Septentrion. Jaargang 20
(1991)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Le Rhin et l'Escaut: pollués de la source à l'embouchureEn mars 1990 s'est tenue à La Haye la troisième conférence sur la protection de la mer du Nord, faisant suite à celles organisées à Brême (1984) et à Londres (1987). Groupant huit pays riverains directement concernés (le Royaume-Uni, la Norvège, la Suède, le Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France), la conférence entend promouvoir la concertation et mettre en oeuvre des programmes d'action communs. Les problèmes écologiques que pose la mer du Nord, de même que la politique qui tente d'y faire face, comprennent évidemment de multiples aspects. Si la nature de la pollution se révèle fort diverse, les facteurs qui la provoquent sont, eux aussi, extrêmement hétérogènes. A la pollution qui trouve son origine en mer (due, entre autres, aux déchets rejetés par les navires ou à l'extraction pétrolière) s'ajoute celle qui y est acheminée par les fleuves (le Rhin, l'Escaut, la Meuse, la Tamise, l'Elbe, etc.)Ga naar eind(1). Lors de la conférence tenue à Londres en 1987, il avait été convenu d'oeuvrer pour que, au plus tard en 1995, la pollution apportée en mer du Nord par les cours d'eau soit réduite de 50% par rapport au niveau atteint en 1985. Au cours de la conférence de La Haye, les ministres de l'environnement des pays concernés devaient constater que cet objectif serait loin d'être réalisé dans les délais fixés: quantité de mesures indispensables que les gouvernements s'étaient engagés à prendre (les unes unilatéralement, les autres en commun), n'avaient pas vu le jour. Il faut avouer d'ailleurs que la réduction de 50%, annoncée en 1987, le fut dans des termes assez vagues. Dans l'espoir d'obtenir des résultats plus satisfaisants, on réitéra à La Haye la promesse, tout en prenant soin cette fois d'y joindre la nomenclature précise des polluants visés. Analysant les exemples concrets que constituent le Rhin et l'Escaut, l'article que voici s'efforcera de montrer pourquoi on vient si difficilement à bout d'un des problèmes majeurs que pose la protection de la mer du Nord: l'apport de pollution par les cours d'eau. Nous exposerons d'abord les principaux problèmes écologiques auxquels les deux fleuves se trouvent confrontés, puis nous dresserons le bilan de la politique menée jusqu'ici par les autorités compétentes en la matière. | |
Le Rhin et l'Escaut: deux voies d'eau internationales minées par la pollutionEnumérons d'abord les caractéristiques qu'ont en commun le Rhin et l'Escaut. Dans les deux cas, il s'agit de fleuves qui traversent des régions très largement industrialisées, à forte densité démographique et dotées d'une agriculture hautement performante. Voici donc désignées du même coup les principales sources de pollution. Les deux cours d'eau doivent en outre assurer diverses fonctions, à vrai dire assez contradictoires. Si l'Escaut n'est plus à même de servir de source d'approvisionnement en eau potable, le Rhin continue à y pourvoir (du moins pour l'instant)Ga naar eind(2). Les deux fleuves sont également chargés d'évacuer les eaux résiduaires (charriant du même flot quantité de déchets, immergés sur place ou provenant de la terre ferme) et de fournir les eaux de refroidissement réclamées par l'industrie. Le Rhin étant par ailleurs la voie de navigation la plus importante d'Europe, l'on comprend que, dans ces conditions, il n'accomplisse que très partiellement la tâche qui lui est assignée en tant que lieu de pêche (l'Escaut ayant dû y renoncer complètement). La très forte pollution constitue même une menace permanente pour les territoires écologiquement précieux qui bordent chacune des deux rivières. Dernière ressemblance enfin entre les deux fleuves: leur caractère transfrontalier, générateur de fréquents conflits oppo- | |
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sant à des intérêts étroitement nationaux les impératifs d'une politique globale prenant en compte l'ensemble de la région concernée. | |
Le RhinLe bassin du Rhin couvre 185 000 km2 (soit cinq fois la superficie de la Belgique) et comprend (en partie) la Suisse, la France, le Luxembourg, l'Allemagne et les Pays-Bas (auxquels il faut ajouter le Liechtenstein et une parcelle du territoire autrichien). La dégradation écologique du Rhin est en premier lieu provoquée par un certain nombre de polluants ‘classiques’ (les nitrates, les métaux lourds tels que le cadmium et le plomb, les PCB, les PAC etc.). En dépit de quelques accidents spectaculaires (par exemple, l'incendie qui ravagea, le premier novembre 1986, l'usine chimique Sandoz à Bâle, entraînant l'écoulement dans le Rhin d'énormes quantités de pesticides), la pollution du Rhin a, ces dernières années, plutôt tendance à décroître. Il n'empêche que les déversements tant ‘habituels’ qu'accidentels, provenant de l'industrie chimique établie le long du Rhin, spécialement en Suisse (Bâle) et à l'ouest de l'Allemagne, continuent à poser de très graves problèmes pour ce qui concerne l'approvisionnement des Pays-Bas en eau potable. Un problème particulièrement épineux enfin: l'accumulation considérable de chlorure dans les eaux du fleuve, due aux déchets salins écoulés par les mines de potasse françaises. La pollution du Rhin a donné lieu, en 1950, à la création de la Commission internationale pour la protection du Rhin. Ce ne fut qu'en 1963 toutefois que les pays concernés (la Suisse, l'Allemagne, le Luxembourg, la France et les Pays-Bas) conclurent un accord dotant ladite commission d'un certain nombre de compétences spécifiques: la commission ne devait pas se contenter d'inventorier les cas de pollution, elle devait également formuler des propositions concrètes en vue d'élaborer des traités internationaux. Il a fallu attendre jusqu'en 1976 pour que fussent ratifiés par les pays intéressés deux traités, le premier entérinant l'accord sur la pollution d'origine chimique, le second celui sur les chlorures. Les deux traités formulent des objectifs généraux, prévoient la mise en oeuvre de programmes d'enregistrement (à financer collectivement) et fixent les seuils de tolérance en matière de pollution. La phase préparatoire exceptionnellement longue qui a précédé la ratification des deux traités s'explique par les réticences manifestées par les milieux industriels des pays concernés à l'encontre de normes antipollution plus sévères. En l'absence de normes identiques, imposées dans l'ensemble de la CEE, on redoutait de se voir confronté à des pratiques de concurrence déloyale. La conclusion d'un accord international portant sur un point précis (le Rhin) était ainsi subordonnée à la signature d'autres conventions supranationales engageant, celles-là, tous les pays membres de la CEE. La coopération au sein de la commission pour la protection du Rhin, de même que la ratification des deux traités ont sans aucun doute contribué à l'amélioration constante de la qualité de l'eau du Rhin. Cependant, on aurait tort de considérer celle-ci comme satisfaisante. La pollution du Rhin, imputable aux chlorures et aux déchets chimiques, reste très préoccupante. Sous la pression de l'opinion publique internationale et à la suite des diverses conférences sur la protection de la mer du Nord, la commission du Rhin a élaboré en 1987 un programme d'action très ambitieux en faveur du fleuve. Il prévoit l'adoption de normes encore plus strictes destinées non seulement à réduire de 50% la pollu- | |
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tion, mais aussi à réaliser un autre objectif spectaculaire approuvé par les ministres: le retour, avant l'an 2000, du saumon dans les eaux du Rhin. On y lit textuellement: ‘l'écosystème du Rhin doit évoluer de sorte qu'à l'approche de l'an 2000, certaines espèces supérieures (dont le saumon), jadis présentes mais disparues à l'heure actuelle, puissent à nouveau y vivre comme autochtones’. | |
L'EscautLe bassin de l'Escaut, couvrant quelque 20 000 km2, ne représente qu'à peu près un dixième de celui du Rhin et ne comprend que trois pays. Les problèmes qu'il pose devraient donc être un peu plus simples. Le débit de l'Escaut (± 120 m3/sec.) - comme d'ailleurs le volume des déchets qu'il charrie - est sensiblement inférieur à celui du Rhin (± 2 000 m3/sec.). La pollution, toutes proportions gardées, n'y est pourtant pas moins importante, bien au contraire: le bassin de l'Escaut est si gravement pollué que non seulement les normes (européennes), relatives à la qualité des eaux de surface, sont
L'Escaut à Audenarde (Flandre-Orientale) (Photo ‘Stichting Omer Wattez’).
transgressées mais que, même dans le cas d'une réduction de moitié, un certain nombre de concentrations de substances continueront à dépasser lesdites normes. Aussi les chances de ‘vie’ dans ce fleuve sont-elles, comme chacun sait, quasi nulles. La pollution de l'Escaut est provoquée par tous les polluants ‘classiques’: les nutriants (dus à l'activité agricole et domestique) causant une détérioration lente et diffuse, auxquels s'ajoutent les métaux lourds (surtout le mercure et le cadmium) et le lindane, générés, eux, par une pollution plus ponctuelle. Pour ce qui concerne, entre autres, le mercure et le cadmium, des réductions allant jusqu'à 90% et plus s'avèrent absolument indispensables. Bien que la situation de l'Escaut soit relativement plus mauvaise, la politique (inteinationale) menée en faveur de ce fleuve est loin d'être aussi avancée que celle dont fait l'objet le Rhin. Si l'on prend en considération le cours de l'Escaut et l'emplacement géographique de ses principales sources de pollution, il ne fait aucun doute qu'il appartient à la Belgique de prendre les initiatives nécessaires en la matière. Force est de constater pourtant que, pour le moment, seuls les Pays-Bas exercent quelque pression en vue d'aboutir à des accords internationaux. La Belgique se tourne vers la France qui, elle, semble attendre tranquillement la suite des événements... Des tentatives entreprises en vue de mettre sur pied une commission chargée d'élaborer des traités analogues à ceux conçus par sa consoeur rhénane, ont toutes échoué jusqu'à ce jour. Dans toute cette affaire, c'est sans aucun doute la Belgique qui constitue la pierre d'achoppement. Il est vrai que ce pays avait promulgué, dès 1950, une loi relative à la pollution des eaux. Appliquée de façon fort fragmentaire, celle-ci fut révisée en 1971. Prévoyant pour cha- | |
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cun des bassins des politiques spécifiques, elle ne tarderait pas à se révéler inopérante pour d'évidentes raisons communautaires. Depuis la régionalisation, entrée en vigueur en 1980, c'est aux communautés qu'incombe la responsabilité de veiller à la qualité de l'eau. C'est en raison de cette répartition des compétences que, désormais, l'Escaut relève, à la fois, des régions wallonne, bruxelloise (pour ce qui concerne la Senne) et flamande. La Belgique a ainsi réussi à renforcer encore plus le caractère ‘transfronta-
Le Swalm (Hainaut et Flandre-Orientale), affluent de L'Escaut (Photo ‘Stichting Omer Wattez’).
lier’ du fleuve. Bien qu'il ne s'exprime que d'une seule voix dans les diverses conférences internationales (telles que les conférences sur la protection de la mer du Nord), ce pays ne mène qu'une politique commune fort timide. Celle qui concerne spécifiquement la qualité de l'eau semble d'ailleurs à peine amorcée en Flandre et en Wallonie alors que, pour l'heure, elle est pratiquement inexistante à BruxellesGa naar eind(3). On s'est souvent plaint en Flandre de l'écoulement, sans épuration aucune, des eaux résiduaires bruxelloises dans la Senne. Aussi longtemps que se prolonge cet état de choses, à quoi bon fournir des efforts supplémentaires, se demandent les responsables flamands, formulant des reproches analogues à l'adresse de la France. En vérité, si considérable soit-elle, la part prise par la France à la pollution de l'Escaut ne cesse de se rétrécir (exception faite d'un seul polluant), alors qu'en Flandre même celle-ci a plutôt tendance à s'amplifierGa naar eind(4). Comme cela se produit souvent dans un contexte international, tout le monde se renvoie la balle. Entre-temps une chose est sûre: s'agissant de l'Escaut, personne, pour l'heure, n'ose rêver ni au saumon ni à quelque forme de ‘vie’ que ce soit! ■ pieter leroy Professeur associé à la ‘Katholieke Universiteit Nijmegen’. Adresse: Weezenhof 68-13, NL-6536 BL Nijmegen. Traduit du néerlandais par Urbain Dewaele. |
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