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[Nummer 4]
Dirck Bouts, ‘Le chemin du paradis’, huile sur bois, 115 × 69,5, vers 1450 (Photo RMN).
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L'art de Flandre et des Pays-Bas au Palais des Beaux-Arts de Lille
La rénovation du Palais des Beaux-Arts de Lille a suscité des commentaires très louangeurs dans la presse européenne à l'occasion de sa réouverture début juin 1997. On y voyait même l'un des derniers ‘grands travaux’ de feu le président François Mitterrand. Historiquement, c'est peut-être inexact, mais l'idée seule témoigne déjà de la ‘majesté’ que rayonne le musée réaménagé.
Précédemment, le musée bénéficiait par ailleurs déjà d'une grande réputation, principalement grâce à son importante collection de tableaux flamands et à un cabinet des dessins aussi impressionnant qu'inattendu (dans un musée hors de Paris), qui possède des feuilles de la Renaissance italienne, des plus grands artistes que sont Raphaël, Da Vinci, Michel-Ange, etc. Il doit cette richesse à un artiste peintre lillois, Jean-Baptiste Wicar, qui, avec son maître Jean-Louis David, partit en 1784 pour l'Italie, où il connut une longue et fructueuse carrière en tant que peintre certes non dépourvu de mérites et en tant que collectionneur presque génial surtout de dessins et également de tableaux. En 1834, Wicar légua sa collection au musée de sa ville natale, en signe de gratitude pour l'aide et l'appui dont, jeune artiste, il y avait bénéficié. En Italie, Wicar n'acheta pas que de l'art italien; sa collection comportait aussi une série de gravures de Lucas de Leyde (1494-1533) et d'Albert Dürer, à côté de dessins notamment de Gerrit van Honthorst (1590-1656) et de Dürer (Portrait de Lucas de Leyde, réalisé lors de son voyage dans les Pays-Bas en 1521).
Le musée de Lille a présenté dès le début des oeuvres flamandes. Lorsque le peintre Louis Watteau (à ne pas confondre avec son célèbre homonyme de Valenciennes: Antoine Watteau) émit en 1792 la proposition d'ouvrir un musée qui exposerait les tableaux provenant des églises spoliées lors de la Révolution française, il s'agissait en grande partie de toiles flamandes. Les églises lilloises en possédaient en effet beaucoup. En 1809, ce musée, incorporé jusque-là dans l'École des Beaux-Arts, déménage à l'ancienne église des récollets, à l'occasion du dépôt, par l'État, de 46 oeuvres (saisies révolutionnaires ou butin de guerre) provenant du Louvre et de Versailles. En faisaient partie des oeuvres flamandes et hollandaises remarquables, notamment de Pierre-Paul Rubens (1577-1640) et de Gaspard de Crayer (1582-1669).
Édouard Reynart, conservateur le plus entreprenant du XIXe siècle et actif entre 1841 et 1879, acquiert un certain nombre de toiles qui font toujours partie des oeuvres maîtresses du
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Jan Sanders van Hemessen, ‘Vanité’, huile sur bois, vers 1550 (Photo RMN).
musée: Le chemin du paradis, un panneau de Dirck Bouts (vers 1420?-1475), La tentation de saint Antoine de David II Teniers (1610-1690), Portrait d'une vieille femme de Frans Hals (1581/1585-1666) (attribué depuis à un disciple et intitulé Femme assise) et les deux tableaux de Francisco Goya, qui sont peut-être les deux tableaux les plus connus du musée de Lille: Les jeunes et Les vieilles. Reynart réussit aussi à obtenir deux donations très importantes. En premier lieu celle d'Alexandre Leleux, propriétaire du journal lillois L'Écho du Nord, comprenant 122 oeuvres provenant presque toutes de Flandre ou de Hollande, notamment: Jeune femme et sa servante de Pieter de Hooch (1629-1677), Le dépècement du porc d'Isaac van Ostade (1621-1649), Le champ de blé de Jacob van Ruisdael (1628-1682) et un Bouquet de fleurs de Roelandt Savery (1576-1639). La deuxième donation provenait d'Antoine Brasseur, marchand d'art de Cologne originaire de Lille, comprenant notamment Vue imaginaire du
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Pierre-Paul Rubens, ‘Descente de croix’, huile sur toile, 425 × 295, 1616-17 (Photo RMN).
