Economie
Les Pays-Bas, nation de rentiers
Dans la première moitié du xixe siècle, les Pays-Bas étaient un pays de rentiers, composant ainsi un saisissant contraste avec leur autocrate de roi Guillaume Ier s'acharnait, en effet, à promouvoir le développement du commerce et de l'industrie - cette dernière surtout dans les Pays-Bas méridionaux - mais faisait un bien piètre financier. Quand il abdiqua en 1840, après s'être opposé jusqu'en 1839 à la scission entre les Pays-Bas et la Belgique déjà entrée dans les faits en 1830, le ‘roi-marchand’ comme on l'appelait parfois laissait au pays une dette gigantesque. L'Etat néerlandais se trouvait au bord de la banqueroute. L'abdication de Guillaume Ier avait quelque chose de la démission d'un ministre des finances qui aurait failli à sa mission.
Mais les Pays-Bas étaient un pays de rentiers, et le ministre des Finances Van Hall sut adroitement tirer parti de cette particularité pour rétablir les finances publiques, un an après la mort de Guillaume Ier. Il lança un emprunt ‘volontaire’. En cas de souscriptions insuffisantes de la part des riches, on recourrait à un impôt sur la fortune. L'emprunt fut un grand succès et c'est ainsi que les excédents d'épargne des rentiers néerlandais compensèrent les découverts publics.
De nos jours, la dette de l'Etat néerlandais a derechef atteint des sommets astronomiques et la voilà derechef dépassée par la masse de l'épargne civile. Il y a toutefois une grosse différence avec 1844: l'épargne néerlandaise de 1986 ne résulte plus de la parcimonie individuelle des citoyens néerlandais mais des réserves collectives amassées par les caisses de retraite et d'assurance néerlandaises, ces organismes qu'on appelle les investisseurs institutionnels. La somme des capitaux placés s'est accrue en dix ans de 250 milliards de florins (f 250.000.000.000) et atteint 350 milliards de florins. Dans le même temps, la dette publique néerlandaise s'est enflée de 180 milliards de florins pour plafonner à 220 milliards: le découvert va d'ailleurs continuer provisoirement à s'accroître par suite des déficits persistants.
Aussi est-il compréhensible que le ministre des finances, Onno Ruding, ait jeté un regard de convoitise sur les réserves des caisses de retraite, aux fins de résoudre le problème de la dette publique.
Il se trouve qu'une bonne partie des fonds des caisses de retraite sont d'ores et déjà investis en prêts à l'Etat. Aussi ne s'agit-il pas pour Ruding de pousser les caisses de retraite à investir davantage encore en emprunts d'Etat, mais de dénoncer les relations qu'il décèle entre la dette de l'Etat et les réserves des caisses de retraite. Il estime ces dernières beaucoup trop élevées. Son raisonnement est le suivant: lors de la fixation du montant des primes à verser par les fonctionnaires néerlandais en vue de leur retraite, on est parti du principe que leur investissement dégagerait un intérêt moyen de 4%. Dans la pratique, cet intérêt a été beaucoup plus élevé. Cet intérêt plus élevé a permis aux caisses de retraite d'augmenter leur capital investi bien au-delà de ce qu'exige la garantie du paiement des retraites. Les versements au titre des retraites auraient donc pu être beaucoup moins importants. Les versements plus importants effectués au cours des années écoulées ont conduit à des salaires bruts plus élevés pour les fonctionnaires, lesquels devaient être versés par les pouvoirs publics. Les primes de retraite élevées sont donc une des causes des découverts financiers publics et du même coup de la croissance de la dette de l'Etat.
Aussi le ministre Ruding veutil voir baisser les primes de retraite afin de pouvoir réduire d'autant les salaires des fonctionnaires, ce qui aurait pour effet de diminuer les déficits publics et d'enrayer la croissance de la dette de l'Etat.
Les caisses de retraite contestent énergiquement cette vue des choses. Elles soulignent qu'il existe encore une foule de points faibles dans le système de prévoyance néerlandais et que la chute de la natalité va entraîner un net vieillissement de la population. Ce ‘grisonnement’ fera baisser les revenus que les caisses tirent des primes tout en augmentant fortement les versements qu'elles auront à effectuer. Au cas où les caisses de retraites n'auraient pas constitué de réserves suffisantes en vue de cette échéance, le paiement des retraites devrait alors être assuré par l'impôt public ou par un très net accroissement des primes. Ces mesures entraîneraient des charges impossibles à supporter.