travers son carnet de bord, on voit, sous la pression d'une politique bassement pécuniaire, s'effriter un État-providence et vainement se débattre une identité culturelle; le gouvernement détruisant tout climat social, envisageant sournoisement de fermer l'Institut néerlandais à Paris et torpillant, de plus, avec une grossièreté inouïe la participation des Pays-Bas à la Buchmesse.
On voit aussi un parti socialiste se compromettre sérieusement, dans le seul but de ne pas être excommunié par les chrétiens-démocrates qui paralysent la démocratie depuis près d'un siècle de monopole gouvernemental. Bref, Chartier dénonce les idées préconçues qui veulent que la Hollande soit toujours l'îlot de tolérance et d'égalité pour lequel il passe à l'étranger et, qui pis est, à ses propres yeux. Ce n'est pas pour rien si Chartier met en exergue: ‘Ne dites pas aux Néerlandais qu'ils habitent la terre, ils se croient au paradis.’
Ainsi, sous la plume de Chartier, se dessine l'image d'une Hollande en pleine évolution, en pleine ‘fin de siècle’ et où, en plus, les fondements d'égalité et de tolérance sont brisés, tout comme l'a été, il n'y a pas longtemps, le mur de Berlin et, où la société, par la voie d'une hypocrisie sans pareille, cherche à dissimuler ses méfaits et à claironner ses acquis. Les manoeuvres de dissimulation de la Hollande contemporaine relèvent, par exemple, d'un tabou sur le racisme, soi-disant inexistant; les statistiques, hélas, prouvent le contraire. Pour ce qui est de ses acquis, on se vante, entre autres, d'un service médical qui ne couvre en fait que partiellement la demande de soins médicaux dont le pays a réellement besoin. Là-dessus Chartier se montre impitoyable.
Impitoyable, il l'est aussi quand il évoque la naïveté des Hollandais là où il s'agit de leur pensée européenne, pensée complètement démolie par le sommet de Maastricht. A cette occasion, en effet, ils se sont trouvés confrontés à la rigidité de certains autres pays. Car
Christian Chartier (o1957) (Photo Wout Jan Balhuizen).
ces pays-là empêchent, bien sûr, la création d'une Europe unie qui permettrait aux Pays-Bas de briller, enfin, dans un semblant de grandeur. Voilà le vrai chagrin des Hollandais, selon Chartier.
Un chapitre m'a particulièrement frappé. Chartier y adopte un ton affectueux pour parler de choses de tous les jours centrées sur la tasse de café porteuse d'esprit troupier et de vie familiale - source de moqueries possible. Cependant, il conclut ce chapitre en parlant d'une ambiance typiquement néerlandaise, où l'on ne tire pas les rideaux pour se sentir à l'aise, où des inconnus s'adressent gentiment la parole sur un quai de gare, où les relations humaines ne sont pas déterminées forcément par l'échelle sociale et où la migration des oies fait rêver.
Voilà donc la subtilité du bilan que dresse Chartier, tout comme un Diderot ou un Voltaire des temps modernes: le voyageur parle d'un pays qu'il a appris à aimer et dont il partage le chagrin.
Paul Gellings
christian chartier, Het verdriet van Nederland (Le chagrin des Pays-Bas), Prometheus, Amsterdam, 1992, 120 p.