Colisée en ruines de Maerten van Heemskerck (1498-1574) et Jeune homme dans son étude, dit La mélancolie de Pieter Codde (1599-1618). Brasseur donne également beaucoup d'argent au musée, ce qui permet d'acheter par la suite des oeuvres de Jan Cornelisz Verspronck (1597-1662), d'Emmanuel de Witte (1617-1692) et de Jacob Jordaens (1593-1678)! Reynart, à son tour, donne au musée un joli montant grâce auquel on peut acquérir un triptyque flamand attribué jadis à Hans Memling (1430/1440-1494) et considéré de nos jours comme l'oeuvre d'un maître brugeois que l'on désigne par le joli nom de ‘maître au feuillage en broderie’. Reynart était ainsi l'un des premiers conservateurs du xixe siècle à manifester un goût prononcé pour les primitifs flamands.
Au xxe siècle également, on acheta encore de l'art flamand. Ainsi, Albert Châtelet,
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conservateur du musée dans les années 1960 et spécialiste des primitifs hollandais, acquit notamment une Mise au tombeau de Pieter Lastman (1583-1633), le maître de Rembrandt (1606-1669). L'actuel conservateur, Arnaud Brejon de Lavergnée, put acquérir une extraordinaire Vanité de Jan Sanders van Hemessen (vers 1500-1563) ainsi que des oeuvres de Simon de Vos (1603-1676), Le martyre de saint Philippe, une intéressante et troublante Scène de suicide d'un caravagiste hollandais resté anonyme, un Portrait d'homme de Gerard ter Borch (1617-1681), etc.
Le musée de Lille a depuis toujours consacré une attention particulière à l'art flamand et hollandais, auquel il continue à réserver beaucoup de place dans le magnifique agencement actuel. Le visiteur qui monte au premier étage pour regarder la collection de tableaux se trouve tout de suite devant une Descente de croix (1616-17) de Rubens, retable de plus de 4 mètres de haut provenant du couvent des capucins de Lille, qui fut également l'une des premières pièces de la collection. Le tableau a été restauré, avec beaucoup d'autres, spécialement en vue de la réouverture du musée. Le spectateur pourra donc en admirer non seulement la composition souple et fluide mais sera à nouveau enchanté par l'exceptionnelle richesse du coloris. Dans la même salle, il peut voir encore une esquisse de Rubens en vue du même tableau, à côté d'une oeuvre de De Crayer sur le même sujet.
La première salle à l'étage est entièrement consacrée à la peinture baroque flamande. Au total, il y a quatre salles de peinture flamande (xvie et xviie siècles) et une galerie de peinture hollandaise (principalement du xviie siècle). L'ensemble non négligeable de primitifs flamands est intégré au département Moyen Age et Renaissance, installé au sous-sol. On y présente aussi bien la peinture que la sculpture ainsi que toutes sortes d'objets décoratifs et utilitaires. Il y a même une section consacrée à L'art de vivre dans une ville flamande au Moyen Age. La continuité de la peinture flamande de Bouts à Rubens et Antoine van Dyck (1599-1641) telle qu'elle ressortait de l'agencement antérieur aux travaux de rénovation est maintenant plus difficile à déceler. Dans la section Moyen Age, on trouve donc les deux panneaux de Bouts, des oeuvres de maîtres anonymes comme celui de L'adoration de Lille, celui ‘au feuillage en broderie’, etc. On y voit aussi plusieurs oeuvres (retables) des ‘maniéristes’ anversois, tel le Triptyque de l'adoration des mages de Jan van Dornicke (actif entre 1505 et 1522) et autres. On peut maintenant les comparer avec des oeuvres de la même période de la France du Nord (Jean Bellegambe), de l'Allemagne et de l'Italie, ce qui était impossible précédemment. Il y a cependant un certain chevauchement avec la salle consacrée au maniérisme au premier étage. L'une des sculptures les plus populaires (au xixe siècle), Buste d'une jeune fille, dite
La tête de cire, amenée d'italie par Wicar et attribuée à François Duquesnoy (1594-1642), se trouve maintenant un peu à l'écart dans l'une des pièces du soussol, comme si on ne savait pas très bien où la mettre. Il est par ailleurs manifeste que le musée joue la carte de la transparence pour ce qui est de certains cas à problèmes; par-ci par-là, en effet, des attributions flatteuses ont disparu ou s'accompagnent de commentaires critiques.
Dans la grande salle à la Descente de croix de Rubens se trouve également un Triptyque de
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Le nouveau bâtiment lame du Palais des Beaux-Arts de Lille qui abrite entre autres les bureaux administratifs (Photo Emmanuel Watteau).
saint Pierre de Vérone d'un peintre d'Ypres quasiment inconnu, Jeremias Mittendorf (actif vers 1620-1640). Le panneau central provient d'une saisie lors de la Révolution française, les deux panneaux latéraux constituent un dépôt de la galerie parisienne Aaron, de sorte que l'on peut voir pour la première fois l'ensemble. Ce détail montre avec quel soin a été réalisé le nouvel agencement.
