et, tout à la fin, chez quelques-uns, la préoccupation du bien-être de l'État et du peuple.’ Ruys nous brosse un tableau vraiment impitoyable de la politique belge. Le fait que cet ouvrage connaisse un grand succès de librairie illustre parfaitement le climat de mécontentement assez généralisé que suscite actuellement la politique en Belgique.
Le lecteur qui s'attendait à ce que cet observateur privilégié de la politique belge vende la mèche reste toutefois sur sa faim. Tout au plus l'auteur se livre-t-il à quelques indiscrétions sur ses conversations avec feu le roi Baudouin. A ce propos, il fait même état des écarts conjugaux de l'actuel couple royal Albert et Paola. Pour le reste, cet aperçu de la politique belge depuis 1945 ne nous apprend vraiment guère de choses nouvelles. La question royale (1945-50), la lutte scolaire (1954-58), les grèves de 1960-61, les querelles linguistiques autour de l'université de Louvain (1966-68) ont déjà fait l'objet de nombreuses études et publications. Le processus décisionnel politique a également déjà été analysé de manière systématique. Selon Ruys, les décisions les plus importantes ne sont pas prises par le Parlement mais au sein d'un certain nombre de cénacles obscurs: la haute finance, les partis politiques, les interlocuteurs sociaux, la loge et l'Église. Ruys va même jusqu'à ranger le mouvement féministe parmi ces pouvoirs occultes, ce qui est franchement absurde: le nombre de femmes au niveau des fonctions dirigeantes est tellement minime qu'elles sont bien obligées de former des réseaux pour pouvoir survivre dans un environnement hostile dominé par des hommes. Ruys se rallie à l'analyse faite par le sociologue louvaniste Luc Huyse: les différences idéologiques entre les groupes de pression structurés sur la base du compartimentage idéologique traditionnel se sont estompées, et les groupements politiques cherchent avant tout à préserver leur pouvoir: ces centres de pouvoir vivent en symbiose.
Ruys a vécu de près, comme témoin oculaire,
Manu Ruys (o1924).
en 1960, l'accession à l'indépendance du Congo belge, l'actuel Zaïre, et il analyse les événements d'une manière particulièrement aiguë. L'attitude adoptée par la Belgique se caractérisait par la légèreté, l'incapacité, le dilettantisme et la lâcheté. L'aide au développement mise en place par la Belgique depuis les années 60 témoignait elle aussi d'une approche amateuriste et bâclée. Aussi Ruys estime-t-il que la Belgique porte une très lourde responsabilité dans le gâchis où sombre actuellement son ancienne colonie.
Ruys était posté à la Chambre des représentants. Du Parlement belge, il dit: ‘je l'ai vu malade, puis moribond, puis agonisant’. Son analyse se caractérise cependant par une certaine contradiction. Il décrit comment toutes les opérations de pacification couronnées de succès des quarante dernières années ont été mises au point en dehors du Parlement, lors de négociations et de tables rondes discrètes. Alors que des manifestations turbulentes défilaient dans la rue et que même au Parlement les esprits s'échauffaient, c'était le consortium autoritaire qui élaborait et apportait finalement une solution de compromis.