récit. A la fin de la première pièce est prédite ‘la mère de toutes les guerres’. Elle engendrera une accumulation infinie de haine, de chaos et d'horreur à travers laquelle, génération après génération, s'entretueront des pères, des fils, des frères et des cousins.
Lanoye et Perceval ont inscrit leurs données dans le cours de l'histoire culturelle. Le premier épisode - Richaar Deuxième (Richard II) et Hendrik Vier (Henri IV) - évoque la phase médiévale. Sous le couvert d'idéaux élevés sévit une lutte pour le pouvoir entre des pères et des fils. La femme joue à peine un rôle dans ce monde d'esprits mâles ‘éclairés’ Dans le second épisode - Hendrik de Vijfden (Henri V) et Margaretha di Napoli (Marguerite de Naples) -, la femme pénètre dans toutes les constellations et l'ego part pleinement à la recherche de sa propre vérité: c'est la Renaissance. Le troisème épisode - Edwaar the King (Le roi Édouard) et Risjaar Modderfokker den Derde (Richard Nique-ta-Mère III) nous conduit en ligne droite vers l'autodestruction complète de l'être humain. Sur le plan du contenu et du style, cette représentation culmine dans un cataclysme universel. Voilà les marques du xxe siècle.
Donner forme à une telle évolution dans le cadre d'une seule représentation marathon suppose notamment un décor simple. L'‘espace vide’ polyvalent comportant trois planchers subit des métamorphoses scéniques diverses grâce à un éclairage dynamique qui ouvre tous les registres. Il s'agit d'une grandiose scène unique où le souverain féodal se métamorphose en maffieux. Il y a une évolution évidente dans les costumes, le jeu, et surtout le langage.
Dans le cycle entier, le vers iambique n'est jamais très loin. Au début, les vers résonnent comme une adaptation classique puissante. Ils reflètent l'inviolabilité et la dignité du roi, l'oint de Dieu. Ce langage quasi ritualisé, toutefois, est assez vite mis à mal par des vers irréguliers, et un jargon injurieux s'insinue prudemment de temps à autre, qui, par divers canaux, aboutira à une trivialité linguistique décadente. Richard III, monstrueux tant du point de vue physique que mental, devient en plus, dans la représentation, un monstre crapuleux sur le plan linguistique, qui finalement éclate en un dégueulis verbal. Dans le troisième épisode, les fils du duc de York prisent de la coke. ‘Who de fok has made a rolling stone of daddy York?’ (Quel est le foutu imbécile qui a fait un rolling stone de daddy York?), crient-ils, délirant autour du crâne exposé de leur père. Ils truffent richement leur langage de mots anglais, mais cet amalgame de slang, pop et hiphop débité au rythme de la culture des vidéoclips étale davantage d'esbroufe que de contenu.
Dans la pièce de Shakespeare, Richard III dit de la reine Élisabeth: ‘relenting fool and shallow changing woman’ (Folie qui fléchit! Femme futile et changeante!). Dans la bouche de l'acteur-étoile Jan Decleir (o1946, Richard), cela devient: ‘you motherfokking silly stupid cow, bescheten blasted bloddie buggered bitch’ (Toi foutue folle vache stupide, foutue merdeuse damnée catin enculée). Réécrire Shakespeare de la sorte, introduire très opiniâtrement un langage propre et contemporain sans trahir l'esprit de l'écriture originale témoigne de culot et d'une puissante inventivité linguistique.
Hendrik de Vijfden (Henri V), une rapide énumération de scènes, est présenté par Perceval et Lanoye comme un vulgaire western. La Cour française est une bande de loufoques et l'intervention de son armée une bouffonnerie. Les jeunes York sont des gangsters. Mais l'une des trouvailles les plus remarquables est La Falstaff, combinaison de la Nourrice, de la Déesse Mère, du Travesti et de la Diva. Pour Henri IV, La Falstaff représente une culture subversive, mais le dauphin tombe sous la coupe de cet homosexuel qui le drague et l'auréole. Quand, par la suite, devenu Henri V, il se défait de sa (La Mamma) Falstaff, c'est comme si nous, et l'histoire humaine avec nous, retombions au stade de la puberté. Il faut se construire un nouvel Ego. A partir de ce moment-là, la femme aussi se met à