Philosophie
Le cinquantenaire de la ‘Tijdschrift voor Filosofie’
En 1938, quelques jeunes pères dominicains caressaient l'idée, quelque peu audacieuse pour leur milieu, de créer une revue philosophique de haut niveau. Aucune publication de ce genre n'existait en Flandre. Une fois de plus, on en était réduit à ce qui se passait dans le domaine linguistique français ou on devait faire appel à ce qui avait déjà été réalisé aux Pays-Bas. Mais les jeunes promoteurs de l'initiative estimaient qu'ici aussi, on était en mesure de mener à bien un projet de ce genre, en le préservant de tout provincialisme. Les pères De Brie, Luyten et surtout Timp sollicitèrent l'aide et la coopération de leur confrère De Petter, un philosophe avisé, pour conférer à leurs projets un caractère concret et viable.
Ainsi parut en mars 1939 le premier numéro de la Tijdschrift voor Philosophie (Revue de philosophie) - avec le Ph de l'ancienne orthographe néerlandaise de l'époque. La responsabilité générale se trouvait entre les mains des dominicains. D.M. De Petter était le secrétaire de rédaction. Le conseil de rédaction comprenait des figures éminentes telles que C. Barendse, E. De Bruyne, L. De Raeymaeker, H.J. De Vleeschauwer, A. De Waelhens, A. Reichling, H. van Breda, et d'autres encore. Par la suite, F.J.J. Buytendijk, A. Van Melsen et C. De Vogel devinrent également membres du conseil de rédaction. Globalement, la tendance était clairement catholique, et sur le plan rédactionnel, on entendait mobiliser le domaine linguistique néerlandais dans son intégralité. Mais la revue ne s'en tiendrait pas uniquement à des textes publiés en néerlandais. Elle attirait également des collaborateurs français, allemands et anglais, qui pouvaient donner leurs contributions dans leur propre langue.
La revue devint une belle publication: reliée, d'un format assez grand (24 × 18), volumineuse (quelque 300 pages par numéro), avec une mise en page très claire et une typographie agréable. Sur le plan du contenu aussi, le lecteur en recevait pour son argent: d'excellentes études sur les courants philosophiques les plus récents, des bibliographies commentées, des approches originales, des comptes rendus informatifs et critiques, et enfin le répertoire bibliographique, qui pouvait prétendre à l'exhaustivité. Et il faut bien reconnaître que la Tijdschrift voor Filosofie a pu maintenir pendant cinquante ans le niveau qui est le sien.
On peut dire, dès lors, que le projet initial s'est soldé par un franc succès: en marge des universités de Gand et de Louvain se trouvait ainsi lancée sur le marché une revue de haut niveau, qui conquit assez vite sa place parmi les meilleures publications du genre. Toutefois, dès avant la parution du premier numéro, la nouvelle initiative suscitait des réactions négatives de deux côtés: aux Pays-Bas et à Rome. Dans l'excellente Algemeen Nederlands Tijdschrift voor Wijsbegeerte (Revue générale néerlandaise de philosophie), qui existe toujours, J.D. Bierens de Haan publia un article particulièrement virulent, qui ne peut être compris que si on le considère comme l'expression de l'appréhension néerlandaise, devant une revue de tendance catholique concurrente et tout à fait valable. Les observations du côté de Rome, et plus particulièrement des supérieurs de l'ordre des dominicains, visaient le caractère trop peu explicitement catholique de la nouvelle revue. Celle-ci se voyait accusée de trop négliger l'inspiration thomiste et de consacrer trop d'attention à la philosophie contemporaine. Cette agitation s'est hélas poursuivie pendant quelques années, certains dominicains thomistes se faisant un devoir de faire disparaître la nouvelle revue. A un moment donné, il s'en est fallu de peu qu'ils y parviennent, mais les dons diplomatiques de certains pères firent en sorte que De Petter, souvent en butte à des ingérences ne témoignant pas toujours d'une inspiration très chrétienne chez quelques supérieurs, put se maintenir malgré tout.
Sous l'occupation, de nouvelles difficultés pointèrent à l'horizon pour la revue, mais heureusement, la rédaction put poursuivre son activité, et en dépit de la censure officielle, elle publia et reprit même dans son répertoire bibliographique des contributions d'auteurs juifs. Il est constant que la revue a éprouvé moins de difficultés du fait de l'occupation allemande que de la part des supérieurs de l'ordre à Rome.
Actuellement, la Tijdschrift voor Filosofie n'est plus publiée par les dominicains, Initialement, la rédaction était établie à Gand, parce que le père De Petter y était professeur de philosophie au monastère de l'ordre. Par la suite, le philosophicum, l'institut philosophique des dominicains fut transféré à Louvain, et le contact avec l'Université catholique de Louvain s'intensifia, alors que les professeurs de Gand membres de la rédaction disparaissaient par décès ou émigration (De Vleeschauwer). Dans les années soixante et soixante-dix, un concours de circonstances avait pour résultat que les pères dominicains n'étaient plus à même d'assurer à