Il apparaît aisément qu'une telle approche est plus féconde que les oeuvres dites ‘ready mades’, proposées par d'autres au lecteur, en réaction contre la poésie exubérante. Judith Herzberg prend son rôle de poétesse au sérieux et ce n'est pas avec indifférence qu'elle regarde la réalité: son approche est pétrie de tendresse. A titre d'illustration, voici le poème De zee (La mer), emprunté à son second recueil, Beemdgras (Pâturin):
La mer
La mer on peut l'entendre
avec les mains aux oreilles,
A l'intention du lecteur, elle joue ici avec la réalité par le truchement du poème. C'est aux éléments de la réalité de créer l'effet et non pas au verbeux commentaire du poète, ce qui confère au poème sa nécessaire légèreté et ajoute à sa rémanence. Le sérieux avec lequel elle joue le jeu apparaît par exemple dans le petit poème suivant, extrait du même recueil:
Question
Comment est-il donc advenu
Qu'à toujours venir dormir
On ne veuille plus jamais voir?
Après le recueil Strijklicht (Lumière rasante, 1971), plein de jolis croquis d'oiseaux, d'évocations de la nature, de petits coins et de sites, il faut attendre 9 ans la parution suivante, ce qui n'a certes pas nui à sa qualité. L'oeuvre, Botshol (Creux cahoté, 1980), approfondit la réalité, accepte les secrets, les points d'interrogation et se dresse contre la fugacité. La langue aussi emprunte des voies plus difficiles - tout particulièrement dans l'impressionnant poème éponyme repris ci-après -. Les poèmes d'amour constituent une part importante de son appréhension et de son rendu de la réalité. L'autre reste à distance, parle une autre langue, jette un autre regard. Mais la réponse trouvée à cette constatation est neuve. C'est la résignation, une résignation plus vitaliste du reste que passive. Le poème Grijs-trap (Escalier gris - voir ciaprès) constitue un sommet en la matière. La puissance de l'acceptation, personne ne l'aborde avec tant de ‘naturel’, avec si peu d'ostentation: c'est là que Judith Herzberg excelle. Le lecteur se sent davantage concerné que dans d'autres poèmes qui campent par exemple un marin, un pêcheur, un fermier. L'arbitraire y a sa part, car qui renonce à la recherche d'une vision du monde cohérente, qui laisse pour ainsi dire la réalité de côté et s'intéresse surtout aux fragments et détails et les restitue sans les classer, celui-là s'accommode du caractère arbitraire de ses trouvailles: ainsi dans le dernier recueil à ce jour, Dagrest (Reste de jour, 1984). Ici non plus il n'y a pas de thème(s) pour informer l'oeuvre, on ne tente pas de donner du monde une
vision globale ou non. Mais le lecteur ne laisse pas de recevoir coup sur coup un mini-choc devant la justesse et la finesse du tableau. En voici un exemple:
Chaque matin
Chaque matin, entre le moment où il met
sa chaussure gauche et sa chaussure droite
voilà toute sa vie qui repasse devant lui.
Aussi arrive-t-il parfois
qu'il n'enfile jamais la chaussure droite.
Judith Herzberg excelle dans l'art de croquer la spontanéité. Elle ne se lie ni à un système de pensée ni à une rationalité: c'est sous sa forme la plus désarmée qu'elle cherche la vie: