La Belgique: le pays à deux vitesses?
Que le lecteur se rassure: il ne s'agit pas d'un titre erroné. Bien qu'elle ne soit probablement pas appelée à remplacer ou supplanter une image telle que ‘le pays entre deux fleuves’, par exemple, l'expression ‘le pays à deux vitesses’ est venue enrichir récemment le jargon politique belge toujours quelque peu biscornu...
L'auteur de la formule est Gaston Geens, homme politique démocrate-chrétien et ministreprésident de ce que l'on appelle l'exécutif flamand, c'est-à-dire le gouvernement régionalo-communautaire flamand au sein de la Belgique. Pourtant, Gaston Geens n'a pas la réputation d'être un fédéraliste déclaré - tant s'en faut, diraient d'aucuns! C'est lui, néanmoins, qui a lancé cette phrase d'inspiration fédéralisatrice sur la place politique pour souligner que la Belgique est un pays composé effectivement de deux parties, deux régions, où la vie socio-économique se déroule de manière différente et à un rythme propre. En d'autres termes, dans ce pays qui, pendant si longtemps -et même encore de nos jours - s'est cru un exemple-type d'unitarisme, cohabitent deux communautés qui ont chacune leur vie socio-économique propre.
Jusque-là, rien d'irrémédiable ne s'est produit. Mais les choses se compliquent quand le président de l'exécutif flamand précise, sans détours, que c'est la Wallonie qui est le petit frère quelque peu retardataire, qui gênerait plutôt la Flandre dans son aspiration à un nouvel élan, à un essor plus rapide encore, à savoir celui de la troisième révolution industrielle.
Pour les hommes politiques wallons, cette affirmation fédéraliste flamande n'est rien de moins qu'un camouflet sur le plan psychologique. Aussi a-t-elle eu pour résultat des querelles à n'en pas finir, des feux d'artifice de chiffres chaque fois récusés par la partie adverse..., alors que l'on évite toute discussion sérieuse du problème.
Et quel est le fond du débat proprement dit? C'est que, sur le plan historique et socio-économique, Gaston Geens est loin d'avoir tort quand il affirme que la Belgique est un pays à deux vitesses et, qu'à vrai dire, elle l'a toujours été. Laissons de côté la question de savoir si la Wallonie, plus lente actuellement, gêne effectivement la Flandre, un peu plus rapide ces derniers temps, et si oui, dans quelle mesure. Bornons-nous à constater que bon nombre de chiffres et de statistiques confirment bel et bien cet état de choses. Depuis une dizaine d'années, d'innombrables rapports traitent des transferts financiers de la Flandre vers la Wallonie. Il est évident que chaque document publié du côté flamand provoque une réplique du côté wallon.
Ce qui est manifestement nouveau, en tout état de cause, c'est que l'on semble commencer à reconnaître l'existence des deux vitesses en Belgique. Ce pays strictement unitaire depuis un siècle et demi a mis du temps avant de reconnaître, à contre-coeur, cette vérité de toujours, qu'en réalité il n'admet toujours pas, alors qu'il s'agit de la conclusion logique de l'observation d'une réalité déjà ancienne.
Au moment où nos constituants - par ailleurs toujours très intelligents - transformèrent la Belgique en une forteresse unitaire, ils commirent des erreurs qui ont déjà coûté cher: ils faisaient pour ainsi dire abstraction du fait que la Belgique comportait presque autant de catholiques que de non-croyants, et ils ne tenaient pas compte du fait que le nord du pays était quasiment une friche industrielle alors que l'industrie était presque exclusivement concentrée en Wallonie.
En Flandre, il y avait un peu d'agriculture et un peu d'industrie du lin et du textile. Rien qu'en Flandre occidentale, près des trois quarts de la population travaillaient dans l'industrie du lin. En 1845, la crise éclata dans ce secteur, et se conjugua à une très mauvaise récolte des pommes de terre. L'année suivante, la récolte du seigle baissa de plus de la moi-