tres poèmes) ou Tutti Frutti sont très éloquents, mais l'enjouement dont ils font preuve n'est qu'une face de la vérité. Sa poésie rassemblée sous le titre Het Schip De wanhoop (Le navire le désespoir) laisse une impression moins désinvolte et plus tourmentée. En tant qu'esthète et homosexuel, Komrij s'est retranché derrière une attitude artificielle, ‘artistique’, destinée à masquer sa gaucherie dans le monde. Jamais Komrij ne s'est abandonné aux grands sentiments, tout en n'ayant pas peur de montrer son moi véritable. Toutefois, une certaine gêne et une certaine réserve lui paraissaient convenir. D'où la voluptueuse majesté de ses poèmes. Tenir à distance son propre caractère tourmenté en s'en moquant est un réflexe d'autodéfense qui sied à cette
sorte de poésie de confession.
Ce style s'accordait fort bien aux années 70. Mais alors déjà Komrij réussit à s'élever audessus des tendances néo-romantiques de l'époque. De même, il ne raffola guère des expérimentaux des années 50 ni des néo-réalistes de la décennie suivante qui, à son goût, trahirent d'une technique poétique déficiente. Il trouva alors le moyen rêvé de ramener l'attention de tous les néerlandophones vers leurs classiques, en donnant forme à sa vision sur l'esthétique poétique dans une anthologie: De Nederlandse poëzie van de 19e en 20e eeuw in 1000 en enige gedichten (La poésie néerlandaise des xixe et xxe siècles en 1000 et quelques poèmes, 1979). Ce choix large et influent provoqua quelque polémique (les expérimentaux s'y voyant réduits à la portion congrue), mais il connut plusieurs réimpressions. En 1986 parut un second tome, consacré aux xviie et xviiie siècles, précédé, en 1982, par Aan een droom vol weelde ontstegen (Jailli d'un rêve luxuriant), une sélection internationale de la poésie romantique entre 1750 et 1850. Tous ces recueils se sont avérés passionnants et susceptibles d'amener les Pays-Bas et la Flandre à réapprécier leur héritage poétique.
Komrij aime servir la promotion de toute littérature valable, ce que prouvent également ses traductions de Shakespeare auxquelles il travaille par intermittence. Ce labeur n'est pas inutile à ses yeux, les traductions existantes ayant vieilli. En 1982, on monta une pièce de théâtre de Komrij, Het Chemisch Huwelijk (Le mariage chimique). L'auteur y examine l'attrait érotique entre homosexuels, sans que pour autant la pièce devienne un plaidoyer pour l'homosexualité. De cela sa distanciation s'est une fois encore portée garante. Komrij n'est certes pas un fanatique de Corydon, ce qui ne l'empêche pas de confesser et d'analyser sa pulsion. Son autobiographie déguisée, Verwoest Arcadië (L'Arcadie ravagée, 1980) prouve à nouveau à quel point l'écrivain se sert avec circonspection de toute espèce de confession. Dans ce livre il évoque un adolescent fasciné par deux pôles d'attraction: les autres garçons et les livres. Peu à peu il écarte l'angoisse du péché et du non-conformisme, peu à peu il tente de maîtriser sa haine envers tout ce qui l'obligerait à marcher dans le rang. La seule issue qui lui apparaisse alors c'est d'accepter sa nature esthétisante, même si celle-ci suppose une élévation au-dessus de tous et de tout. Mais c'est là que se situe pour lui la seule chance de bonheur.
Verwoest Arcadië est un livre ouvert, une confession retenue où Komrij nous apprend comment il fut pour ainsi dire poussé par la haine. Une haine qui, entre-temps, et sur d'autres plans, avait risqué de le submerger. En tant que critique il avait abandonné toute réserve et devint la terreur des ‘Pays-Bas de la culture’. Tout au long de l'année 1976, il assura une critique quotidienne de la télévision. La somme de celleci, un volume intitulé Horen, zien en zwijgen (littéralement: ‘Écouter, voir et se taire’, ce qui veut dire: Motus et bouche cousue, 1977), s'attaquait au niveau déplorable de la culture télévisuelle. Komrij ne reculait point devant les gros effets; ses caricatures et son opposition, par trop systématique parfois, étaient fort déterminées par l'esprit du temps et peu faites pour survivre - ce qui est d'ailleurs le cas de la plupart des programmes de télévision. Quoi qu'il en soit, sa raillerie ne supportait aucune contradiction. Ce ton acerbe lui est resté lorsque plus tard il décocha ses flèches contre les institutions politiques et littéraires: quelque venimeux que fussent des recueils comme Heremijntijd (Bon Dieu, quelle époque, 1978), Papieren Tijgers (Tigres de papier, 1978) ou Averechts (A rebours, 1980), il n'était pas facile de prendre l'auteur en faute.