Ignace De Sutter (1911-1988), un musicien béni de ‘toutes’ les Muses
La culture musicale d'un peuple n'est pas exclusivement déterminée par la quantité et la qualité de ses compositeurs. L'envergure et le niveau de cette expression culturelle dépendent également de l'organisation des concerts en semaine, pour autant qu'elle ne soit pas assumée par des musiciens étrangers, et surtout de l'activité musicale quotidienne existant à la base, c'est-à-dire à l'école, dans les mouvements de jeunesse, les communautés paroissiales, etc. Dans le second domaine cité, celui de la pédagogie musicale, des chants de l'office et des fidèles, Ignace De Sutter a accompli un travail de pionnier et son décès s'y fait durement ressentir.
Ignace De Sutter naquit à Gand le 5 juillet 1911 dans une famille de musiciens d'église et de professeurs de musique. Il étudia notamment au conservatoire de Courtrai, dont son père, le compositeur Karel De Sutter (1878-1938), était le directeur. Après avoir été ordonné prêtre en 1937, il fut successivement professeur au collège St.-Henricus de Deinze, à la Bisschoppelijke Normaalschool de Saint-Nicolas et au Lemmensinstituut de Louvain, et il exerça finalement les fonctions d'inspecteur diocésain pour l'éducation musicale dans l'enseignement normalien. Il mourut à Belsele le 10 août 1988.
Peu de musiciens ont été à la fois aussi actifs et polyvalents qu'Ignace De Sutter. Il est malaisé de dire dans quel secteur il a rendu les services les plus remarquables et ceux qui ont eu les effets les plus durables. Que ce soit en qualité de professeur de musique, d'esthète, de compositeur ou de critique, ses mérites ont été aussi grands. Il ne se parait pas volontiers de ces titres, préférant se dire simplement ‘mélomane’, ce qu'il était en effet jusqu'au bout des ongles. Son amour fébrile pour tous les aspects de l'art musical était solidement étayé par une grande compétence professionnelle et bien servi par une éloquence certaine. Aussi ne mit-il pas sa lumière sous le boisseau et fit-il partager sa connaissance de l'art et de la beauté, ainsi que son enthousiasme pour ces choses.
Ignace De Sutter était professeur dans l'âme: animé d'une ardeur inextinguible, il savait transmettre à ses élèves ou à ses auditeurs le plaisir véritable de l'expérience musicale. Pionnier du chant populaire, de la technique de la flûte à bec et de la méthode Orff en Flandre, il a poussé les jeunes quittant l'école et les mouvements de jeunesse à pratiquer la musique. Pendant des années, son recueil de chansons Singet ende weset vro (Chantez et soyez joyeux) fut le Livre de chant de la jeunesse et son manuel Inleiding tot het muziekbeluisteren (Introduction à l'art d'écouter la musique) suscita chez d'innombrables adolescents un intérêt durable pour les chefs-d'oeuvre de l'histoire de la musique. Il n'est pas étonnant qu'il ait participé, en 1951, à la création de la Halewynstichting (Fondation Halewyn), laquelle propagea dans la Flandre entière une pédagogie musicale et une musique chorale renouvelées.
En tant que compositeur, Ignace De Sutter était un génie humble. Outre l'hymne sacré
Lied van mijn land (Chant de mon pays, paroles de A. van Wilderode) - qui compte parmi les chants de groupe les plus chantés de Flandre -, il écrivit quelques oeuvres de qualité à l'usage d'ensembles de jeunes musiciens ou de groupes de dilettantes jouant à la maison. Répondant au mouvement de rénovation liturgique qui s'amorça après le Concile Vatican II, il composa nombre de
Psalmliederen voor het volk (Psaumes pour le peuple), que le cardinal Danneels définit un jour comme ‘des Bibles d'inspiration, imprégnées
Ignace De Sutter (1911-1988).
d'esprit oecuménique et pleines de pureté musicale’. Cette pureté émane d'un dessin mélodique simple, qui est clairement inspiré du chant grégorien et du vieux chant populaire, mais auquel un intervalle surprenant ou un tour inattendu donne une forme naturelle, personnelle et tout à fait originale.
Le critique et le musicographe qu'était aussi De Sutter nous a laissé un imposant héritage bibliographique. Certaines éditions sont le fruit de ses leçons ou causeries radiophoniques (par ex. De schoonheid van het gregoriaans - La beauté du grégorien), d'autres publications le résultat de son étude sur les chants de l'office (par ex. De dienst van het Lied - L'office du Chant, De lofzang van alle tijden - L'hymne éternel). Innombrables sont ses articles et ses contributions dans des revues, des journaux, etc. Ses textes traitent de sujets divers: Carl Orff et la nouvelle éducation musicale, la liturgie dans la langue populaire, les chants d'office et l'oecuménisme, la vie musicale en Flandre et dans les villes festivalières d'Europe, les musiciens polyphoniques des Pays-Bas, H. Schütz ou les compositeurs flamands du xxe siècle comme J. Van Hoof, G. Feremans, M. de Jong, J. Van Durme, etc.
Il ressort déjà de ce qui précède que le prêtre Ignace De Sutter, que les Néerlandais appellent volontiers ‘le Maître de Musique de l'Eglise flamande’, a joué un