indispensable à qui veut embrasser l'ensemble de la poésie néerlandaise. Les deux tomes ultérieurs de poésie néerlandaise ancienne et sa colossale anthologie de la poésie sud-africaine constituent également une inappréciable contribution à la tradition littéraire néerlandaise. Seul un homme qui vit pour la poésie était capable d'une telle prouesse de chevalier servant. Aussi sa nomination de premier Poète de la Patrie est-elle, pour le poète Komrij, un hommage pleinement mérité.

Jeroen Vullings

(Tr. J. Fermaut)

Voir Septentrion, XX, n^o 3, 1991, pp. 9-19.