essentiellement de la stricte maîtrise de la forme. Elle évoque un univers extrêmement trouble, gorgé d'émotion, mais sans pathos aucun. C'est avec une quasi marmonnante monotonie qu'elle nous présente la haine, la violence, le cynisme et l'autodérision.
Ce même ton distant domine aussi dans De hertog en ik. Les ressemblances avec le recueil des débuts ne s'arrêtent pas là. Tout comme Het huwelijk, c'est une oeuvre solidement charpentée, non par une collection de poèmes indépendants, mais l'élaboration dans diverses directions d'un thème central unique. Cela a quelque chose d'un récit: les scènes qui se succèdent font écho l'une à l'autre, s'assurent un enrichissement et un approfondissement réciproque. Des lignes qui s'ébauchent révèlent peu à peu un motif, nous nous familiarisons avec les personnages et les décors: une ferme dans un village rural, un sombre bois... Tout comme nous voyons naître dans Het huwelijk l'espace imaginaire de la maison, le cabinet de travail, la salle de bain, le jardin, avec dedans les sombres protagonistes.
Mais ce n'est pas un récit, c'est une très intense poésie. La structure du recueil ne suit pas le cours des événements, mais oppose les motifs, les moments et les angles de vue les uns aux autres.
On peut dire grosso modo que ce recueil traite de l'opposition puissance/impuissance, ou du conflit entre la loi et l'aspiration à l'autonomie. Au fond, c'est du reste le même thème qui dominait aussi dans Het huwelijk.
Dans De hertog en ik ce thème est élaboré de deux manières différentes. La première partie traite de la confrontation entre père et fils. Pour être concrètement imaginé ce père n'en est pas moins un archétype de père, qui du reste se comporte parfois aussi en dieu. Dans cette évocation, c'est l'angoisse qui domine. Tout comme dans Het huwelijk les univers de l'homme et de la femme s'opposent à l'extrême, le père est ici grandi jusqu'à devenir un personnage intangible, mythique. Quant au fils il ne peut être que petit, impuissant, angoissé, pétrifié, mais tout autant et tout aussi absolument fasciné et rempli d'admiration et de respect. Mais ailleurs le père se comporte aussi en protecteur, maître de la nuit et du chaos: quelqu'un qui du regard ne se contente pas de ‘sonder les reins et les coeurs’, mais commande aussi les ténèbres.
La sécurité que l'enfant reçoit du père (de la loi, de Dieu, de la tradition), il la paye d'angoisse, de sujétion, de passivité et de perte de soi.
C'est l'un des aspects les plus frappants et les plus fascinants de ces poèmes que des tableaux très familiers, domestiques, y sont évoqués d'une manière tout à fait aliénée, pervertie. C'est ainsi que dans le poème Avondgebed (Prière du soir) la traditionnelle ‘croix sur le front avant d'aller dormir’ ressemble à l'application d'une punition, à une brûlure au fer rouge, à une mutilation: ‘Nous présentions la tête. / Il imprégnait son pouce dans le cerveau.’ Tout cela se complique et s'élargit encore ici par le recours aux motifs mythiques, féeriques et religieux ainsi qu'au langage imagé. C'est ainsi que les trois cycles de cette partie s'appellent respectivement De God op de berg (Le Dieu sur la montagne), De ouders van God (Les parents de Dieu) et Ten oosten van Eden (A l'est d'Eden).
La deuxième partie creuse de la même façon (c'est-à-dire en usant de motifs mythiques, sur le regard qui paralyse, extrêmement agrandi) la relation entre un moi et une femme fatale, inaccessiblement puissante, qui se présente comme la Méduse, comme une sorcière, comme la Judith de l'Ancien Testament, comme la Muse. Face à cette ‘Belle dame sans merci’ le moi n'a pas de défense. Elle aussi le confronte avec sa propre petitesse, impuissance et culpabilité. Le langage et l'imagination, avec laquelle il l'attaque, se retournent contre lui. Car c'est précisément en cela qu'elle consiste, et en cela qu'elle est une image et un mythe, plus fort et plus grand que la réalité, le rêve du poète, la mise en forme du manque.
C'est surtout la dernière série de cette partie, Het gat in de spiegel (Le trou dans le miroir), qui fait comprendre qu'il s'agit ici de bien plus que d'une rêverie érotique ou que d'une amour fatale. L'ultime désir est que rêve et réalité, littérature et vie se confondent. Mais la littérature a usurpé la réalité: