Rutger Kopland (o1934) (Photo Marc Samyn).
qualifia naguère de formalistes, mais il n'est pas pour autant un poète facile, encore moins un styliste négligé. Au contraire, son art poétique est d'une belle complexité que l'on ne saisit pas nécessairement du premier coup. Il peut se définir approximativement de trois manières:
1) Le poème et son expérience (l'expérience de sa conception et de son élaboration) ne sont pas destinés à exprimer un déjà-là, mais à ‘désenclaver quelque chose’, à re-connaître ‘une partie inconnue’ de nous-mêmes et à produire ainsi - paradoxe de la poésie saisi déjà dans le titre du livre - des ‘souvenirs de l'inconnu’. Il s'agit d'ouvrir une porte sur une perception autre du réel, laquelle s'avère une nouvelle porte à ouvrir, et ainsi de suite. Toute question et toute perception bien formulées l'emportent ainsi sur toute ‘réponse’, puisqu'il nous faut à chaque coup (à chaque poème), selon la belle formule de Kopland, ‘exprimer quelque chose qui est loin d'être prêt’.
2) Pratiquer un tel art poétique (voyez le premier poème du recueil), c'est agir à l'encontre des grandes abstractions et saisir les êtres et les choses ‘avec la plus grande minutie’ (p. 17).
3) Saisir quoi précisément? Des émotions aussi précises que difficiles; l'enfance proche et lointaine; l'amour à l'épreuve de la durée; mais, surtout, tout ce qui tend à échapper à la valeur marchande généralisée et toute-puissante, autrement dit: ce qui est là, ce qui existe et n'est pas de prime abord rentable, même si la société n'hésitera pas tôt ou tard à l'exploiter: d'abord les enfants et les vieux (lisez le poème p. 81, digne de Baudelaire); ensuite, les animaux dits domestiques (chiens, chats, chevaux, moutons, poules) dont la proximité avec l'homme interroge sans cesse une frontière souvent perçue comme embrouillée, problématique, émouvante et drôle. ainsi dans cet admirable ‘Autoportrait comme cheval’:
Quand j'étais encore un cheval dans un pré
je dois avoir habité dans son corps,
dans ses yeux, avoir vu ce qu'il voyait
que cette vie ne commencerait jamais,
ne finirait jamais, ni ne reprendrait
je dois avoir quitté son corps
mes souvenirs sont restés en lui
Vous êtes devant la clôture d'un pré et vous
voyez de l'autre côté un cheval
approchez, parlez-lui, regardez-le
merci, il va vous entendre, vous voir en face.
Ajoutons-y enfin les éléments naturels, telle cette eau subtilement exprimée en plusieurs poèmes (p. 63 et sv.) qui, si l'on peut dire, semblent ‘couler’ les uns dans les autres.
A ces éléments et à ces êtres, le monde oppose un déni brutal; quant au langage, il leur offre trop