Philosophie
La querelle d'Utrecht
L'entrée du cartésianisme dans l'histoire se déroula pour une bonne part sur le sol néerlandais. Descartes lui-même y habita une bonne vingtaine d'années et y écrivit ses oeuvres majeures. Ses contacts avec le monde savant néerlandais furent fructueux de part et d'autre. Songeons à l'influence qu'exerça sur la physique de Descartes le recteur de Dordrecht Isaac Beeckman, ou à la rapide diffusion du cartésianisme dans les universités néerlandaises. Le cartésianisme ne s'implanta dans les universités françaises qu'à l'époque où cette philosophie était considérée ailleurs comme dépassée.
Toutefois les contacts ne bénéficièrent pas toujours de cette plaisante ambiance. Particulièrement célèbre est le conflit qui opposa Descartes, dans les années 1640, à Gisbertus Voetius (alias Voet), prédicateur réformé et professeur de théologie à l'université d'Utrecht. Ce dernier était un personnage d'une grande influence et d'une grande importance, chef de file de ce qu'on appela aux Pays-Bas la seconde réformation. Voetius avait eu maille à partir avec son collègue Regius, professeur de médecine, ami de Descartes. Aux Pays-Bas on pouvait émettre pratiquement n'importe quelle opinion à condition de ne pas tomber dans la provocation. Le bouillant Regius n'avait pas suffisamment respecté cette règle, tant et si bien que les autorités finirent par devoir lui taper sur les doigts. Voetius triomphait. Mais Descartes prit fait et cause pour son ami. Il publia sa
Lettre à Dinet, dans laquelle il critiquait vivement les événements survenus à Utrecht. La partie adverse ne demeurant pas en reste,
Le portrait de Voetius, d'après une peinture de Anna Maria van Schurman.
il s'ensuivit un violent échange de pamphlets. Descartes exigeait une intervention des autorités contre Voetius. Mais les autorités, fidèles aux principes néerlandais, tentaient surtout de calmer le jeu, et finirent par y réussir.
Dans La querelle d'Utrecht, ouvrage récemment publié par Theo Verbeek, professeur de philosophie à cette même université d'Utrecht qui en fut le théâtre, on trouve rassemblées toutes les pièces qui ont trait à cette affaire: les opuscules connus de Descartes (la Lettre à Dinet, la Lettre à Voet, et la Lettre apologétique) ainsi que l'Admiranda methodus, un libelle du professeur de Groningue Schoock, dirigé contre Descartes à l'instigation de Voetius et difficilement accessible jusqu'alors, ainsi que le compte rendu officiel de l'université d'Utrecht sur l'affaire Regius. Les pièces ont été traduites là où cela s'avérait nécessaire et abondamment annotées. Une introduction solide situe toutes les péripéties dans leur contexte. Les faits sont connus de l'historiographie néerlandaise, aussi ne se voit-on pas offrir de nouveaux éclairages sur des points importants, mais le mérite de Verbeek est de permettre également à la France de prendre simplement et complètement connaissance de cet épisode de l'histoire du cartésianisme.
En ce qui concerne l'aspect