Le Siècle d'Or de la Hollande: un produit des exilés flamands
Les quelque 236 peintres flamands et brabançons qui se sont fixés en Hollande entre 1585 et 1630 à cause des luttes religieuses n'ont quitté sans doute leur patrie qu'à contrecoeur. En même temps, n'appartenant plus à la glorieuse école flamande, et n'appartenant pas encore à la fameuse école hollandaise du Siècle d'Or, ils ont perdu la faveur des historiens d'art. Un magnifique volume de la collection Mercator dû au Dr. J. Briels est pour eux une authentique réhabilitation.
D'abord par la démonstration de la qualité intrinsèque d'au moins une dizaine de ces peintres. Regardez donc ces quelques centaines de reproductions d'oeuvres conservées à travers le monde, dans des musées, mais surtout dans des collections privées et galeries, ou connues par des catalogues de vente. Ces pièces sont en effet depuis longtemps des oiseaux migrateurs, comme leurs créateurs, et toujours très appréciées par les collectionneurs. En 1986 un David Vinckboons se vend 52.000 livres chez Christie's à Londres. Persuadez-vous vousmême en contemplant ces portraits pleins de vie et d'analyse psychologique de Thomas de Keyser et du jeune Frans Hals. Ou ces pièces de genre d'un talent d'observation parfait: l'étincellement de ce verre de vin de la fête bourgeoise par A. Palamedesz, ou ce sac de village de Roelandt Savery (pp. 31, 42, 44-45, 85, 157).
Première thèse de ce livre: cette joie de vivre des émigrants flamands est totalement attribuable aux traditions de la peinture des Pays-Bas méridionaux et au grand processus de sécularisation du xvie siècle. Deuxième thèse: ces émigrants forment la clef par excellence pour saisir l'art de Vermeer et Rembrandt, de l'Age d'Or de la Hollande, considéré jusqu'à présent comme fondamentalement et spécifiquement hollandais, produit logique des régents et des marchands du nord calviniste, avec son réalisme un peu froid, tellement différent de l'exubérance d'un Rubens dans le sud catholique. Bref, l'essor de la Hollande d'après 1630 comme phénomène quasiment sui generis est une fable.
Grâce à l'abondance d'un matériel iconographique éloquent, ce livre démontre que les Flamands ont construit en Hollande les fondements d'une théorie de l'art (Carel van Mander en 1604) et un langage pictural qui ont
Dirck Hals, ‘Fête au jardin’, bois, 78 × 137 cm., ± 1628, détail, Rijksmuseum, Amsterdam.
passé ultérieurement pour typiquement hollandais. En fait ils avaient importé ce miel, en l'empruntant à Brueghel et Van Hemessen, et, à mon humble avis, au
xve siècle. Ils ont également introduit des genres au cachet si typiquement hollandais qu'on oublierait qu'ils étaient d'abord flamands: intérieurs, paysages, natures mortes, si pleines de détaillisme, scènes de lupanar et marines. Le naturalisme du Siècle d'Or est présenté par Briels sous une toute nouvelle lumière. On l'avait toujours lié au passage de la symbolique et de la thématique religieuse à la moralisation humaniste et au processus d'embourgeoisement. Briels y ajoute quelques accents: le goût du dessin minutieux de plantes et d'animaux est une micro-cosmologie scientifique de signature humaniste, que J. Hoefnagel a introduite au Brabant vers 1581, préférant à l'image médiévale du monde cette observation situationnelle et expérimentale, sans idées préconçues. Briels signale aussi que ces Flamands, avant et pendant leur exode, ont exprimé leurs fantasmes les plus érotiques en les présentant sous la forme