K. Schippers (o1936) (Photo Bert Nienhuis).
scène initiatique qui avait fait de lui un poète. A l'époque en question, il travaillait dans une banque. Un beau jour, alors qu'il regardait dehors, il vit un homme monter dans une voiture, la mettre en marche et se mettre en route. Il se retrouva dans un état de stupéfaction qui l'amena directement au thème du poème De autobezitter (Le propriétaire de l'auto) dans lequel il évoque la scène en question ‘Un homme monte dans sa voiture / effectue les manoeuvres qu'il faut pour la mettre en route et de fait / ceci fait / se met / en effet / en route.’
‘En effet’ est la clé qui ouvre sur cette stupéfaction. Conduire est une des nombreuses activités routinières dont le quotidien est fait. Nous les effectuons machinalement, Schippers a été subitement arrêté par une image tirée de la vie de tous les jours, et qu'on ne relève même plus. Son oeuvre porte une marque sans cesse réactualisée de ce choc. A tout instant, il confronte son lecteur à la question: à bien réfléchir, qu'est-ce que je vois quand je regarde?
D'ordinaire, les conséquences des actes dont il est question ici ne soulèvent aucun problème. Dans ce poème, la présence de ‘en effet’ ouvre un précipice sous nos yeux. Bien qu'on reste dans l'ordre normal des choses et bien que la voiture démarre, le recours à cette tournure nous indique qu'elle aurait tout aussi bien pu rester sur place. La poésie de Schippers est imprégnée de l'idée que les conventions sur lesquelles notre monde repose sont branlantes et périssables.
K. Schippers fonda la revue Barbarber avec G. Brands (o1934) et J. Bernlef (o1937). Dans ces pages, ils s'adonnèrent à un genre de littérature considérée comme une réaction aux remous littéraires et sociaux provoqués par les ‘Vijftigers’ (Génération des années 50). Ils s'y montraient moins exubérants que la génération des Lucebert (1924-1994), Vinkenoog (o1928), Andreus (1926-1977) et autres Kouwenaars (o1923) - moins ‘littéraires’. Néanmoins, à l'instar des ‘Vijftigers’, ils avaient en Dada une orientation internationale. K. Schippers n'a jamais fait mystère de l'admiration qu'il vouait à K. Schwitters et à Marcel Duchamp.
Barbarber fut entre autres choses le lieu d'objets trouvés linguistiques et de ready mades. On mit en relief dans cette revue littéraire des lettres rédigées par des analphabètes, des textes publicitaires, diverses inscriptions. Une telle démarche habille la littérature d'une note ordinaire. En ce qui concerne Schippers, il faut voir là une volonté polémique. Dans son premier recueil De waarheid als de koe (Une lapalissade, 1963), il note: ‘Nombreux sont les poètes qui tentent d'être plus poétiques que les sujets dont ils traitent.’
Une chose qui ne lui arrive pas. Lui recherche autre chose. Dans Verplaatste tafels (Des tables déplacées, 1969), nous trouvons le poème ‘Puzzels’. Il y décrit les multiples façons de faire un puzzle: à partir d'une photo, d'un puzzle, d'une photo de ce puzzle, etc. Il en arrive à constater à un moment donné que ‘faire un puzzle c'est finalement faire problème de tout’.
C'est ce que Schippers entend faire, de tout, et principalement des choses les plus ordinaires.