Septentrion. Jaargang 25
(1996)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdUne ‘entreprise de relecture’:
| |
[pagina 80]
| |
pouvoir apprécier à leur juste valeur les contributions de Jean Robaey ou de Marc Dominicy. Dans Pratique verhaerenienne du rythme et de l'image: une interprétation, le premier aboutit à la conclusion que Verhaeren se distingue des symbolistes par sa fidélité au vers français dans ce qu'il a de plus spécifique - la mesure binaire - et par son recours massif d'une part à l'allégorie, de l'autre à la comparaison. L'analyse métrique que le second nous propose du petit cycle Statues des Villes tentaculaires, révèle une tendance globale chez notre poète ‘à privilégier les mètres qui se décomposent en deux sous-vers égaux de 4 ou de 6’ (donc à maintenir ou reprendre des règles ou des contraintes traditionnelles), tendance à laquelle une variabilité parfois déroutante dans les organisations strophiques fait contrepoids. Laissant de côté la sensibilité et l'esthétique fin de siècle qui y sont encore perceptibles, Myriam van der Brempt se livre à une relecture intéressante et claire du célèbre Passeur d'eau, axée sur l'organisation interne du texte. Plusieurs auteurs s'attachent à mesurer les influences subies par le poète et à définir l'inventivité avec laquelle il les a assimilées. Dans sa contribution, Michel Biron examine comment Verhaeren a su ranimer l'image crépusculaire des villes monstrueuses, devenue un cliché d'époque. Contrairement au discours social de la révolte, il fait des villes pour lesquelles il inventa le néologisme ‘tentaculaires’ un espace de ‘reterritorialisation’, une Ville avec majuscule comme dans les deux utopies poétiques qui terminent le recueil et dans laquelle il retrouve la confiance. Elle est pour lui l'endroit unique où en tant que poète il peut s'enraciner dans la modernité. David Gullentops découvre dans les recueils de la crise (surtout Les Flambeaux noirs, 1891) et principalement dans les recueils transitoires des Apparus dans mes chemins (1891) et des Bords de la route (1895) une période de transition baudelairienne qui a permis à Verhaeren d'élaborer son propre imaginaire. Le
Constant Meunier, buste d'Émile Verhaeren, bronze, collection privée (Photo ‘Provinciale Musea Antwerpen’).
nom du poète des Fleurs du mal réapparaît naturellement dans l'article que Jean-Pierre Bertrand consacre aux poèmes en prose de Verhaeren. Pour ce dernier qui dans le choix de ses sujets s'écarte peu de son modèle, cette forme littéraire est avant tout ‘le lieu d'un questionnement de la langue, du langage, pas seulement des mots et des phrases, mais de l'écriture en tant que geste et action sur le monde’. Car le véritable artiste est désormais celui qui, tout en luttant avec ses propres haines, vit dans le siècle, à l'écoute de ce qui s'y passe. C'est précisément à la vision de l'art, ‘essentiellement polémique’, et développée dans les oeuvres narratives les mieux achevées, qu'Eric Lyse consacre son article. Si le divorce romantique entre l'artiste et la foule a pris fin, les nouvelles relations entre eux ne sont pas de | |
[pagina 81]
| |
tout repos. Dans sa Confession de 1890, Verhaeren a lui-même caractérisé le combat quotidien devant lequel il se voyait placé en tant qu'artiste moderne: ‘(...) je n'ai jamais cessé de regarder la vie et de me laisser tenter par elle. Elle m'intéresse comme un ennemi fort et subtil; je la hais avec toute ma haine, mais je considère comme une espèce de lâcheté et comme une désertion d'aller loin d'elle se bâtir un palais imaginaire qu'on sait faux.’ Le théâtre représente sans doute un aspect peu connu de l'oeuvre de Verhaeren. Jeannine Paque examine les remaniements que le dramaturge a opérés sur le texte déjà publié des Aubes, drame social et politique. Ils sont si importants et si nombreux qu'on peut y lire le projet d'une nouvelle version, plus théâtrale. Comme celle-ci n'a jamais été éditée, Paque se propose de la publier en regard de la version de 1893. Catherine Gravet essaie de cerner en quoi la vision de Verhaeren sur Philippe II et son fils Don Carlos diffère de celle de Schiller et de Verdi, avant de se pencher sur la manière dont Ghelderode mena dans Escurial le processus de recréation aux frontières du mythe et fit du roi un symbole. Les personnages de Verhaeren sont avant tout des victimes de l'Inquisition. Trois articles sont consacrés au rententissement international de Verhaeren. Comme le montre Paul Aron dans son étude des dédicaces des recueils de poèmes, notre poète se révéla d'ailleurs bon stratège dans la conquête et l'occupation du champ littéraire. A partir de l'oeuvre de Mario de Andrade, Rita Olivieri évoque l'influence de l'auteur belge sur les modernistes brésiliens. Ce fut surtout le recueil des Villes tentaculaires qui incita le poète de Paolicéia Desvairada (Sao Paulo hallucinée) à critiquer les aspects avilissants de la ville industrielle et à en exalter avec une même intensité la séduction. En comparant le complexe ophélien chez Verhaeren et Georg Heym et les images de l'eau mauvaise dans leur poésie, Christian Challot conclut que le pan le plus noir du lyrisme verhaerenien apparaît bien ‘comme l'une des sources d'inspiration possibles de la jeune poésie allemande d'avant-guerre’. L'article le plus long et de loin le plus intéressant du dossier est consacré à Rilke et Verhaeren. Fabrice van de Kerckhove y distingue nettement ce qui enthousiasma le poète allemand dans l'oeuvre de son ami et ce qui lui fit formuler des réserves. Il y découvrit non seulement un reflet de la crise qu'il traversait - celle ‘d'une subjectivité malheureuse exposée à la solitude des grandes villes’ - mais aussi la promesse d'une poésie qui chanterait la splendeur, la ‘Pracht des choses au sein d'un monde rendu à l'unité’. Mais là où Rilke ne suivait plus son mentor, c'était dans son acquiescement au monde ‘lorsqu'il devient assentiment sans réserve à la condition moderne, à l'extension nouvelle des villes, à la conquête technicienne de l'univers’. Comment Verhaeren dont l'oeuvre a incontestablement une dimension universelle, comment ce poète qui jouissait d'une telle renommée internationale qu'on songea même à lui pour le prix Nobel, a-t-il pu devenir un ‘poète national’? Il y a évidemment Toute la Flandre, cet ensemble de cinq recueils, dans lequel il a chanté, montré, c'est-à-dire imagé son pays. Mais Jacques Marx doute fort que ses engagements aient été politiquement très conscients. ‘Si nationalisme il y a’, écrit-il, ‘il était en fait latent, ou insoupçonné, inscrit dans la sensibilité plutôt que dans la pensée, et concernait sans doute moins la nation que le pays, et même le paysage’. Et à la suite de Pierre Nothomb, il distingue patriotisme et nationalisme: ‘le premier est affaire de sentiment; le second, de doctrine’. En examinant quelque dix écrits, échelonnés de 1914 à 1916, Claude Allart arrive à la conclusion que Verhaeren n'est à classer ni parmi les nationalistes ou internationalistes, ni parmi les pacifistes ou bellicistes. Sa volonté de châtiment est traversée par l'horreur de la violence destructrice. L'échec total du projet philosophico-politique d'une nouvelle ère, d'un | |
[pagina 82]
| |
avenir de paix grâce à la pensée, aux arts et aux luttes sociales, l'a finalement rejeté dans une profonde solitude morale. Signalons enfin la ‘muséologie verhaerenienne’ qui clôt le dossier par le rappel des musées et archives qui conservent en Belgique la mémoire de Verhaeren. Dirk vande Voorde |
|