Gand rencontre Rotterdam sur le thème de l'humanisme
L'université de Rotterdam s'appelle Erasmus-universiteit (Université-Erasme) et se rattache ainsi à l'ancienne tradition européenne de l'humanisme, si caractéristique de notre culture depuis la Renaissance. Aussi les étudiants en philosophie de l'université d'Etat de Gand ont-ils trouvé à Rotterdam un interlocuteur de choix pour l'organisation d'un colloque consacré à l'humanisme. Interlocuteur aurait pu être une litote, car Gand connaît également - fût-ce depuis moins longtemps - une tradition humaniste: il ne s'agit pas toutefois d'un humanisme qui puise une inspiration chrétienne dans l'humanisme d'Erasme mais d'un humanisme qui s'inspire étroitement de la libre-pensée et de l'athéisme militant. Pourtant, une fois de plus, ce type de confrontation entre ces deux humanismes antagonistes n'a pas eu lieu au cours du colloque des 3 et 4 mars 1989. En un certain sens, c'est dommage, car on a esquivé ainsi quelque questions sur les rapports entre l'humanisme d'une part et la foi ou la religion d'autre part.
Cela n'a pas empêché la rencontre d'être intéressante. Les organisateurs avaient choisi comme thème central les tensions entre l'humanisme et l'antihumanisme. Dès lors que l'humanisme et l'humanité sont la norme, notre époque, ou même notre culture, sont confrontées à un certain nombre d'anti-humanismes, autrement dit à des tendances intellectuelles ou sociales qui n'entendent pas prendre plus longtemps au sérieux le primat de l'homme. Cet anti-humanisme peut même s'engager sur la voie de l'obscurantisme et de l'intolérance. Face à ceux-ci, chrétiens tout comme humanistes libres-penseurs, se souvenant d'Erasme de Rotterdam, pourraient se donner la main et s'unir pour protéger l'héritage culturel européen. Mais, comme le fit observer le professeur rotterdamois Jan Sperna Weiland au cours de son exposé très remarqué sur Erasme, l'époque humaniste de la Renaissance ne fut pas toujours elles-même un modèle de tolérance. Et comme chacun sait, ni le christianisme, ni la libre-pensée d'aujourd'hui ne sont aussi tolérants qu'ils ne le prétendent. C'est comme si l'humanisme nourrissait pratiquement en son propre sein un anti-humanisme.
Mais l'anti-humanisme se révèle plus coriace que l'humanisme. Ce constat s'est exprimé dans la problématique abordée par tous les autres orateurs, qu'ils fussent de Gand comme Ronald Commers, Freddy Mortier, Karel Boullart et Etienne Vermeersch, ou de Rotterdam comme René Foqué, Henk Oosterling et G.A. van der Wal. L'exposé du philosophe du droit (d'origine flamande) Foqué fut tout simplement passionnant quand il aborda le thème d'une actualité brûlante de l'envahissement de la société par le juridisme depuis la Révolution française - tendance responsable au fond de la déshumanisation du droit. Passionnant aussi l'exposé du Gantois Freddy Mortier qui évoqua la pensée de quelques anti-humanistes notoires (Max Stirner, Friedrich Nietzsche et Michel Foucault). Nietzsche et Bataille restèrent à l'ordre du jour dans l'époustouflante conférence du Rotterdamois Henk Oosterling, qui fit preuve d'un talent rhétorique inouï.
Pour finir, encore un mot sur une thématique particulière du colloque. Les organisateurs éclairés étaient convaincus que la philosophie de l'environnement ne devait pas être absente. Compte tenu de l'intérêt sourcilleux que l'on porte actuellement à l'équilibre de l'éco-système, il y a des philosophes qui veulent penser autrement la relation traditionnelle entre l'homme et la nature. La nature n'est-elle qu'un capital exigible de disponibilités où l'homme puisse puiser sans problèmes? Ou l'homme doit-il renoncer à sa toute-puissance de consommation, ne plus soumettre plus longtemps la