Septentrion. Jaargang 16
(1987)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdCharles van Lerberghe: Lettres à Albert MockelCharles van Lerberghe (Gand 1861-Bruxelles 1907), condisciple de Maurice Maeterlinck au collège jésuite Sainte-Barbe de Gand, appartient à une célèbre génération d'artistes novateurs gantois. Ses dons poétiques se révélèrent dans La Pléiade parisienne et La Jeune Belgique. Cherchant une revue plus ouverte, il entra en contact avec Albert Mockel (Ougrée, 1866-Bruxelles, 1945), fondateur de La Wallonie (1886-1892), forum du mouvement symboliste français et belge. Poète raffiné mais surtout critique très perspicace et grand stimulateur de talents, Mockel s'établit à Paris en 1902. Les flaireurs (1889), pièce faisant office de manifeste et de programme symboliste, constitue l'adieu de Van Lerberghe - orphelin de père à sept ans, de mère à onze, pensionnaire - aux sombres années gantoises. Voulant se consacrer à sa vocation artistique, il s'installe à Bruxelles, où il obtient le doctorat en philosophie et lettres (1894). Le recueil Entrevisions (1898) consigne ses expériences poétiques de vers-libriste. Après des séjours à l'étranger - Londres, Berlin, Munich, Rome, Florence -, il s'établit à Bouillon (1902). La chanson d'Eve (1904), à laquelle il songe et travaille depuis 1899, est accueillie comme le chef-d'oeuvre du symbolisme. Ce poème philosophique panthéiste traduit l'idéal féminin du poète dans l'évocation de l'âme | |
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naissante, de l'aube du paradis, dans la suggestion de l'ineffable, et consacre la plénitude de son art. Suivra encore la pièce Pan (1906), image de la digne joie du réalisme flamand. Des poèmes en prose font l'objet d'une édition posthume: Contes hors du temps (1931). Les Lettres à Albert MockelGa naar eind(1), s'étalant du 1er décembre 1887 au 6 juillet 1906 - leur auteur est frappé d'une attaque en septembre 1906 -, nous font mieux connaître l'homme derrière le chantre de la vie idéale. C'est d'abord l'éminente chronique d'une grande amitié, quelque tourmentée qu'elle fût parfois. Nature solitaire, introvertie, contemplative, hésitante et contradictoire, inapte au bonheur et à l'action, Van Lerberghe cherche en Mockel le confident parfait sur tous les plans: vie quotidienne, préoccupations spirituelles, enthousiasmes des séjours à l'étranger, interrogations sentimentales. Mais, bien sûr, l'art et la poésie vécue comme vocation l'emportent de loin. Même en l'absence des lettres de Mockel - détruites par la soeur du destinataire -, on se rend parfaitement compte du rôle capital joué par ce dernier dans l'élaboration de l'oeuvre de son correspondant. C'est également un excellent témoignage d'un esprit libre et lucide sur la vie culturelle de l'époque. Grâce à leurs recherches très détaillées, les éditeurs Robert Debever et Jacques Detemmerman ont su établir un imposant volume de notes qui constitue un guide parfait et particulièrement enrichissant pour le lecteur non spécialisé. Van Lerberghe est généralement classé, avec d'autres, sous l'etiquette d'‘écrivain flamand de langue française’. Des traits flamands sont certes décelables dans sa personnalité profonde, mais il sont plus rares dans l'oeuvre. La Flandre en tant que cadre de référence historique ou culturel est totalement absente de ces lettres, mis à part l'emploi, le plus souvent à consonance péjorative, de l'adjectif ‘flamand’ - le poète se qualifie à plusieurs reprises de ‘rustaud flamand’ face au ‘délicat’ Mockel - et trois passages où l'auteur se hérisse devant les susceptibilités qui opposent Wallons et Flamands en Belgique et avoue ne pas comprendre l'intérêt de ‘cette petite question’. Cette publication constitue un document humain du plus grand intérêt, complétant très utilement les oeuvres complètes (1980) proprement dites ainsi que les Lettres à Fernand Severin (1924; autre ami poète) et les Lettres à une jeune fille (1954; Gabrielle Max) - Van Lerberghe était un épistolier impénitent -, qui, tout en n'étant pas assorties d'annotations aussi poussées que dans le présent volume, avaient déjà contribué à dévoiler quelque peu le mystère de cet ‘inconnu célèbre’. Il devrait être permis de rêver que d'autres correspondances encore de Charles van Lerberghe ainsi que son journal inédit, sûrement aussi passionnant, puissent faire l'objet d'éditions modèles du même genre, dont, tant du côté néerlandophone que francophone, on nous régale trop rarement en Belgique. Willy Devos |
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