Dans la salle suivante, consacrée au maniérisme, on voit La résurrection de Lazare, une des oeuvres principales de Joachim W(Uy)tewael (1560-1638) d'Utrecht, oeuvre intéressante dans le cadre du dialogue artistique entre l'Italie et les Pays-Bas, encore évoqué à d'autres endroits du musée, jusque dans la galerie italienne, où sont accrochées deux oeuvres de Lambert Sustris (1515/1520-1568). On y trouve également six petites grisailles, des esquisses, d'Otto Venius (1556-1629) et, dans la même technique, une petite oeuvre quelque peu macabre de Dirk Barendsz (1534-1592), Les morts sortent de leurs tombeaux. Et il y a encore nombre d'autres découvertes à faire, telles que l'extrêmement énigmatique Portrait d'un peintre, toujours attribué à un Flamand anonyme, à l'oeuvre en Italie.
Ensuite, il y a la salle aux grands retables de Rubens, Van Dyck, Jordaens, Jan Boeckhorst (1605-1668), etc., salle pleine d'oeuvres monumentales qui doit être assez unique à l'étranger et ne peut probablement être comparée qu'avec certaines salles du Musée des Beaux-Arts d'Anvers. Le Christ en croix de Van Dyck est presque aussi grand que la Descente de croix de Rubens et a été entièrement nettoyé. Il provient du couvent des récollets, qui a joué un rôle
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considérable dans la naissance du musée. Intéressant également Le martyre de saint Maurice d'Agaune et de ses compagnons de Van Boeckhorst, autre commande destinée à une église de Lille et comportant des éléments chers à Rubens et Van Dyck en des couleurs remarquablement claires.
La salle des ‘disciples de Rubens’ - formule quelque peu trop généralisatrice - constitue un véritable trésor, et les murs élevés sont remplis jusqu'en haut. A côté de noms connus tels que Pieter Boel (1622-1674), avec Allégorie des vanités du monde, on y voit de petites scènes de chasse de Simon de Vos (1603-1676) et des grandes de Frans Snijders (1579-1657), des vues urbaines italiennes du peintre peu connu Anton Corban et de Pieter van Bredael (1603-1676), un joli Bal sur la terrasse d'un palais de Hieronymus Janssens (1624-1693) et, peut-être à titre de diversion au milieu de cette abondance anversoise, un charmant Portrait de l'épouse du peintre Marie de Haen de Hieronymus Nipho (actif vers 1640-1650), peintre amateur à la cour de Léopold-Guillaume, et un Portrait de Philippe Le Roy par Victor Boucquet (1619-1677), un peintre quasi inconnu de Furnes.
La galerie de peinture hollandaise du siècle d'or ne comporte bien sûr pas de grands formats (retables). Nombre d'oeuvres d'Emmanuel de Witte, Pieter de Hooch, Frederik de Moucheron (1633-1686) et d'autres ont été restaurées grâce à l'aide financière d'entreprises locales. A côté de grands noms tels que Ruisdael, Van Ostade, Codde, Gerbrand van den Eeckhout (1621-1674), on y voit des oeuvres d'artistes pour ainsi dire inconnus tels que Jacob Sibrands Mancadam (1602-1680), avec un Paysage, prêt d'un particulier.
Le musée de Lille a par ailleurs toujours continué à porter un intérêt particulier à l'art flamand, y compris celui du xxe siècle. Tel était déjà le cas précédemment, car on pouvait y voir Le verger au printemps d'Émile Claus (1849-1924) parmi les toiles des impressionnistes. Maintenant, le Musée national d'art moderne/Centre Georges-Pompidou a prêté L'étable (1933) de Constant Permeke (1886-1952) ainsi que le Portrait de Mme Moreau Wouters de Rik Wouters (1882-1916). Ces toiles ont été accrochées à quelques pas seulement de Goya et côtoient celles de Pablo Picasso et d'Édouard Pignon: on ne saurait démontrer plus clairement que le musée de Lille considère l'art flamand comme l'un de ses grands atouts.
JOOST DE GEEST
Attaché culturel du Crédit communal à Bruxelles.
Adresse: Erf de Keizer 23, B-1652 Alsemberg.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.
Adresse: Palais des Beaux-Arts de Lille, Direction relations extérieures et développement, place de la République, F-59000 Lille. Tél. +33 (0)3 20 06 78 18. |
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