turément interrompue par une alerte à la bombe, l'une de celles que l'acteur avait lancées luimême comme on s'en apercevrait par la suite.
La question que l'on entendait sur toutes les lèvres était la suivante: sous peu y aura-t-il encore des gens prêts à protester effectivement contre des propos antisémites, etc.
Toute cette affaire justifie qu'on cherche une réponse aux questions suivantes:
- | pourquoi un acteur à demijuif (son père était juif) a-t-il réagi de façon aussi exaltée à la représentation d'une pièce contestée? |
- | comment diable se fait-il que les Pays-Bas, plus de quarante ans après la seconde guerre mondiale, continuent à être aux prises avec le problème de la place de la minorité juive en leur sein? |
Abordons d'abord les protestations contre la représentation de la pièce de Fassbinder considérée comme antisémite Der Müll, die Stadt und der Tod. Jules Croiset jouait un rôle de premier plan dans ce mouvement de protestation.
Johann Doesburg, candidat à l'examen de fin d'études de l'école de théâtre amstellodamoise avait choisi comme épreuve la représentation de cette pièce controversée. On sait que le projet de jouer cette pièce à Francfort en 1985 s'était heurté à l'interdiction des autorités, après protestation de la communauté juive locale. Dans cette pièce, Fassbinder a voulu montrer la réduction des gens à l'état de stéréotypes, ce qui permet à des hommes de s'emparer du pouvoir sur leurs semblables. Dans la pièce apparaît un Juif anonyme, un promoteur, qui correspond tout à fait au stéréotype nazi du Juif. Un personnage ajoute: ‘Toi aussi, ils auraient dû te gazer’. C'est surtout du fait de cette réplique que la communauté juive néerlandaise considéra a priori cette pièce comme susceptible de réveiller l'antisémitisme. Cette réaction devait davantage à l'émotion qu'à la raison, aussi ne discuta-t-on guère du contenu réel et des intentions de Fassbinder. La communauté juive voulut empêcher la représentation. Le professeur dr. L. de Jong, historien autorisé, jouissant du respect général pour son histoire des Pays-Bas pendant la seconde guerre mondiale - Nederland in de Tweede Wereldoorlog -, s'insurgea contre la présentation dans la pièce d'un Juif en tous points conforme aux canons ‘du journal de propagande nazi Der Stürmer; le théâtre néerlandais n'a pas compris que cela blessait profondément la sensibilité de certaines personnes’. Signalons que le professeur de Jong échappa à la ‘solution
finale’ en se réfugiant en Angleterre en mai 1940; sa famille fut totalement anéantie.
Le petit parti réformé biblique-fondamentaliste posa des questions au Parlement, mais le ministre de la Justice déclara ‘ne pas avoir compétence en matière d'interdiction ou de suspension de représentation théâtrale’. Le bourgmestre et les échevins de la commune où la pièce serait représentée, à savoir Rotterdam ‘ne voulaient ni ne pouvaient utiliser l'arme de la censure’. Ils estimaient en outre que ‘l'intégrité et la compétence des acteurs étaient au-dessus de tout soupçon et qu'on ne pouvait les soupçonner de susciter l'antisémitisme alors que leur propos était tout au contraire de le clouer au pilori’. La manie d'interdire, ajoutaient-ils, ‘est indissolublement liée à un type de société heureusement voué aux gémonies par la quasi totalité des Néerlandais’.
Tous les grands partis politiques partageaient en principe cet avis, faisant référence à l'article 7 de la Constitution qui garantit à chacun la libre expression de son opinion, plutôt qu'à l'article 137 du Code Pénal qui déclare coupable la diffamation délibérée d'un groupe humain notamment du fait de sa race ou de sa religion: ‘le jugement en la matière revient au seul juge indépendant comme il convient dans un ordre judiciaire démocratique’, déclara le député socialiste H.J. Roethof, connu du reste dans le monde parlementaire néerlandais pour ses prises de position en faveur des victimes de guerre (juives).
Toutefois, toutes les déclarations de politiciens ou de commentateurs commençaient par proclamer ‘leur profonde compréhension pour l'ampleur de l'émoi’. C'est que les protestations émotionnelles étaient inhabituellement violentes pour les Pays-Bas. Le 18 novembre 1987, des actions brutales troublèrent l'avant-première. De jeunes Juifs, venus à Rotterdam des quatre coins du pays, occupèrent la scène et empêchèrent la représentation. ‘Un mauvais jour pour la liberté du théatre’, déclara Monsieur Sonke, directeur de l'Académie de théâtre.
Ce coup de force suscita d'étonnantes réactions. Même le commentateur ultra-mesuré du NRC, Jérôme Heldring, protesta: ‘certes, l'holocauste rendait compréhensibles et excusables bien des choses; mais même un terrorisme compréhensible reste du terrorisme et à ce titre répréhensible’.
Ses observations valent pour beaucoup d'autres.
En fait la protestation juive n'a rien apporté de positif à la vision que les Néerlandais se font de la situation des Juifs aux Pays-Bas. Le politicien démocratechrétien Sytze Faber fustigea les leaders religieux juifs, notamment le Rabbin Soetendorp, célèbre aux Pays-Bas, coupable selon Faber ‘d'avoir, comme un vulgaire meneur populaire, empêché par des moyens physiques une représentation théâtrale’. Il est de fait que cette protestation s'exprimait avec un excès d'émotion qui ne sied pas au Néerlandais moyen.
On cherche bien sûr les causes profondes des protestations. Selon le Rabbin Van der Kamp, ce sont ‘les “jeunes” Juifs néerlandais, hardis et combatifs, qui nous ont fait voir ce qu'ils avaient dans le ventre’. On peut en effet supposer que le comportement de la génération juive d'après-guerre