[Vertaling]
moins que la vie même, parce que la vie, sous peine d'autodestruction, exigera de lui tantôt de hausser les épaules, tantôt de faire un pas de côté. Il voit sa propre difformité et il hait. Il apprend à haïr en silence. Ensuite il hait sa haine silencieuse.
La haine est un vocable trop piteusement maltraité. Haïr quelqu'un parce qu'il est excellent, cela n'est pas de la haine. C'est de l'envie. Haïr quelque chose qui dépasse votre entendement, cela n'est pas de la haine. C'est de la bêtise. Celui qui est excellent mérite l'admiration. Ce qui vous dépasse demande l'effort et la capacité de pénétration. Tous les deux font appel à l'amour. Il n'y a rien au monde que je haïsse autant que ces deux haines naines, abusivement désignées par le terme haine, l'envie et la bêtise, cette miséreuse paire de béquilles avec lesquelles on voit tant de gens trébucher de la naissance à la mort. La haine véridique est une colonne de feu.
La haine me consume. Incomparablement amoureux de la vie, de tout ce qui en elle se présente d'excellent et d'insaisissable, je le suis au point que je ne puis respirer une seconde sans haine. Tout ce qui autour de moi s'arroge de l'importance et se boursoufle n'est qu'un ramassis de malfrats opportunistes et vulgaires, faisant du vent en affichant une mine pieuse. Ceux qui se nomment magistrat, dépositaire de l'autorité, bourgeois convenable, soldat de Dieu ou homme de sagesse - chacun pour soi un voleur jouant au flic - sont, aux yeux de mon amour, mûrs pour la chaux vive.
Naître signifie que depuis le berceau vous êtes encombré d'avortons qui se disent vos prochains. Mourir signifie moisir dans votre cercueil sans jamais en avoir rencontré un seul.
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Extrait de ‘Humeuren en Temperamenten’ (Humeurs et tempéraments), De Arbeiderspers, Amsterdam, 1989, pp. 68-69.